Le temps qu’il fait le 28 février 2014 – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 28 février 2014, une vidéo datant de la période où je ne commandais pas encore plus ou moins systématiquement de retranscription (il y eut entretemps une période de bénévoles – que je remercie au passage).

Bonjour, nous sommes le vendredi 28 février 2014. 

Il y a quelques jours, j’ai fait un billet qui s’appelait : « Dix êtres humains résolus pour sauver une espèce menacée, une espèce en danger » et vous avez pu constater que vous avez été nombreux à vouloir intervenir dans ce débat. Qu’est-ce que j’y disais ? J’y disais essentiellement la chose suivante : c’est que nous sommes parvenus à perfectionner les machines autour de nous à tel point qu’un paradoxe apparaîtra, c’est que ces machines nous survivront alors que nous aurons rendu le monde autour de nous invivable à l’espèce que nous sommes. 

Parmi les gens qui m’envoient des remarques, il y a un petit malentendu parce que ce que j’ai dit n’est pas exactement le thème de Terminator, c’est-à-dire les machines qui se révoltent et qui prennent le pouvoir et qui nous mettent sur la touche. Non, non, ce que je dis, c’est davantage dans la perspective où nous sommes en train de détruire la composition de l’atmosphère autour de nous. Nous sommes en train de détruire le climat qui permet à notre espèce de vivre à la surface de la Terre. Nous allons nous trouver dans un monde où, entre les parties inondées et les parties désertiques, il n’y aura plus d’espace sur lequel nous pourrons vivre.

L’air sera pollué à tel point que nous ne pourrons pas vivre dans ces conditions-là. Vous avez peut-être vu cet article très récent – c’était dans Le Monde, je ne sais pas, avant-hier – sur la composition de l’air à Pékin. Je sais, Pékin, c’est loin. J’ai été à Pékin, je n’ai plus envie de retourner à Pékin. A San Francisco, je ne peux pas retourner parce que je peux peut-être me payer l’hôtel un jour ou deux mais je ne peux plus me payer le loyer qu’on demande là. Pourquoi ? Parce que les 1 % sont là. Ceux qui travaillent, ils travaillent dans la Silicon Valley. Ils sont payés des mille et des cents. On ne peut plus vivre là. Il y a un autre article que j’ai vu dans la semaine écoulée : les professeurs à Oxford en Angleterre ne peuvent plus vivre à Oxford parce que les riches viennent et ils font monter les loyers et le prix des maisons. Tout ça va ensemble. C’est un monde qui devient complètement invivable. 

Par ailleurs, nous sommes très forts, nous sommes très intelligents sur tout sauf à protéger le milieu sur lequel nous vivons et ça, bon, l’hypothèse, c’est une hypothèse qui avait été émise par Jean-Baptiste Auxiètre et j’avais contribué à mettre ça en forme : nous inventons tout et n’importe quoi et si quelqu’un dit : « On peut le vendre, on peut le vendre ! », eh bien, nous le vendons, voilà : on le garde. Ce n’est pas que nous fassions un tri entre ce qui se produisons, c’est que nous produisons tout ce qu’il est possible de produire. Il n’y a pas de tri qui est opéré. Si quelqu’un trouve un usage quelconque et trouve un prix à coller dessus et des gens pour l’acheter, eh bien, ça aura lieu.

Alors, un monde qui va où ? Nous, espèce, nous allons disparaître. Regardez l’article hier sur la fécondité masculine, la densité des spermatozoïdes dans le sperme en France. Ça a baissé d’un tiers en 16 ans, voilà. Voilà le monde dans lequel nous vivons. Nous le rendons impossible à vivre pour nous. 

Les machines, nous ne sommes pas loin : c’est peut-être déjà fait quelque part dans un coin, les logiciels qui produisent d’autres logiciels, les logiciels qui produisent de nouveaux robots, etc. En fait, si vous avez fait un peu d’informatique, ce n’est pas ça la chose la plus difficile, de même que ce n’est pas de donner des sentiments, des émotions à la machine, ce n’est pas très difficile non plus : j’avais indiqué il y a quelques années comment le faire. 

Ce qui nous rend humains à nos propres yeux, c’est essentiellement – c’est Lacan qui l’avait dit – les effets de ratages : c’est parce que ça ne marche pas trop bien la manière dont nous faisons les choses. Nous trouvons ça génial et nous avons tiré parti du fait que nous avons en permanence quinze stratégies qui se développent dans notre tête et que nous passons facilement de l’une à l’autre parce que nous n’arrivons pas à en développer une entièrement. C’est surtout parce que nous fonctionnons avec des à-coups et de manière pas tout à fait fiable que nous trouvons ça extraordinaire : c’est « le côté humain ». Ce n’est pas non plus le plus difficile à reproduire dans une machine. En fait, là aussi, c’est relativement simple à faire. 

Où est-ce que j’en suis ? Pourquoi est-ce que j’ai lancé cet appel ?D’abord parce qu’il y a une évolution que j’ai vue se développer au cours des années récentes et ensuite en raison de deux évènements récents. 

