« Et Dieu dit : Faisons l’Homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre. »
Deux affirmations, voilà donc ce sur quoi, à l’origine, s’est appuyé l’Humanisme selon Paul Jorion. Une définition qui avait en effet de quoi séduire et exalter les nouveaux humanistes pour qui l’homme redevenait le centre des préoccupations, comme chez les Anciens. Et bien qu’aujourd’hui nous n’imaginions plus comme Michel-Ange que Dieu soit représenté en un vieil homme barbu — image à tout le moins désuète —, nous continuons de nous questionner sur les termes utilisés dans ces deux affirmations du livre de la Genèse.
Aussi, je me souviens enfant, quand la première fois j’ai lu ce verset de l’œuvre des six jours, je me suis interrogé comme tout un chacun en quoi consistait d’abord cette « image », et comment l’homme pouvait « être semblable » à Dieu. Et celle qui me vint naturellement fut celle du livre, d’imaginer que l’homme était un livre… « Tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit. » — Victor Hugo
Livre de la Sagesse (2,23) : « Or Dieu a créé l’homme pour qu’il soit incorruptible, et il l’a fait image de ce qu’il possède en propre. ». Mais, qu’est-ce que Dieu possède en propre, et qu’il a donné à l’homme et non à toute bête de la terre ?
« L’homme est un livre. En lui toutes les choses sont écrites, mais les obscurités ne lui permettent pas de lire cette science à l’intérieur de lui même. » — Rûmî
Et s’il est un livre (parmi d’autres livres), comment pourra-t-il recouvrer cette science à l’intérieur de lui-même, alors qu’il subit depuis que la mort est entrée dans le monde, les obscurités de ses désirs coupables ?
Cette science étrange, donc, que nous possédons et qui se trouve en quelque sorte repliée dans notre propre chair nous ramène à la seconde partie de la définition ; quant à savoir si l’homme réussira à se dominer lui-même, ou se contentera de vouloir soumettre le créé par la violence, au risque de voir le grand livre du vivant se refermer prématurément. Car force est de constater que si nous avançons chaque jour un peu plus dans un monde vide d’existence, on ne pourra bientôt plus rien désigner du nom d’« être vivant ». « Désormais muette, inodore et impalpable, la nature s’est vidée de toute vie. » — Philippe Descola, (Par-delà nature et culture). Ainsi, à l’image du livre invisible à l’œil dont nous parle le mystique poète et philosophe persan Rûmî, « la nature n’est pas uniquement ce qui est visible à l’œil – c’est aussi les images que l’âme s’en est faite », — Edvard Munch.
Par conséquent, comment « rendre visible » ce livre à l’intérieur de nous ?
« Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait. Chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné. » — Genèse (2,19)
Ou comme le dit autrement le botaniste Boris Presseq : « On protège toujours un peu mieux ce qu’on connaît… à partir du moment où on nomme quelque chose, on lui donne une existence ». Par conséquent, la seconde partie de la définition indiquerait à l’homme la conduite à suivre pour se réaliser lui aussi en poursuivant le projet initial… Dominer toute la terre par l’instrument de la parole, sans rien anéantir.
Pour autant, constatant que l’homme se sentait toujours seul parmi toutes les autres créatures et pour combler ce manque, Dieu envisagea à la fin de lui apporter une aide qui lui soit assortie… la femme. Et à l’homme de s’écrier : « Pour le coup, c’est l’os de mes os, et la chair de ma chair ! » Comment expliquer alors que l’homme en soit venu aujourd’hui à vouloir partager de plus en plus de ses traits caractéristiques avec les machines, au lieu de rester attaché à celle qui lui fût simplement accordée au commencement de l’humanité ?
Rêverait-il donc de quelque chose de plus « perfectible » ? Faut-il attendre que celui-ci s’écrie : « Celle-ci sera appelée « machine », car elle fut tirée de l’homme, celle-ci ! »
D’après le récit biblique, ce qui s’est ensuivi, fut que la femme trompée par Satan devint la source de la perte de l’immortalité originelle. Dès lors, au vu des menaces qui pèsent dorénavant sur le genre humain, le problème urgent qui émerge est donc de comprendre pourquoi l’homme du Vingt-et-unième siècle a décidé de relancer ce mécanisme du goût pour l’immortalité, se condamnant, par ailleurs, à vivre dans un terrible ennui…
Enfin et pour rejoindre le tableau final dressé par Paul Jorion dans son introduction ; quelle serait la meilleure voie que l’être humain pourrait emprunter afin de surmonter son profond désarroi et remédier au fait d’être une créature inaccomplie ? Paul Jorion souligne brièvement dans sa conclusion une autre vision possible : le « social intériorisé » !
Aussi, est-elle déjà écrite en chacun de nous, imprimée dans un livre, gravée dans l’os ou peinte sur un rocher ?
Laisser un commentaire