Un appel à la métamorphose urgente des sciences de gestion, par Laurent Lievens

Lettre ouverte à la communauté universitaire

7 septembre 2022

Face à l’Écocide planétaire, mettre fin au business-as-usual : appel à la métamorphose urgente des sciences de gestion.

« Toute métamorphose paraît impossible avant qu’elle survienne. »1

Edgar Morin, 2008.

Aux ancien·ne·s, actuel·le·s et futur·e·s membres de la communauté universitaire, étudiant·e·s, collègues chercheur·e·s, professeur·e·s et membres du personnel administratif et technique, j’ai présenté tout récemment ma démission pour l’ensemble des cours en relation avec la Faculté des sciences de gestion de l’UCLouvain, la Louvain School of Management (LSM). Par cette lettre ouverte à la communauté universitaire, je souhaite faire usage public de la raison critique2, et lancer un appel urgent à l’action.

Durant ces vingt dernières années, j’ai servi loyalement, avec motivation et confiance, mon alma mater, l’Université catholique de Louvain. Très tôt, j’ai fait partie des personnes inquiètes de la catastrophe écologique et humaine en gestation, avec la volonté de m’engager au service de la société. Après cinq années d’études aux Facultés universitaires catholiques de Mons (aujourd’hui l’UCLouvain FUCaM Mons), j’ai obtenu mon diplôme d’Ingénieur de gestion en 2007. J’ai également obtenu un Master en sciences et gestion de l’environnement auprès de l’Université libre de Bruxelles en 2009 ainsi qu’un Bachelier paramédical en psychomotricité relationnelle au Centre d’Enseignement Supérieur pour Adultes en 2020. Ces trois diplômes ont chacun été réussis avec grande distinction.

En 2015, j’ai présenté une thèse de doctorat3 en sciences politiques et sociales portant sur la pensée et le mouvement de la décroissance, qui a recueilli l’enthousiasme de l’ensemble du jury. J’ai ensuite enseigné à l’UCLouvain comme chargé de cours invité dès 2015, donnant notamment les cours d’éthique de la communication, d’épistémologie, de compétences relationnelles, de compétences managériales, de responsabilité sociétale des entreprises. J’ai vécu de l’intérieur l’évolution de la Louvain School of Management et le développement de son organisation, de son enseignement et de sa recherche. En ce mois de septembre 2022, ma thèse est parue sous la forme d’un livre intitulé « Décroissance et néodécroissance. L’engagement militant pour sortir de l’économisme écocidaire »4. Je suis également engagé au sein de la société à de multiples niveaux. Ma prise avec le réel – la terre, la matière, le vivant, le corps, l’autre – est aussi assurée par mes activités extra-académique comme la menuiserie, le secourisme, la supervision d’équipes de soins, l’accompagnement thérapeutique, etc. Ainsi, nul ne peut me soupçonner de ne pas disposer de la légitimité nécessaire pour exprimer mon opinion critique sur l’état actuel de la LSM dans une perspective sociétale hic et nunc.

Dans mon rôle d’étudiant, de chercheur et d’enseignant, j’ai cru jusqu’à aujourd’hui en la capacité de changement de la LSM face à la gigantesque accélération de l’évolution du monde. J’ai tenté, dans la mesure de mes modestes moyens, d’insuffler de l’intérieur une prise de conscience des mégaphénomènes scientifiquement avérés de l’Anthropocène5, de la Grande Accélération6 et de l’Écocide. Par leur simple existence, ces mégaphénomènes imposent de facto de métamorphoser de toute urgence l’enseignement et la recherche, notamment dans les sciences de gestion. Pourquoi ? Parce que ces mégaphénomènes constituent une menace existentielle pour l’humanité et une très large part du vivant. Parce qu’ils ébranlent les fondations épistémologiques de la connaissance, de la science et de l’université. Parce qu’ils démontrent que les sciences (économiques et) de gestion reposent sur des paradigmes épistémologiques obsolètes. Nous avons changé d’ère géologique et la condition humaine s’en trouve définitivement modifiée. Notre métaphysique et notre éthique doivent être actualisées d’urgence dans une biosphère qui se rebelle7. L’action collective des êtres humains dans les organisations fait face à une incertitude radicale et à la nécessité d’un engagement éthique de portée existentielle. J’ai – avec d’autres – la conviction que le maintien du paradigme dominant en sciences de gestion équivaut donc aujourd’hui à une forme criminelle de dogmatisme et d’obscurantisme, contraire à l’esprit des Lumières.

