Les trois grands pays démocratiques qui sont aussi des puissances au moins régionales sont le Brésil, l’Inde et les USA. Tous trois se polarisent, peu ou prou, au vu des élections survenues depuis 2020.
Que nous dit la comparaison géographique des camps en présence ? Bien sûr, les structures sociales sont hautement différentes, mais si le capitalisme grippe son monde et savonne la planche à la démocratie, la possible fenêtre sur les mécanismes qu’ouvrirait la géographie interne à ces géants ne manquerait pas d’intérêt. Cela serait une lecture plus agnostique qu’idéologique de ces grippages, donc potentiellement plus convaincante encore.
Voici trois liens vers des cartes électorales « par état » et les commentaires possibles de « déterminisme de grippage », suggérés de façon volontairement peu nuancée.
Brésil :
La répartition est sur l’axe « nord-sud ». Tout le sud vote Bolsonaro, jusquà presque 70% dans les états comme Santa Catarina. Le Nordeste vote Lula : Bahia, Pernambouc etc. Les états aux confins de l’Amazonie votent Bolsonaro.
Lecture possible : la classe moyenne éduquée du sud brésilien vit dans des «condominio », immeubles gardés, sans grand facteur ethnique en première approximation. Le réflexe Bolsonaro serait donc un réflexe de petit propriétaire. Les classes défavorisées existent mais votent peu (analogue au 93 en France). L’agro-industrie n’y est pas pour grand-chose, même si elle assure la richesse rurale de ces états du sud, elle ne doit pas représenter une grosse part de la population. Pour les états périphériques de l’Amazonie, en revanche, on peut soupçonner un clientélisme « latifundiaire » ou agro-forestier extractiviste, qui conduit les notables locaux à faire voter ce qui les arrange (démocratie « faible » , taux d’alphabétisation des pauvres élevés). Le vote dans le Nordeste pour Lula correspond au bienfait ressenti du programme PT des présidences Lula et Dilma Roussef, dans une population qui vit moins en condominio et davantage dans des grandes communautés urbaines ou liées à l’agro-industrie intensive en main d’œuvre (plantations).
USA : (carte en gif animé passant des états géographique à leur compte « démographique » en grands électeurs)
Lecture proposée : On connait bien la répartition « freshwater/saltwater » ou si on préfère « intérieur » vs « côtes océaniques » du vote républicain vs démocrates. Dans ce cas, le facteur principal est-il celui qu’analyse Piketty (entre autres ?) : après de longues décennies où le Sud fut démocrate car les démocrates tempéraient la fin de l’esclavage pour les petits propriétaires, la logique a énormément changé. C’est désormais le niveau de diplôme qui fixe le plus le vote démocrate vs républicain. Les élites universitaires sont sur les côtes et assurent les jobs « tertiaires » les plus rentables (Wall street, Silicon Valley). Le centre dépend des matières premières (agriculture, gaz, pétrole au Texas, …) et les exploitants desdites matières premières sont porteurs de logiques conservatrices, ou savent acheter leur clientèle et/ou marginaliser les électeurs dont ils ne veulent pas (« gerrymandering » : charcutage électoral, et lois de déni de vote, par attrition du nombre de bureaux ou autres biais impensables en France)
Inde : le géant démocratique par excellence.
Orange = Coalition dont le cœur est le BJP ; parti nationaliste hindou de Modi ; « NDA », Bleu = Coalition dont le cœur est le parti historique du « congrès » (dynastie Gandhi : Rahul, Sonia), Gris = Autres ! Ici, les grosses minorités jouent un rôle, mais il n’est pas évident que la structure de pouvoir (le mode d’exercice du capital et de la production) soit très déterminante.
Si c’est bien ainsi, est-ce un effet de seuil de densité ? Un effet de sous-développement industriel en général (classe moyenne encore faible en proportion) ?
Du coup, est-il légitime de poser la question de la polarisation comme stade incontournable d’un pays qui sur quelques décennies étoffe sa classe moyenne, surtout quand ces classes moyennes sont connectées/irriguées médiatiquement par des groupes hautement acquis au primat de la propriété privée ?
Une analyse en détail des villes/états au sein même de géants comme l’Inde (ou l’Indonésie ?) montrerait-elle que la polarisation accompagne forcément la montée du « sentiment propriétaire » ? Celui-ci est-il le pire ennemi des communs ou reste-il soluble dans une dose raisonnable de commun ? Suivant quels postulats alors (la solubilité est-elle meilleure dans l’économie, l’éducation, dans les évolutions des élites d’abord ?)
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