Billet Ukraine : savoir s’imaginer à la place de complets tarés, le 21 septembre 2022
La description de cette personne comme « complet taré » est certes franche, mais aussi correcte – pratiquement au sens médical du terme.
Konstantin Malofeyev a toutefois une qualité importante : il n’est pas président de la Fédération de Russie. C’est au discours de Vladimir Poutine hier matin qu’il faut s’intéresser, et pour cela remonter à la source, en l’occurrence sa transcription sur le site du Kremlin, sur laquelle la traduction automatique par DeepL fonctionne très bien.
Dans les passages « nucléaires » de ce discours, qui font tant de bruit, je dirais qu’il y a deux parties, la première qui suit totalement ordinaire, banale et pour tout dire raisonnable :
Le chantage nucléaire est également impliqué (…) des déclarations de certains hauts représentants des principaux pays de l’OTAN sur la possibilité et l’admissibilité d’utiliser des armes de destruction massive – des armes nucléaires – contre la Russie.
À ceux qui font de telles déclarations sur la Russie, je voudrais rappeler que notre pays possède également divers moyens de destruction, dont certains composants sont plus avancés que ceux des pays de l’OTAN.
Sans doute, Poutine parle de déclarations qu’il a inventées – aucun chef d’Etat occidental par exemple n’a parlé de tirer au nucléaire sur la Russie. Mais le fond de ce qu’il dit n’est que ceci : si quelqu’un utilise des armes nucléaires contre la Russie, la riposte sera nucléaire.
Et alors ? La belle affaire ! On le savait déjà, c’est vrai aussi de la France, du Pakistan etc. généralement de toute puissance nucléaire. Ca tombe sous le sens, aussi.
La deuxième partie est plus intéressante. Et certainement pas ordinaire :
Si l’intégrité territoriale de notre pays est menacée, nous utiliserons bien sûr tous les moyens à notre disposition pour défendre la Russie et notre peuple. Ce n’est pas du bluff.
La question n’est pas le principe – protéger l’intégrité de son pays y compris avec du nucléaire – mais les circonstances. Car Poutine est sur le point d’intégrer à la Fédération de Russie quatre nouveaux membres, anciennes régions d’Ukraine présentement occupées en totalité ou en partie par les forces russes (total 109.000 km², presque un tiers de l’Allemagne, et 9 millions d’habitants en temps normal… ce n’est pas tout petit !)
Et le message est clair… il s’agit certes de l’intégrité territoriale de la Russie d’aujourd’hui (rien de neuf), mais aussi de ces quatre nouvelles provinces ! Poutine dit que dès leur intégration elles seront protégées par la dissuasion nucléaire russe.
Y compris donc au cas où une Ukraine survitaminée à la mobilisation générale, au patriotisme défensif et aux armements occidentaux parviendrait à repousser les forces russes et à menacer de rétablir son contrôle sur l’une de ces provinces. Dans ce cas, sous-entend Poutine, le nucléaire russe entrerait en jeu : « Ce n’est pas du bluff »
Je ne suis pas dans la tête du président russe, mais il faut envisager en effet que ce ne soit pas du bluff. Car après tout, entre Ukraine et Russie, une seule est une puissance nucléaire. Et l’Ukraine dans de telles circonstances se trouverait à peu près aussi démunie que le Japon en 1945 devant le président américain Truman.
Ça, ce n’est pas ordinaire DU TOUT !
Je me demande si la principale conséquence de cette décision, outre naturellement sécuriser à Moscou le contrôle de ses quatre nouvelles conquêtes en Ukraine, ne sera pas de pousser beaucoup de pays à se doter eux aussi d’armes nucléaires. Car enfin, Poutine est en train de faire la démonstration qu’on peut conquérir une partie d’un pays et « bloquer » ses conquêtes… du moment que l’agressé n’a pas lui-même de dissuasion nucléaire. Pour les pays non-nucléaires, il y a là de quoi s’inquiéter, et peut-être agir.
C’est aussi ce que disait le président américain Biden hier à l’ONU :
Encore une fois, aujourd’hui même, le président Poutine a ouvertement menacé l’Europe de recourir à l’arme nucléaire et a fait preuve d’un mépris total pour les responsabilités du régime de non-prolifération.
Mépris total en effet. Pour que le régime de non-prolifération « tienne », c’est-à-dire pour que les – assez nombreux – pays qui pourraient sans trop de difficulté construire des armes simples maintiennent leur décision de ne pas le faire… encore faut-il que les pays dotés ne leur fassent pas trop peur !
Il y a aujourd’hui neuf puissances nucléaires. Et dans dix ans, combien ?
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