L’évolution que j’ai vue, c’est essentiellement… Vous savez, bon, moi, je m’intéressais au monde, je m’intéressais à la façon dont ça se passe, etc., je dirais un petit peu en amateur, jusqu’à ce que je me retrouve dans cette situation à me retrouver non pas au cœur de la crise des subprimes mais si près de la crise des subprimes qu’il ne fallait plus qu’un tout petit geste de ma part pour aller me faire embaucher dans une compagnie qui faisait des subprimes et aller voir comment ça se faisait, parce que j’avais, à ce moment-là, le type de curriculum vitae qui intéresserait une société de ce type-là et je suis allé le montrer à celle qui serait responsable de l’effondrement parce qu’il était clair pour moi – j’avais déjà terminé mon manuscrit où j’expliquais l’effondrement des subprimes – il n’était pas difficile de savoir que ce serait Countrywide qui serait à l’origine de l’effondrement total. Alors je suis allé me présenter quelques fois. Je crois que c’est à la troisième fois que je suis allé à un entretien d’embauche qu’ils m’ont pris et voilà, je me trouvais au front.

Alors, qu’est-ce qui s’est passé depuis 2007-2008 ? Eh bien, nous avons – et quand je dis « nous avons » je ne vais pas vous faire la liste des noms mais vous les connaissez : Emmanuel Todd, Lordon, etc., voilà – nous proposons, et Joseph Stiglitz (il n’y a pas que des francophones !), nous proposons, nous disons ce qu’il faudrait faire pour essayer de sortir de la situation où on est. Et qu’est-ce qu’il se passe ? Nos dirigeants font systématiquement le contraire. Bon, ils font le contraire de ce qu’il faudrait pour essayer de nous sauver. Systématiquement. Les exemples les plus récents sont à la limite de l’hilarant, du comique, du ridicule. Ils font exactement le contraire de ce qu’il faudrait pour sauver ce système que, par ailleurs, on a l’impression qu’ils aiment beaucoup. C’est le paradoxe, c’est le « paradoxe de Keynes » je dirais que, finalement, les gens qui donnent des bons conseils pour sauver le système dans lequel nous sommes sont des gens qui ne l’aiment pas du tout ou alors extrêmement modérément, mais en disant : « Voilà, vous voulez le réparer ? Eh bien, il faudrait faire comme ça ». Et nos dirigeants, systématiquement, font exactement le contraire depuis 2008, exactement le contraire. Bon, quand je parle de choses ridicules, des gens qui gagnent je ne sais pas combien, je ne vais pas dire combien ces gens gagnent mais ce sont des chiffres, bon, c’est 8 fois, 80 fois, 800 fois ce que je gagne moi en faisant ce que j’essaye de faire et qui vous disent : « Le problème ? C’est les intermittents du spectacle ! ». Bon, s’il y avait des dieux, ils foudroieraient ces gens au moment même où ils parlent et on aurait la confirmation que des dieux existent effectivement mais, manifestement, ils ne sont pas là et ces gens sortent de la salle de conférence de presse en bonne santé. 

Bon, alors, ça fait quand même… Ça fait quoi ? 2007-2008, allez disons 2009, ça fait quand même 4 ans, ça fait quand même 4 ans que tout va encore dans la mauvaise direction et ce n’est pas qu’il n’y ait pas des gens qui s’agitent. La SEC [le superviseur des marchés financiers US] s’est réunie. Au bout de 4 ans, elle a un rapport sur  qu’est-ce qu’il faudrait faire pour empêcher qu’une crise comme celle de septembre 2008 ait lieu ? Des représentants des lobbys mettent leur veto. Ça n’aura pas lieu. On ne mettra pas en place les mesures pour empêcher que ça se reproduise, parce que ça dérange M. X et Y, parce que ça ferait baisser le montant de ses dividendes, etc., voilà. Bon, c’est comme ça que ça se passe. 

Alors, ça, c’est une chose que j’observe. Il s’est fait aussi que, pour les évènements plus récents, il y a eu une discussion le jour-même, alors même que je commençais une discussion avec une amie où il est apparu la chose suivante : les gens qui étaient révulsés, indignés par ce qu’il se passait en 2008 et 2009 se trouvent de plus en plus dans des situations difficiles personnelles parce que la situation se dégrade et ils sont de plus en plus le nez dans le guidon, obligés de s’occuper de ces choses au jour le jour parce qu’il y a le feu ! Ça fait baisser l’intérêt dans les blogs. Les gens sont occupés à essayer de s’en sortir individuellement. 

