Deux courtes notes à propos du XXème Congrès du PCC
L’agence Xinhua a publié les 75 pages du rapport de Xi Jinping à l’issue du vingtième Congrès du PCC. Monumental pavé en langue … de bambou, le texte peut rebuter. Il importe pourtant d’en explorer le contenu puisqu’il détermine la politique chinoise à venir, en invoquant souvent l’histoire du Parti dont il convient de préserver l’autorité. Dans ce contexte deux expressions nous ont semblé intéressantes à décrypter.
« L’expérience de Fengqiao » (D. H. 30 octobre 2022)
Dans son discours programmatique marquant la clôture du 20e Congrès du PCC ce 23 octobre, Xi Jinping a évoqué, au nombre des recommandations faites à tous les membres du Parti, « l’expérience de Fengqiao », présentée comme un modèle auquel se conformer sur l’ensemble du territoire de la RPC.
A quoi renvoie cette « expérience de Fengqiao » ? Disons d’abord que Fengqiao est le nom d’un district de la province côtière du Zhejiang (capitale Hangzhou), celle où se concentrent les firmes tentaculaires comme Alibaba, les mégapoles de l’import-export que sont Ningbo et Wenzhou et le plus grand nombre des milliardaires chinois. Ces caractéristiques que je viens d’énoncer n’étaient évidemment pas d’actualité au moment du déclenchement de la fameuse « expérience » puisqu’elle a eu lieu en 1963. La date a son importance : 1963, ce n’est pas encore la Révolution Culturelle (qui débutera en 66), mais c’est après le Grand Bond en avant (en 58) et surtout au lendemain de 3 années désastreuses où le climat est venu prêter main forte à des décisions politiques hasardeuses pour semer dans toute la Chine la disette, et dans beaucoup d’endroits la famine. La période 62-65 est, sur fond de désaccord très net entre la Chine et l’URSS (considérée comme « révisionniste »), une période où l’on voit rebondir à Pékin une féroce, mais encore larvée, « lutte de lignes » sur le plan idéologique. Se souvenir que Mao, l’artisan du Grand Bond, a été mis en minorité au Plenum qui s’est tenu aux Monts Lushan à l’été 59 et qu’il entend bien reprendre la main sur ses adversaires dans le Parti.
Dès le début de l’année 63 est mis en place un « mouvement vers la base » (« xiafang ») : les cadres supérieurs doivent se mêler aux paysans et pratiquer les « Quatre avec » (« sitong ») : habiter avec, travailler avec, manger avec, discuter avec… Il s’agit d’assainir le fonctionnement du Parti, le rendre plus proche du peuple et d’éviter de voir une nomenklatura de type soviétique en prendre les commandes. Le projet de résolution du Comité Central du 20 mai 63 définit donc en ce sens les modalités du nouveau style de vie des membres du Parti. Ce texte, rédigé sous la direction de Mao, est connu sous le nom des « Premiers dix points ». C’est là qu’apparaît, dans le cadre d’un renforcement de l’éducation idéologique globale, la directive des « Quatre nettoyages » (« xiqing »), expérience, tentée d’abord dans le district de Baoding au Hebei, qui vise à la clarification des comptes, à l’inventaire des stocks de céréales, à l’utilisation des biens publics, à la participation des cadres au système productif. La lutte doit se concentrer sur l’éradication des activités subversives (celles des « quatre éléments pernicieux » : les corrompus, les spéculateurs, les voleurs et les dégénérés), étant bien entendu que les erreurs des cadres ruraux appartiennent, elles, à la catégorie des « contradictions au sein du peuple » et doivent donc être traitées « par la discussion et la persuasion ». Or, dès septembre de la même année, un nouveau texte paraît sur « le Mouvement d’Education socialiste à la campagne » qui sera baptisé les « Seconds dix points » où l’aspect proprement idéologique est fortement estompé et où la directive des « Quatre nettoyages » est maintenue et semble même s’y être amplifiée dans le sens d’une certaine réorientation : il est désormais davantage question de purifier que d’éduquer. C’est à ce tournant de l’automne 63 qu’il faut placer « l’expérience de Fengqiao » dans le Zhejiang.
Revenons à Xi Jinping et à son discours de ce 23 octobre 2022. C’est à la page 54, dans un chapitre intitulé : « Perfectionner le système de gouvernance sociale » qu’est mentionnée « l’expérience de Fengqiao » préconisée pour, je cite, « améliorer l’efficacité de la gouvernance sociale » en vue d’une meilleure « gestion des contradictions au sein du peuple ». Il est clair que ce système résumé par les trois mots : « concertation, synergie et partage » recouvre un projet de contrôle de la population qui viendrait doubler et renforcer le fichage pur et simple déjà en place par l’instauration du « crédit social » et les procédés largement mis en œuvre de « reconnaissance faciale » et de contrôle strict de l’Internet. Dit autrement, en fait de « concertation, synergie et partage », « l’expérience de Fengqiao » préconise ni plus ni moins qu’un « flicage » permanent de la population par elle-même. Ce que Xi Jinping baptise par euphémisme « une gestion en mode de maillage » (ibid.) n’est autre que la mise en place d’un filet aux mailles plus fines pour traquer au plus près les « mauvais comportements » (liés à des religions, sectes ou autres formes de dissidence). Il semble faire peu de doute que la population chinoise ne voit pas d’un bon œil les « expériences » du type Fengqiao : ce système de critique-autocritique à tous les échelons débouchant 9 fois sur 10 sur des injustices et des brimades, elle ne l’a que trop amplement connu tout au long de la Révolution Culturelle et le souvenir qu’en ont gardé toutes les familles est encore douloureux. L’annonce de ce retour en arrière mal perçu dans une déclaration d’intention si solennelle montre, à tout le moins, que Xi se sent suffisamment fort à l’issue de ce 20e Congrès (ou veut le faire croire) pour faire planer cette menace que la population exècre. Elle interroge d’autant plus qu’elle semble totalement incompatible avec les proclamations de maints autres chapitres où il n’est question que de mettre la Chine en conformité avec un système juridique basé sur le respect d’un ensemble de lois rigoureusement articulées et appliquées selon les termes du Droit à majuscule !