Depuis 20 ans, j’ai vu dans l’institution universitaire un lieu de transmission et d’exploration de la raison critique – le pourquoi ? éthique de la philosophie –, de la capacité à élaborer une pensée complexe, de la mise en lien des savoirs dans la continuité du projet d’émancipation des Lumières. Je déplore aujourd’hui que ce projet d’émancipation ne soit plus au cœur de l’institution de la LSM, et que cette dernière passe radicalement à côté de l’urgence d’un changement de paradigme, dont l’ensemble de la société et du vivant ont pourtant besoin. Désormais, je fais le constat inquiétant que la raison instrumentale – le comment ? technique de la science sans conscience a pris une tournure de plus en plus totalitaire au sein de l’enseignement des sciences de gestion : les méthodes quantitatives, la finance de marché, le droit d’entreprise, la comptabilité, la gestion des « ressources » humaines, la logistique, l’informatique, la fiscalité, la micro et la macro-économie, le marketing tels qu’enseignés aujourd’hui sont des instruments qui servent des fins désormais illégitimes.

Le cadre capitaliste de notre civilisation – et sa version néolibérale actuelle – ainsi qu’une pensée hors sol, un réductionnisme maladif, une obsession du quantitatif et un déni des limites8, donnent lieu à un illimitisme forcené, une démesure extractiviste, productiviste et consumériste, une croissance délétère ainsi qu’une foi béate dans la technoscience salvatrice9. C’est à ce cadre-là que contribuent les sciences de gestion, en étant parmi les instruments les plus efficaces de son expansion. Cette véritable mégamachine10 conduit obligatoirement une très large partie du vivant – dont l’humanité – aux effondrements. Il y a plus de 50 ans (!), le rapport Meadows11 signifiait déjà l’impossibilité du maintien de ce système et depuis lors les consensus et alertes scientifiques n’ont cessés d’abonder dans ce sens12.

Ce n’est pas une métaphore, nos forêts sont en train de brûler, nous passons de canicules et sécheresses en inondations, nos sols et nos eaux se stérilisent, les ressources alimentaires sont menacées, la fréquence des zoonoses explose, les écosystèmes s’effondrent… et nous regardons ailleurs. Sur 9 limites planétaires étudiées, 6 sont déjà dépassées13 : le climat, la biodiversité, les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’occupation des sols, l’utilisation mondiale de l’eau, la présence d’entités nouvelles (dont les plastiques) dans la biosphère. En 50 ans les populations de vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) ont diminués de presque 70 % sur la planète14, essentiellement à cause des activités humaines. En 2017, 25 ans après un premier appel, quinze mille (!) scientifiques de 184 pays publiaient un second manifeste15 alertant de la trajectoire de collision de notre modèle sociétal avec le vivant si le business-as-usual était maintenu. L’ONU annonce entre 200 et 250 millions de réfugié·e·s climatiques dans le monde d’ici moins de 30 ans16. Nous avons vécu la plus grande pandémie mondiale depuis celle de 1918, dont les causes sont intimement liées à l’Écocide planétaire, au point que nous sommes entrés dans l’ère des pandémies17. Nous assistons à la plus grande guerre sur le continent européen depuis la Seconde guerre mondiale, et la plus grande crise énergétique depuis le 1er choc pétrolier en 1973. Voilà les faits scientifiques, validés par la communauté scientifique internationale, selon la méthode scientifique. Les sciences économiques et de gestion ne peuvent continuer à les ignorer.

