Le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique fait part de ses graves préoccupations concernant le bombardement d’une centrale nucléaire en Ukraine.
Centrale nucléaire de Zaporizhzhia près d’Enerhodar
Il y a onze ans, mon billet du 6 mai 2011 :
Le nucléaire civil a bien assimilé les leçons de la finance : les stress-tests, les tests de résistance européens, ignoreront ce qui est le plus dangereux : l’erreur humaine. Le raisonnement est familier : comme l’erreur humaine ne devrait normalement pas se produire, il est de loin préférable de faire comme si elle n’aura jamais lieu. C’est la manière exactement dont les économistes du courant dominant raisonnent : l’économie reflète le comportement de l’homo oeconomicus qui est une créature parfaitement rationnelle. « Si l’économie ne se comporte pas de la manière dont nous l’avons prévu, c’est que l’homme ne se conduit pas de manière rationnelle. Ce qui n’est quand même pas de notre faute ! », s’exclament en choeur ces économistes, quand la catastrophe a quand même lieu.
De la même manière, les ingénieurs du nucléaire civil nous disent : « Nous résolvons les problèmes qui sont de notre ressort. Vous ne voudriez tout de même pas que nous tenions compte du fait qu’un taré écrase délibérément un avion sur une centrale, essaie de la faire sauter, ou qu’un hacker à l’enfance malheureuse pirate le logiciel du système de sécurité d’une centrale nucléaire ? »
Pour notre grand malheur, ces ingénieurs confondent deux choses : « Ce ne serait pas de notre faute si ça arrivait ! » et « Ça n’arrivera pas ». Qu’est-ce qui peut bien leur passer par la tête pour qu’ils confondent deux choses aussi tragiquement différentes aux yeux des gens qui exercent une autre profession ? La réponse est malheureusement très simple. Il y a deux dimensions au problème : 1) le fait qu’un ingénieur puisse perdre son boulot à la suite d’une déplorable erreur de calcul et 2) le fait qu’un accident nucléaire rende une partie de la planète inhabitable et, dans l’ordre des préoccupations des ingénieurs, la première considération leur semble infiniment plus importante que la seconde.
Le résultat, c’est que nous vivrons sur une planète de plus en plus exigüe, dont on aura réduit la surface habitable d’un bout d’Ukraine ici, d’un bout de Japon là, et ainsi de suite au fil des années.
Grâce aux économies qu’on aura réalisées en s’accrochant au nucléaire civil en ignorant les règles élémentaires de la gestion du risque – sans même mentionner celles du bon sens, on pourra financer substantiellement la recherche dans la lutte contre le cancer – qui en aura bien besoin. « C’est la rançon du progrès », dira-t-on d’un ton sentencieux.
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