Photo : abri pour les familles accompagnantes – côté service maternité de l’hôpital régional de Kaédi – 1991
[Mauritanie, Kaédi, 1991] Et si l’hôpital nous était compté ? L’économie, celle de la construction de l’hôpital régional de Kaédi, dont je fus responsable pendant 4 ans, fut pour moi très instructive. On demande souvent : « Est-ce que ça a couté cher ? ». Drôle de question, si on y pense : ça veut dire quoi « cher » ? On pourrait préciser : cher par rapport à quoi ? Là, c’est plus clair : on va comparer par exemple, le prix de revient de deux hôpitaux similaires : celui d’un hôpital en Europe, calculé par lit d’hospitalisation, et celui de Kaédi. Pour ce dernier, ça tombe bien, car je connais, à l’ouguiya prêt [unité de monnaie mauritanienne], toutes les dépenses qui ont été faites sur le projet. Et le nombre de lits aussi. En Europe, il suffit de prendre un ou deux exemples et de faire le même calcul moyen. Le résultat est impressionnant : le rapport de l’un a l’autre est entre quinze et vingt fois. Certains vont relativiser et pondérer dans un sens ou dans l’autre, en prétextant que les normes de qualité ne sont pas les mêmes ici et là-bas, par exemple. Peut-être, mais c’est très loin d’expliquer un tel écart.
L’autre question, plus rare celle-là, est qu’est-ce que ça a coûté ? Par exemple, le prix de revient d’une brique en terre de 7X22X10 cuite à la balle de riz, mesuré précisément sur place, était de 4,76 ouguiyas l’unité en 1988. On aurait pu les acheter en gros et les importer d’Europe ou d’ailleurs ? Cela aurait été beaucoup plus simple. Mais cela aurait coûté au moins 20 fois plus cher, sans compter le problème de change en devises qui aurait pesé sur le pays.
Ce n’est pas tout : dans le détail de ce prix de revient, en déboursé sec chantier, il y avait 62,52% de coût de main d’œuvre, et 36,83% de coût d’approvisionnement en balle de riz, principalement pour acheminer par camions, les volumes de balle de riz récupérée à l’usine de décorticage qui se trouvait à 2 kilomètres de la briqueterie. Et le reste portait sur les frais de matériel et de consommable comme l’eau pour le trempage du banco ou les brouettes pour transporter les briques. Ce n’est pas la même chose de les avoir acheté très chères à l’étranger ou de les avoir produite sur place. En plus, le coût de la terre extraite sur place comme matière première et de l’énergie des fours a été très faible. Le combustible des fours verticaux a été la balle de riz, un déchet jusqu’alors inutilisé. La matière première, le banco, a été creusé sur place, à quelques mètres du fleuve Sénégal. Puis les briques ont été acheminées au chantier, après trempage, sur des charrettes à âne.
Et encore, ce n’est pas tout : à prix égal, ce n’est pas la même chose que d’avoir dépensé l’argent sur place pour produire les briques. Car cet argent dépensé a permis à des habitants de la ville de mieux nourrir leur famille par exemple, de payer des médicaments pour un parent malade ; de payer des frais de scolarité pour leurs enfants ou d’effectuer des travaux chez eux pour améliorer leur maison.
Et enfin, ce n’est pas tout : quelques milliers d’euros à Kaédi, ce n’est pas la même chose que quelque milliers d’euros en Europe par exemple. Dans le premier cas, cela suffit à une famille élargie de dix membres au moins, de vivre dignement une année entière. Dans le second cas, cela rémunère tout juste le loyer d’une personne seule pendant un trimestre.
On parlerait aujourd’hui d’économie circulaire, mais c’est plus que ça. On parlerait aussi de valeur ajoutée locale et de structure de coûts, qui est une notion un peu oubliée dans les projets de développement, qui préfère la notion exclusive de prix, entendu comme « prix du marché ». Pourquoi ? On parlerait aussi de développement durable, parce qu’on se préoccupe d’écologie et de social. Bref, en ce sens, l’économie du projet de l’hôpital aura été très riche d’enseignement.
Alors voilà encore quelques chiffres du projet : le nombre de lits d’hôpital était de 110. Les dépenses de travaux (hors investissement initial pour la briqueterie, les logements de fonction et les équipements médico-techniques) avaient été de 119 millions d’ouguiyas (en valeur 1991). Le prix moyen de la construction par lit d’hôpital avait été de 1,08 million d’UM. Le prix moyen de la construction par m2 de l’hôpital était de 29 000 ouguiyas. Le coût moyen par m2 d’un abris pour les accompagnants [la photo ci-dessus] était de 2500 ouguiyas par m2 .
Alors cher ? Assurément pas.
Légende photos ci-dessous : briqueterie et construction sans coffrage en bois des salles de l’hôpital
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