Mais les chiffres s’accumulent ad nauseam, l’ensemble de nos voyants passe au rouge et malgré les discours grandioses, les réactions sont anémiques. Du déni collectif s’accumulant depuis un demi-siècle ! Aujourd’hui, l’inertie nous tue en masse. D’éminents juristes de réputation internationale tentent de formuler un nouveau crime contre l’humanité, celui d’Écocide18, dont la gravité éthique pourrait être comparable à celle du crime de génocide. Face à la démesure de cette situation, la question de la résistance ou de la collaboration de chaque individu et de chaque organisation au business-as-usual est éthiquement inévitable. De plus en plus de citoyen·e·s, notamment parmi les plus diplômé·e·s, refusent désormais de travailler pour des organisations qu’ils et elles considèrent comme collaboratrices de l’Écocide en cours.

C’est donc d’abord et avant tout pour son inaction structurelle19 face à l’Écocide que je me dissocie aujourd’hui de la Louvain School of Management et démissionne de tous les cours reliés à cette Faculté. Si ma foi en le projet d’émancipation des Lumières porté par l’Université reste intact, et si je ne souhaite pas démissionner de l’UCLouvain à ce stade, je souhaite, par ma démission et cette lettre ouverte, manifester mon intention de ne plus collaborer à la trajectoire de déni et d’inaction de la LSM et lancer un appel à l’action. Mes motivations étant exposées, l’exercice public de la raison critique m’impose de me justifier par une argumentation faite de « réflexions soigneusement pesées et bien intentionnées sur ce qu’il y aurait d’erroné dans ce corps doctrinaire »20 .

Ainsi, la confiance que je portais à la LSM s’est lentement érodée vu son déni et son inaction, mais elle s’est franchement rompue suite à une réforme des programmes de cours qui sera implémentée dès cette rentrée 2022. Si cette réforme ne suffit pas à justifier à elle seule mon action, c’est clairement la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ainsi, pour les trois années de bachelier totalisant 180 crédits ECTS, ceux attribués à la « formation pluridisciplinaire en sciences humaines » passent de 26 à 19 pour les étudiant·e·s en sciences de gestion et à 14 pour les étudiant·e·s en Ingéniorat de gestion. Une baisse quantitative conséquente, mais également qualitative : de cette coupe en règle, il ne restera à partir de cette rentrée plus aucun cours de philosophie, de sociologie, de sociologie des organisations, de psychologie, d’histoire économique et sociale, etc., pour ces étudiant·e·s. Mes interpellations écrites aux autorités – restées sans réelle réponse – et la consternation de plusieurs collègues (de la LSM et d’autres Facultés) n’auront pas suscité la moindre remise en question de cette réforme.

Pourtant celle-ci n’est pas seulement un anachronisme complet vis-à-vis du monde réel – que nous avons décrit ci-dessus –, mais vient dramatiquement et en totale inconscience accentuer la trajectoire actuelle des programmes en sciences de gestion, sabotant les quelques cours encore susceptibles d’apporter un esprit critique vis-à-vis de l’idéologie managériale écocidaire. Nous touchons ici de très près ce que le sociologue et philosophe Edgar Morin nomme la haute crétinisation universitaire produisant, selon ses termes, un obscurantisme accru et une pensée mutilante.

C’est en effet l’organisation d’une destruction pure et simple d’une large part des fondements humanistes et critiques qui subsistaient encore péniblement au sein de ces formations. À la place, nos étudiant·e·s bénéficieront de cours directement axés sur la pratique gestionnaire (psychologie économique, éthique et RSE, informatique de gestion, etc.) et pour lesquels rien n’indique la moindre contribution à une remise en question du paradigme gestionnaire dominant. La raison instrumentale devient ainsi peu à peu totalitaire, ayant réussi son autodafé contre la raison critique.

En cette rentrée 2022, j’ai donc de très sérieuses craintes face à l’avenir, en me souvenant être ici dans une Faculté de sciences de gestion, qui prétend former les futur·e·s cadres – les gestionnaires – de nos organisations : petites, moyennes et grandes entreprises, associations, collectivités territoriales, administrations, Régions et Communautés, État même puisque des ingénieurs de gestion occupent des fonctions ministérielles. Ce sont notamment celles et ceux qui demain dirigeront des équipes, orienteront des choix industriels, créeront des entreprises, mettront en œuvre les politiques publiques, planifieront l’innovation sociale et technique, assureront l’assemblage des ressources nécessaires à l’action collective, orienteront la vision des associations, seront confronté·e·s aux décisions stratégiques et opérationnelles de la gestion de toute organisation.