Et l’autre évènement, et c’est… Je crois que c’est vraiment ça qui m’a conduit à écrire ce papier l’autre jour, c’est la chose suivante : j’ai été invité récemment, très récemment, par des instances dirigeantes d’un parti mais je ne vous dis pas quel parti, je ne dis pas où ça se passait. J’ai passé la soirée avec ces gens et la chose… Vous auriez été amené là, avec moi, je ne vous aurais pas dit qui étaient ces gens, après 3 h ou 4 h de discussion, il vous aurait été impossible de dire de quel parti il s’agissait, impossible ! Rien de ce qui a été dit n’indiquait une opinion quelconque dans un sens quelconque. Pourquoi ? Parce qu’on n’a parlé que de banalités. Ce sentiment de l’urgence qu’on a sur le blog, que moi j’ai : l’impression d’être « à la foire et au moulin » comme dit François Leclerc, d’être au four et au moulin, de ne pas savoir où donner de la tête, ce sentiment d’urgence, il n’existe pas : il n’existe pas dans la population. On sait, on voit – et je prends cette image de la grenouille dans la marmite qu’on fait cuire à petit feu et qui, parce qu’elle n’a pas été plongée dans de l’eau bouillante dont elle sauterait sans difficulté, ne sent pas, ne voit pas monter le danger autour d’elle. 

Alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? Eh bien : « Néo, Néo, tu as le choix. Ici, j’ai deux pilules. Alors, voilà, ça, c’est la pilule bleue, tu vois : « Business plan pour les nuls », voilà [je montre le livre – un exemplaire « de presse »]. Tu vas lire ce livre et tu te réveilleras demain matin dans le monde que tu as toujours connu et tu te diras : « Mon problème, c’est que je n’ai pas le bon business plan. Si je réfléchissais un peu plus à mon business plan, je pourrais m’en sortir ». Ou bien Néo, il y a la pilule rouge. La pilule rouge, ça s’appelle Comprendre les temps qui sont les nôtres [je montre le livre – Odile Jacob 2014]. Voilà ! C’est déjà dans les librairies (ils ne vous le donneront peut-être pas encore parce qu’ils n’ont pas encore déballé entièrement les caisses), mais si tu lis ce livre-là, si tu avales la pilule rouge, tu te rendras compte que tu es dans la Matrice et que si tu as des enfants ou des petits-enfants, ils seront encore dans la Matrice et, dans la Matrice, ils seront peut-être à un moment où on ne pourra plus respirer. Alors, choisis Néo. Il y a une pilule rouge et une pilule bleue. Il y a un livre rouge et un livre bleu et tu fais ton choix ». 

A la semaine prochaine !

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5 réponses à “Le temps qu’il fait le 28 février 2014 – Retranscription”

  1. Avatar de CORLAY Isabelle
    CORLAY Isabelle

    Bonjour, je viens de lire v/texte le temps du 28/02/2014. J’apprécie v/texte sur le sens critique et son contenu (temps court-termistes et les épreuves qui nous restent à affronter). Au niveau des personnes, il faudra encore beaucoup d’énergie, d’air, etc…à chaque instant et chaque jour pour les années à venir. Vous parlez de la Chine, j’ai lu avec tristesse dans la presse, le niveau de l’eau…, cela va impacter la croissance les exportations et de ce fait (certains besoins informatique), et pas qu’en Chine, France/europe ….Petit rappel, c’est en 2007 que j’ai lu Mr Stiglitz et là j’ai compris certaines choses (bien entendu avec mon niveau d’études). En 2009, j’ai eu une réflexion sur l’eau et l’architecture. Je lis votre phrase qui ne n’est pas banale, ni anodine ce sentiment d’urgence n’existe pas dans la population (2014 v/tire et 2022). Certains vous diront, je ne veux pas entendre…Vous parlez de la Silicone Valley et Oxford, (le prix des loyers). En 1997, j’ai eu un aperçu au niveau immobilier et peut-être sans le savoir à cette date (ce qui allait se produire au niveau de la spéculation) et les fonds de retraite…J’adore v/phrase : nous sommes très intelligents sauf à protéger le milieu où nous vivons. Et quand vous affirmez ceci, je repense à une phrase que j’ai lu il y a peu de semaines, il faudrait tout arrêter, ou drastiquement diminuer, cela interpelle, c’est une personne connue de v/blog. A titre personnel, je pense que nous aurions pu réaliser certaines choses bien en amont, avant que cela soit traiter dans l’urgence.!!!!! (je fais réf. À certains écrits). D’autre part, il y a des choses qui si j’ai bien entendu étaient dans les cartons, il y a déjà 10 ans (et ceci est étonnant). Je m’arrête là, un peu de répit, avant de reprendre («le turbo») à la rentrée. Cordialement, Isabelle

  2. Avatar de Henri Arthur
    Henri Arthur

    France Culture :

     » Si tu me vois, commence à pleurer  » : la sécheresse fait réapparaître les Pierres de la Faim  » :

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/si-tu-me-vois-commence-a-pleurer-la-secheresse-fait-reapparaitre-les-pierres-de-la-faim-9110750

    1. Avatar de Hervey

      https://hervey-noel.com/si-tu-me-vois-pleure/

      CloClo avait à ce propos fait une juste remarque.

      « C’est pas tous les jours qu’on rigole » … dit le poète,

      https://hervey-noel.com/demain-raviolis/

    2. Avatar de arkao

      Cette histoire des « Pierres de la faim », c’est aussi un bon argument pour les sceptiques. « Ah vous voyez, ce n’est pas la première fois qu’il fait aussi chaud et sec… Et l’humanité est toujours là… »

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