Le rapport de la foi chrétienne, ou juive, disons de la foi biblique avec l’athéisme n’est pas simple ni univoque. C’est un peu plus compliqué qu’une opposition terme à terme.
En un certain sens, les athées sont des extrémistes du christianisme ou du judaïsme. C’est que la première impulsion biblique n’est pas d’adorer, mais de NE PAS adorer. La Bible est en grande partie un refus de l’idolâtrie. Un exemple parmi cent, le chapitre 14 du livre de la Sagesse à partir du verset 12 qui propose des explications tout à fait naturalistes à la naissance des religions et superstitions… explications, critiques et sarcasmes que les philosophes des lumières n’auraient pas forcément reniés !
Le message biblique n’est cependant pas athée au sens strict. Le résumé le plus simple que j’en connaisse est « Si je perçois quelque chose, cette chose n’est pas Dieu et je ne dois pas l’adorer ». Cela vaut aussi pour les idées : l’idée que je me fais de Dieu n’est pas Dieu, je ne dois pas l’adorer. Dieu est toujours au-delà. L’idolâtrie selon le message biblique consiste à adorer ce qui n’en est pas digne. L’athéisme radicalise cette définition, le message devient « Toute adoration est idolâtrie ».
En somme, la différence entre les athées et les croyants des religions juive et chrétienne est que les premiers vont jusqu’à dire « Puisque rien que je perçoive, rien que je puisse concevoir n’est digne de mon adoration, puisque rien de tout cela n’est Dieu, alors Dieu n’est pas ». Tandis que les chrétiens et les juifs sont invités par leurs textes à maintenir contre vents et marées le refus de toute idolâtrie – et c’est très, très loin d’être si facile, toute l’histoire des peuples juif et chrétien en témoigne ! Mais la promesse qui leur est faite est que le vide qui en résulte… sera occupé par une Présence. On peut le voir par exemple dans le récit du pèlerinage d’Elie à l’Horeb, dans le livre des Rois chapitre 19 à partir du verset 11, c’est dans le murmure d’une brise légère que se manifeste la présence divine, tandis que les grands phénomènes ne sont que tintamarre vide. On peut le voir encore dans la parole de Jésus qui compare l’Esprit de Dieu à un vent qui souffle, un vent mystérieux dont on ne comprendre ni d’où il vient ni où il va, voir Jean chapitre 3 verset 8. Et que dire de son affirmation comme quoi un simple morceau de pain partagé en sa mémoire est son corps même, c’est-à-dire présence divine !
La Bible affirme que cette présence a beau être très discrète, mystérieuse, paradoxale et si facile à manquer… elle n’en est pas moins réelle, et que Dieu est. C’est là, bien sûr, le point fondamental de divergence avec l’athéisme. Mais cette divergence n’empêche pas que le premier mouvement biblique et le premier mouvement athée – refuser l’adoration – sont les mêmes… que les athées portent simplement jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême. A raison ou à tort ? Les avis divergeront.
Il reste en tout cas du point de vue des croyants eux-mêmes qu’une partie de l’athéisme est nécessaire parce qu’elle est ascèse, purification et refus des idoles, refus d’adorer ce qui n’en est pas digne.
Et une fois encore, c’est tout sauf facile ! Il ne suffit pas de se définir comme « chrétien » pour ne pas idolâtrer, il faut encore pratiquer ce refus. Je soupçonne qu’il ne suffit pas non plus de se définir comme « athée » pour ne pas idolâtrer. « Un homme qui ne croit pas en Dieu est prêt à croire à n’importe quoi », c’est un mot d’esprit un peu méchant, mais qui pointe un risque bien réel, celui de refuser de croire en Dieu pour se précipiter à croire à la nation, au parti, à la race, à la science, à la raison voire à tel ou tel gourou. Ce n’est pas si facile, être athée !
Et les chrétiens et les juifs aussi courent ce risque, car pour mieux se protéger contre la croyance à n’importe quoi… il faudrait être chrétien ou juif à temps plein plutôt que, au mieux, par intermittence ! Ce n’est pas si facile non plus, être chrétien ou être juif.
Je termine en rappelant ces paroles profondes de Simone Weil – la philosophe et mystique juive et catholique, non la femme politique : « La religion en tant que source de consolation est un obstacle à la véritable foi : en ce sens l’athéisme est une purification. Je dois être athée avec la partie de moi-même qui n’est pas faite pour Dieu. Parmi les hommes chez qui la partie surnaturelle d’eux-mêmes n’est pas éveillée, les athées ont raison et les croyants ont tort. »
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