Combien d’étudiant·e·s subiront le formatage d’une raison instrumentale écocidaire, dénuée de toute raison critique ? Au vu de l’appareillage idéologique dont la LSM les dotera – totalement hors-sol et ignare des fonctionnements systémiques et complexes du vivant – je crains pour l’avenir de ces diplômé·e·s et redoute leur désemparement face aux risques sociétaux déjà bien présents et à venir.

L’enjeu de la formation et de la recherche en sciences de gestion, vu le rôle décisionnaire au plus haut niveau que joue nombre de ses diplômés, et l’influence de nombre de ses académiques, est tout, sauf anecdotique face à l’Écocide.

Comme de plus en plus d’entre nous, en particulier parmi les jeunes étudiant·e·s et chercheur·e·s, je souffre d’écoanxiété. Jusqu’à quel niveau de dégradation du vivant (sociétés humaines y compris) faudra-t-il s’enfoncer pour s’émanciper d’une idéologie illimitiste toxique et quitter la trajectoire actuelle ? Encore combien de rapports, articles, appels, colloques, congrès, analyses, avant de dépasser le déni, l’inertie et délaisser greenwashing et petits pas19 ? Encore combien de compromissions vis-à-vis des acteurs du business-as-usual, qui ont parfois pignon sur rue au sein de la LSM, avant de s’engager dans d’autres chemins et avec d’autres acteurs ?

Ce cursus universitaire ne m’apparaît à l’évidence plus comme une force progressiste, mais comme un lieu conservateur de reproduction de l’existant, pourtant mortifère, un lieu dévitalisé d’ajustement et de raffinement de la Mégamachine. En tant que scientifique et intellectuel, j’ai à cœur de prendre au sérieux ce que la communauté scientifique indique – même si je mesure que cette démarche n’est apparemment plus centrale chez les conceptrices et concepteurs de la réforme des programmes au sein de la LSM. La connaissance actuellement sérieuse – nourrie par les sciences de la Terre et du vivant, la physique et la thermodynamique, l’approche systémique, etc. – indique que notre modèle sociétal détruit les conditions d’habitabilité de la planète. C’est donc à un changement radical – à la racine – que nous sommes confronté·e·s (la métamorphose telle que définie par Edgar Morin, et le fait de redevenir des Terrestres selon le philosophe Bruno Latour), et la politique des petits pas consistant à saupoudrer les formations de quelques vagues notions de développement durable, d’éthique appliquée ou de transition, en supprimant les cours qui incarnent la raison critique (philosophie, sociologie, histoire, etc.) n’a pas l’envergure requise pour cela. Elle sert au mieux à attirer le futur employé idéal de l’industrie insoutenable et retarde une mutation complète des programmes de formation et de la recherche.

Cette réforme LSM s’apparente néanmoins à un symptôme d’aggravation plus qu’à la cause profonde de la maladie : les sciences économiques et de gestion – dans leurs fondements métaphysiques, épistémiques, éthiques, théoriques et pragmatiques – nécessitent d’urgence une profonde métamorphose pour quitter la trajectoire écocidaire et permettre de gouverner les organisations humaines avec intelligence dans l’Anthropocène. Face à l’échec manifeste de la LSM à s’autoréformer avec l’urgence et le sérieux requis, je prépare un ouvrage collectif de déconstruction-reconstruction afin de nourrir cette métamorphose. J’appelle dès lors toute personne désireuse d’y contribuer, qu’elle soit étudiante, chercheuse, professeure ou citoyenne, à s’associer à cet effort.

Étant donné l’exercice public de la raison critique que j’effectue par la présente, j’imagine mal continuer d’enseigner aux étudiant·e·s de cette Faculté en l’état actuel des choses. Afin de réaligner mes valeurs éthiques avec les faits réels, et préserver mon envie de transmettre les valeurs d’émancipation issues des Lumières, je fais le choix risqué de me démettre de mes fonctions pour me concentrer sur la métamorphose du système et ce, depuis l’extérieur.