Reste que Xi Jinping, dont on a bien compris que la seule pointure qu’il ambitionne de chausser n’est autre que celle de Mao lui-même, tient visiblement beaucoup à réactiver le « contrôle des masses par elles-mêmes » en quoi consista à partir de 63 « l’expérience de Fengqiao » puisqu’Internet nous renseigne sur la tenue en décembre 2018 d’un symposium du PCC à Shaoxing (au Zhejiang bien sûr) pour célébrer solennellement le 55ème anniversaire de ladite « expérience ».
Notons que l’ironie de l’Histoire a fait apparaître a posteriori que si les « Premiers Dix points » de 63 furent bien dictés par Mao lui-même et dans le droit fil de « la ligne maoïste », les « Seconds Dix points » dont s’inspirait « l’expérience de Fengqiao » étaient ourdis par la « ligne » adverse (à savoir celle qu’on devait appeler un peu plus tard « droitière » et qui comptait dans ses rangs, entre autres, Liu Shaoqi et Deng Xiaoping). A l’époque le glissement de lignes est passé inaperçu, sauf de quelques-uns qui déjà le dénonçaient par le slogan : « Da zhe hong qi fan hong qi » (« Brandir le drapeau rouge pour combattre le drapeau rouge »).
Chinois, gare à vous, Big Brother vous a à l’œil et cent Small Brothers sont parmi vous !
« Cygnes noirs et rhinocéros gris »
Le rapport de Xi Jinping marquant la clôture du 20e Congrès rappelle à la page 24 que la Chine, dans un contexte international incertain mais globalement hostile où « les risques d’endiguement risquent de s’aggraver à tout moment », n’est pas non plus à l’abri, chez elle, de « nombreux problèmes tenaces et récurrents » dans sa lutte contre la corruption. Les « cygnes noirs » évoquent ici, de manière classique, les événements hautement imprévisibles qui peuvent néanmoins surgir à tout moment et s’avérer porteurs de malheur et de difficultés inopinées comme par exemple une crise financière mondiale. Les « rhinocéros gris », quant à eux, sont des dangers et menaces plus visibles et identifiés. Le problème de la revendication d’indépendance de Taïwan peut être évoqué sous ce nom. Constitue aussi un véritable troupeau de « rhinocéros gris » tout l’éventail des personnages qui, profitant de la bienveillance (pour ne pas dire plus) du Parti sous l’ère Hu Jintao, ont amassé des fortunes colossales en s’engouffrant dans l’immobilier (« Evergrande » entre autres), la vente en ligne (Alibaba), les achats et investissements à l’étranger (Fosun, acheteur du Club Med)… (liste non exhaustive) et ont mis en danger l’équilibre financier à l’échelon national par leurs sources de capitaux, le délire de certains de leurs projets et des degrés d’endettement colossaux.
On sait ce qui arrive désormais aux « rhinocéros gris » quand ils dépassent trop le stade où le Parti peut fermer un œil et regarder ailleurs : les suicides se sont multipliés ces dernières années, les « démissions » vont bon train et on ne compte plus les « disparitions » temporaires plus ou moins longues dont le « disparu » revient, profil bas, en arguant avoir eu besoin de repos.
Visiblement Xi Jinping compte bien maintenir son bras de fer au même niveau et l’éviction (mise en scène ?) de Hu Jintao de la tribune officielle du Parti est un signal qui leur est adressé : plus d’oreille complaisante dans les instances du Pouvoir ! La sévérité est d’ailleurs très clairement affichée à la page 70 et elle vise jusqu’aux « mouches » (les petits responsables locaux qui ferment trop volontiers les yeux contre quelques miettes) : « Nous punirons résolument les « mouches » […] et sanctionnerons fermement la famille (conjoint, enfants et leurs conjoints) et l’entourage proche des cadres dirigeants qui exercent un trafic d’influence. » Le recours à un système de responsabilité familiale, qui a toujours été en vigueur sous l’Empire, est une des marques du pouvoir selon Xi Jinping : il s’agit d’intimider (et tous les moyens sont bons) tous ceux qui pourraient se laisser tenter. L’objectif à atteindre pour faire advenir « une Chine saine » c’est que « tigres, renards, rhinocéros et mouches » ne puissent plus bouger une patte hors des clous. Une devise résume tout et à chacun(e) de bien se la mettre dans la tête : « NE PAS OSER, NE PAS POUVOIR, NE PAS SONGER ». A bon entendeur salut !
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