Ceci est une réaction à l’article Pour un plan quinquennal, par Khanard qui faisait référence à mon précédent billet (Obtenir une augmentation générale…) et le texte s’étant un peu étoffé, j’ai proposé à Paul Jorion d’en faire un nouvel article.
Si le principal argument qui nous vient pour défendre une proposition en faveur du changement est de prétendre à son réalisme, il est presque certain que la cause est perdue d’avance puisque continuer comme avant, refaire ce qui existe déjà sera toujours plus réaliste que n’importe quelle autre nouveauté fût-ce une planification dont on ne sait quel glissement de mentalité la ferait envisager et encore moins quel changement d’habitudes permettrait de la mettre en œuvre ! Et si nous entrevoyons la possibilité d’un glissement de mentalité voire d’un changement d’habitudes peut-être est-il opportun de nous demander comment utiliser cette dynamique au mieux ? En l’occurrence, l’ampleur du changement c’est-à-dire le maximum d’effet est aussi important, me semble-t-il, que la proximité du neuf d’avec le point de départ, ce minimum de changement censé nous rendre une proposition plus réaliste.
Le capital n’a pas conquis le pouvoir de mener la danse en faisant de la philanthropie et nous ne le convaincrons pas de se mettre à la planification pour sauver la planète si la rentabilité des fonds investis reste le critère d’affectation des ressources. Le capital se fout des limites physiques de notre planète et contrairement à ce qu’il plait à quelques scientifiques orgueilleux de croire, nous n’avons pas développé une civilisation machiniste carbonée parce que les ressources idoines étaient abondantes. Le principe de rentabilité du capital investi est l’aiguillon qui permît de privilégier telle invention à telle autre. La disponibilité de la ressource est restée un facteur secondaire – une aubaine au mieux. D’ailleurs, l’énergie et les matériaux n’ont jamais été gratuits et ce qui permît de préférer une ressource plutôt qu’une autre ne fût pas le souci de préserver l’écosystème encore moins le bien-être du client final (du consommateur) mais la rentabilité.
Pour qui douterait du fait que le capital ne se soucie pas tant du client final il est possible de se référer à l’exemple de l’épicerie comparé à celui des transports : nous avions traditionnellement des épiceries de quartier à taille humaine où chacun pouvait se rendre à pied, à cheval ou à bicyclette pour faire ses courses en toute intimité pourrait-on dire, un service personnalisé s’il en fût ! Puis naquît la grande distribution qui n’eut de cesse d’augmenter la taille des magasins, d’édifier des centres commerciaux de plus en plus immenses pour attirer le plus de monde possible dans une sorte de célébration collective de la consommation. Dans le même temps l’industrie des transports se développait. Et que proposa notre société à cet individu que l’on poussait à la geste collective, à la co-consommation quasi cathartique dans les hypermarchés ? De la voiture individuelle de préférence au détriment du transport en commun pourtant plus conforme à l’esprit des grandes surfaces commerciales ! Et l’on construisit d’immenses parkings aux abords des centres commerciaux pour que le client s’y déplace en voiture individuelle afin de sacrifier à l’acte collectif d’achat. On avancera crânement que c’est pour le confort et le bien-être du client final – du consommateur. La réalité plus prosaïque n’est-elle pas qu’édifier d’énormes surfaces de vente permet de réaliser des économies d’échelle, d’atteindre une meilleure rentabilité et que dans le même temps la multiplication des voitures individuelles fournit un déboucher à l’investissement dans des usines de fabrication suffisamment grandes pour optimiser les économies d’échelle, gage d’une meilleure rentabilité également ?
Le capitalisme ne tenant pas son pouvoir du « bien » apparent qu’il exhibe, il n’est pas possible de l’en dessaisir uniquement en proposant un « bien » plus élevé, si tant est d’ailleurs que nous parvenions à convaincre que ce dernier surpasse le premier (le bien apparent) auquel le plus grand nombre est habitué – et manifestement nous n’y parvenons pas. Tant que le capital conservera son pouvoir de nuisance il est peu probable que nous obtenions de lui d’accepter de concevoir et de mettre en œuvre une planification écologique. Et les chances ne sont guère plus sérieuses de lui faire adopter une économie de guerre, d’arrêter la publicité, de sortir du nucléaire… Du moins ces propositions ne sont-elles pas intrinsèquement plus réalistes que d’autres visant d’abord à déchoir le capital de son pouvoir exorbitant ? Au demeurant notre stratégie à l’encontre du capitalisme ne saurait se limiter à la proclamation qu’il faut en sortir pendant que nous allons quémander le bon vouloir de ceux qui sont au service du même capital. Nous devons essayer d’agir positivement et si besoin cesser-de-faire, mettre dans la balance notre inertie de groupe, ce que permet précisément l’appel à la grève du début de semaine. Peut-être est-il possible d’ajouter qu’un mouvement social dont la principale revendication serait d’exiger un plan quinquennal paraîtra certes original mais aucunement réaliste et fort impuissant (pire qu’obtenir une augmentation des salaires et plus) à soulever des foules.
Et comment peut-on résoudre au mieux cette question de la défaisance du capitalisme qu’en s’attaquant à son principe fondamental dont nous devons une meilleure compréhension à Paul Jorion ? C’était bien le sens de mon article précédent et de bien d’autres sur ce blog. Instituer et institutionnaliser la répartition de toute richesse créée avec le concours de la collectivité est le moyen de dessaisir l’actionnariat de son privilège afin qu’il soit possible d’asseoir d’autres façons de vivre ensemble, selon un raisonnement que j’ai esquissé également dans un article précédent. Sur la base d’un nouveau principe dont l’avènement prendra à peine autant de temps qu’il fallut à nos ainés de 1789 pour abolir le privilège féodal, la rentabilité du capital ne sera plus le critère d’affectation de nos ressources. Ne serons-nous pas alors plus à même de concevoir et de mettre en œuvre une planification ou toute autre transformation à des fin de sauvetage de notre écosystème ? Ne serons-nous pas, en définitive, plus à même de changer de société ?
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