Par ce choix que je pose et expose publiquement, je souhaite acter en tant que lanceur d’alerte : aucun diplôme n’a de sens sur une planète morte. Les Universités et l’ensemble des Facultés ont à mes yeux le devoir de se hisser à la hauteur du changement radical que requiert l’Écocide. Si une Faculté en particulier échoue à se réformer par la raison critique, les autres Facultés ont le devoir de faire revenir la brebis perdue au bercail. Si les sciences économiques et de gestion condensent le pire de la conservation de l’existant, les autres champs scientifiques ne sont pas exempts de toute critique. Là aussi, la raison instrumentale règne souvent en maître et a chassé une grande part de la raison critique. Par ailleurs, si la LSM échoue à se métamorphoser, c’est aussi le cas de l’immense majorité des écoles de gestion, et autres business schools, partout dans le monde. La responsabilité de la communauté universitaire dans le déni et l’inaction sociétale face à l’Écocide est donc pleine et entière. L’engagement public de toutes et tous est un devoir éthique. Il est urgent de se métamorphoser.

La destruction créatrice conceptualisée par le célèbre économiste Schumpeter semble notre dernier recours. Si le système échoue à s’autoréformer de l’intérieur – étant incapable de comprendre la nécessité de changer de système et non dans le système – alors gageons que des forces externes se chargeront de réaliser la métamorphose à laquelle les tenants de l’obscurantisme et du dogme se refusent. Déjà, de nombreux projets tels le campus de la transition et certaines formations entament cette bifurcation. Tôt ou tard, la LSM ne pourra y échapper. Les nouvelles générations d’étudiant·e·s et de chercheur·e·s sont en quête de sens. Si la LSM demeure un lieu de reproduction de l’existant, elle subira l’abandon de la communauté qui la fait exister. Et le plus tôt sera le mieux.

C’est donc moins aux éternel·le·s conservatrices et conservateurs de cet existant, qu’aux déviant·e·s – à la source de tous les progrès – que je m’adresse. La nouvelle génération d’universitaires va contribuer à changer le monde. En cette période de rentrée, j’appelle avec force les futur·e·s étudiant·e·s à faire un choix éclairé vis-à-vis des programmes de formation. Au lieu de cours épars servant de vernis à la mode, exigez une connaissance réellement solide vis-à-vis des fonctionnements systémiques de la planète et du vivant dans toutes les formations. Délaissez les cursus n’ayant pas un minimum d’auto-critique, d’épistémologie, de contextualisation historique et de réflexivité sur ses propres fondements paradigmatiques. Fuyez les approches et institutions inféodées au business-as-usual et à ses représentants. Exigez de solides appuis vous permettant de penser de manière complexe, réflexive, (im)pertinente, rationnelle.

N’attendez pas la fin de votre formation – à l’image des étudiant·e·s de l’École polytechnique, d’AgroParisTech ou de l’École d’architecture de Versailles en juin dernier – pour découvrir avec une indignation légitime que ce cursus vous a doté d’une lecture du monde et d’outils en totale inadéquation avec le réel. Exercez une pression maximale, comme les étudiant·e·s rebelles de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC), appuyé·e·s par de nombreux et nombreuses alumnis, pour exiger un virage écologique ambitieux21.

Révoltez-vous dès la rentrée !

La recherche de la vérité et de la réflexivité est à la racine de la mission historique de l’Université. Je vous encourage à vous hisser sur les branches les plus élevées du savoir, en cherchant à déployer l’arborescence des nouvelles connaissances indispensables pour exercer le métier de citoyen dans une époque étouffée par l’obscurantisme et le dogmatisme stériles. C’est l’idéal que je veux défendre pour ne pas renier les fondements de tout ce que, avec beaucoup d’autres, l’Université m’a légué. Rabelais écrivit il y a bien longtemps que science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Depuis de trop nombreuses décennies, cette science sans conscience ruine l’habitabilité de l’unique planète connue pour abriter la vie.

Cher·e·s étudiant·e·s et futur·e·s étudiant·e·s, cher·e·s collègues membres de la communauté universitaire, je vous souhaite une belle rentrée académique, pleine d’audace critique. Il est encore temps de vous inscrire et d’œuvrer dans des Facultés qui ont un avenir et d’organiser la révolte dans celles qui sont tournées vers le passé. Je me révolte, donc nous sommes écrivait Albert Camus il y a plus de 70 ans22. Nous en sommes toujours là.

Laurent Lievens

Ingénieur de gestion, Sociologue, Psychomotricien

Chargé de cours invité (UCLouvain)

Chercheur in(ter)dépendant

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13 réponses à “Un appel à la métamorphose urgente des sciences de gestion, par Laurent Lievens”

  1. Avatar de ThomBillabong
    ThomBillabong

    Bravo à cet enseignant de vouloir réformer totalement le système d’enseignement supérieur de LSM dès sa genèse… comme il faudrait le faire partout, hélas ! Vouloir mettre le système d’enseignement / recherche de LSM en adéquation/alignement avec les enjeux avérés de survie de la terre est une intention louable. Il enfonce pourtant une porte ouverte : il constate que la « gestion » n’est qu’un moyen et pas un objectif. Tout comme la logistique… Mais depuis quand la « gestion » a-t-elle jamais été à la genèse des activités humaines ? C’est l’intendance, comme disait De Gaulle. Pompidou !! Alors oui, mettre l’intendance au service des décisions politiques, telle est bien la place de la « gestion ». Le reste est politique ou de l’ordre des sciences humaines. Au moins cette démission met-elle en évidence une parfaite perte de sens à la splendide roue de Hamster que sont les écoles de gestion et d’ingénieurs, tout au plus auxiliaires beats de la reproduction d’un système mortifère. Surtout si on les dépouille de leur capacité de sens critique en leur ôtant les sciences humaines et philosophiques. Ainsi disparaissent des civilisations. Lui choisit de repartir de zéro ? Puisse son appel au peuple et aux volontés être entendu.

  2. Avatar de Gégé
    Gégé

    M. Lievens, bravo, M. Jorion, merci,

    Et maintenant où est la doctrine (la nouvelle), hormis s’opposer (qui est indispensable), que peuvent faire les étudiants de bac+1 à bac+10 ?
    Cette génération est-elle de facto sacrifiée (déjà obsolète) ?

  3. Avatar de Emmanuel
    Emmanuel

    Mille fois bravo ! Prions pour que ce mouvement prenne corps ! Merci ! Puisse se faire que chacun, là où il est, petit ou grand, puisse agir dans le même sens ! There is no alternative !!

  4. Avatar de Didier Combes
    Didier Combes

    Que cette lettre ouverte soit lue et entendue le plus largement possible. Mercis et bravos.

  5. Avatar de Benjamin
    Benjamin

    Bonjour à tous,

    Prise de position courageuse et (j’espère) salutaire pour la Louvain School of Management !… Mais qui rappelle encore une fois que tant qu’il y a aura la lumière et le chauffage sur les ponts supérieurs du Titanic, l’urgence de la situation restera difficilement palpable pour une grande majorité des « 1ères classes » qui continuera à faire comme elle a toujours fait depuis 5 à 6 décennies.

  6. Avatar de Khanard
    Khanard

    bravo ! oui mille fois bravos ! Acte individuel qui dénote d’une percolation lente mais résiliente dans le monde universitaire. (cf sup agro etc…) . l’idée de mettre en mouvement une adhésion à un nouveau paradigme sociétal est porteuse d’espoir et si vous voulez mon avis il serait logique que tous ces oppressés du monde du savoir se regroupent pour adhérer à ce nouveau paradigme hétérodoxe en formant leur propre « université » .
    Tiens j’ai déjà le nom du doyen qui pourrait agglomérer ce mouvement . Tout le monde ici le connaît .

    Ca tombe bien puisque il y a un autre doyen qui recrute pour faire tourner « SON » CNR. C’est peut être l’occasion de leur mettre les points sur les « i » en essayant d’y participer .

  7. Avatar de Hervey

    Merci pour ce long et riche plaidoyer.
    La « récup » est une pratique bien connue des publicitaires. Elle devient sous la macronie un monopole d’Etat jusqu’à travestir des acronymes (CNR).
    Cynisme et arrogance aux airs de chattemite.

    Dénoncer la tromperie des fausses « métamorphoses ». En annexe.

  8. Avatar de éponine
    éponine

    Serait-il possible d’ajouter les notes à la suite de ce texte ?
    Elles me paraissent indispensables pour étayer le propos de l’auteur, parfaitement clair et construit par ailleurs.

  9. Avatar de P.MATHY
    P.MATHY

    Bravo pour ce courageux constat de décrépitude, d’obsolescence et de soumission aux forces écocidaires auquel l’enseignement des sciences de gestion (et pas seulement elles) est soumis.
    Le paradigme scientifique doit être revisité. Il doit s’écarter résolument du vieux paradigme cartésien. La science doit être conçue comme un moyen de comprendre la nature et de s’y intégrer harmonieusement, et non plus comme un moyen de la soumettre aux désirs vaniteux de l’humain.

  10. Avatar de JeNeSauraisVoir
    JeNeSauraisVoir

    La démarche est courageuse et l’argumentation me semble pertinente. Il faut lui espérer un retentissement à la mesure de l’effort individuel de bifurcation.

    Par retentissement, j’entends une propagation à l’intérieur mais surtout en dehors de la sphère des sciences de gestion. En tant que sciences appliquées, celles-ci et bien d’autres vont à l’endroit où les intérêts dominants de la société les mènent. La déchirure du voile éthique dont on avait pris le soin de recouvrir leur apprentissage, la décision de se débarrasser du parasitage que l’esprit critique sème chez les apprenants confirme bien que l’assujettissement des sciences appliquées aux intérêts dominants est arrivé à un stade hégémonique.

    De fait, il n’est pas certain que le mandarinat des sciences appliquées, si éclairé soit-il, puisse décider de son propre chef d’une réorientation pluraliste des enseignements. Et il y a bien longtemps que nos sociétés sont installées dans cette tartufferie au service du business-as-usual que toute clarification, que la sans-gêne assumée me semblent paradoxalement les bienvenues car accélératrices d’un ras-le-bol généralisé.

    Parce que les sciences de gestion répondent peu ou prou à la question du « comment » rentabiliser au mieux le capital investi, il sera vain, me semble-t-il, de nous appliquer à élargir le champ de vision des étudiants dans le cadre actuel. Si la « communauté des hommes » décide un jour prochain que l’affectation de nos ressources ne doit plus être guidée par la rentabilité du capital investi (si nous déplaçons le « pourquoi » des sciences de gestion), il est assez certain que le personnel enseignant mettra toute son énergie et son intelligence à interpréter le nouveau paradigme.

    Il sera toujours indispensable que l’ensemble des individus de la société ne perdent pas de vue les tenants et aboutissants du nouveau paradigme et que les mécanismes de son amendement soient institués et non laissés aux mains d’intérêts privés comme l’est le capitalisme. Les sciences de gestion en tant que pratique de supervision de la création et de la répartition des richesses sont concernées au premier degré par ce positionnement critique mais elles sont impuissantes pour s’affranchir des rapports de force à l’œuvre au sein de la société.

    C’est donc un combat qu’il faut poursuivre et porter plus en amont jusqu’à la reconfiguration des principes fondamentaux de notre vivre ensemble. Pour cela « la question de la résistance de chaque individu » se pose effectivement !

  11. Avatar de Gege
    Gege

    Laurent Lievens est interviewé, parmi beaucoup d’autres aussi passionnants, dans le documentaire « des arbres qui marchent » (https://desarbresquimarchent.com/). J’ai beaucoup aimé !

  12. Avatar de Guy Leboutte

    Les notes en bas de page manquent ici, elles sont sur lievenslaurent.pbworks.com/w/file/fetch/150322854/Lettre%20ouverte%20%C3%A0%20la%20communaut%C3%A9.pdf.

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