– « Il nous faut plus de science ». Non : science is settled = nous savons tout ce que nous devons savoir d’un point de vue scientifique, du moins l’information est largement disponible et diffusée, régulièrement, depuis longtemps (GIEC, IPBES, IRP, presse, etc.). Les décideurs ne peuvent prétendre à l’ignorance, ni la majorité de la population, sur l’écocide mondial en cours. Certains climatologues proposent même de supprimer le GIEC et de se consacrer entièrement à l’activisme. Nous n’avons pas besoin de plus de science stricto sensu.
– « Il nous faut plus de technologie ». Non : technology is settled = nous avons toutes les technologies nécessaires pour effectuer une métamorphose écologique complète, depuis longtemps. Il n’y a pas besoin d’attendre les technologies du futur pour la transition. Les technologies ne suffiront pas. Il est nécessaire de modifier les modes de vie et de production (décroissance ou post-croissance). Nous n’avons donc pas besoin de plus de technologie stricto sensu.
– « Il nous faut plus d’argent ». Non : finance is settled = nous avons largement assez de ressources pour réussir une métamorphose écologique complète, en redirigeant les flux de ressources déjà existants (j’évalue le surplus économique mondial arbitrairement à 90% de la production mondiale en termes biophysiques : cf. les montants faramineux dégagés pour la crise financière, la pandémie, les plans de relance, la guerre en Ukraine, les inondations, etc.). Bref, soyons sérieux, il y a plus de ressources économiques que nécessaire, surtout pour une économie qui doit décroître, donc utiliser de moins en moins de ressources ! Nous n’avons pas besoin de plus d’argent stricto sensu.
– « Il nous faut plus d’idées de politiques publiques ». Non : policy is settled = nous savons exactement quelles mesures de politique publique doivent être adoptées pour réussir une métamorphose etc. Factor 4, plan du Shift français, les innombrables rapports et catalogues de mesures écologiques… (ex : 101 Nobel Laureates call for a phase out of fossil fuels — The Fossil Fuel Non-Proliferation Treaty (fossilfueltreaty.org))
Nous n’avons pas besoin de plus d’idées de mesures stricto sensu (la boîte à outil est suffisante).
– « Il faut changer les institutions ». Non : institutions is settled = nous avons déjà les institutions suffisantes pour réussir la métamorphose, la démocratie libérale représentative est capable de se mettre en « économie de guerre » pour lutter contre un ennemi humain ou viral (40-45, pandémie 2020), elle peut donc aussi le faire pour survivre… Les initiatives de délibération citoyenne sont donc intéressantes mais pas indispensables in fine. Les blocages intrabelges sont moins dus à nos institutions qu’aux vétos politiques des entités fédérales. Nous n’avons pas besoin de « grandes réformes de la démocratie » pour réussir la transition stricto sensu.
Reste qu’on n’observe PAS la métamorphose. On observe une inertie générale. Donc on doit trouver d’autres explications au blocage que celles qui précèdent.
Les points bloquant en première analyse
– are politics settled ? = y a-t-il une réelle volonté politique ? A mon sens, une volonté existe en partie chez certains décideurs « en off » mais pas « en clair » dès qu’on examine le niveau de l’organisation, du syndicat, de la fédération, du parti. Il n’y a ni débat public suffisamment radical ni programme politique crédible pour la métamorphose, ni vision à la hauteur des enjeux sur le « marché politique ». Si on prend le périmètre de l’offre politique actuelle, on est vraiment très loin de ce qui est nécessaire. On n’a pas encore vraiment commencé à discuter sérieusement dans la Cité. Et à côté, ne soyons pas naïfs, des courants politiques sont vent debout contre la transition écologique. Donc la volonté écologique suffisante, n’est toujours pas majoritaire.
– is citizen will settled ? = y a-t-il une réelle volonté citoyenne ? A mon sens en partie chez nombre d’individus, et même peut-être une majorité d’individus (selon les sondages répétés : la majorité mondiale est éco-anxieuse, veut la transition écologique et trouve que les gouvernements ne font pas assez) MAIS : il y a encore un énorme écart entre les déclarations spontanées, les votes effectifs (Verts à 4% en France… 15% en Belgique… pas mieux pour la gauche éco-consciente, pas vraiment de droite éco-consciente encore…) et ce que les électeurs sont prêts à exiger et accepter EN PRATIQUE. Une sorte d’incompréhension, d’hypocrisie ou de défaite morale chez la majorité de la population qui prétend s’inquiéter mais vote pour l’extrême-droite, la droite, et des partis centristes et de gauche qui n’ont pas un programme assez radical pour satisfaire ce qui est nécessaire d’après les scientifiques. Si la fin du mois, l’immigration ou la liberté de ne pas payer d’impôts est ce qui motive l’électeur, ben la fin du monde passe à la trappe (et nous avec).
Débloquer ces points en première analyse
–> c’est pourquoi je pointe l’absolue nécessité d’un Contrat social reformulé = un « Pacte social-écologique », un « Green New Deal » entre les citoyens et les gouvernements/Etat, même au niveau des Constitutions. = je veux bien faire ça mais alors toi tu fais ça. Le Contrat social formule un principe d’entraide entre tous les citoyens via leur Etat, au sens théorique et pratique (comme via la Sécurité sociale).
Je pense que la clef, c’est garantir le sentiment de justice entre tous, le sentiment d’équité, et la protection de chacun par le collectif, afin de pouvoir demander aux gens de faire des efforts.
Chaque proposition de réduction d’empreinte écologique doit comporter un avantage social juste évident.
Exemples de combinaisons sociales-écologiques :
– Suppression voiture de société + développement des transports en commun (gratuits) ;
– Taxe carbone + redistribution du montant collecté vers les plus pauvres afin de financer leurs travaux d’isolation du logement ;
– Phasing out des secteurs économiques fossiles + phasing in des secteurs soutenables afin de garantir du travail, des revenus et de l’activité économique soutenable ;
– Interdiction de bâtir encore des villas 4 façades sur des sols naturels + construction de logements sociaux en centres villes ;
– Taxation de la viande + droit garanti et gratuit à l’alimentation de qualité (nouveau pilier dans la Sécurité sociale) ;
– Création d’un revenu de transition écologique pour les entrepreneurs/permaculteurs/associatifs
– Sécurité sociale-écologique
– Semaine de 4 jours, réduction du salaire + accès gratuit aux biens de base
– etc.
Comment arriver au point où on peut forger ce Pacte social-écologique ?
–> Mais avant d’en arriver là, il faudrait déjà qu’il existe un débat public pour réclamer ce « Green New Deal », ce « Pacte social-écologique », une plateforme de la société civile pour le porter et animer ce débat public.
Le problème est plus profond que nous ne le pensons
–> In fine, je pense que le problème est plus profond. Il touche à notre vision du monde, à notre « métaphysique », à notre « capacité éthique », à notre « inconscient collectif », à notre Culture comme grand récit qu’une civilisation se raconte à elle-même.
Nous sommes comme des Inuits à qui on parle du danger d’une tempête de sable. Les mots « tempête de sable » n’existent pas en langue Inuit. Ils ne peuvent pas imaginer, concevoir quelque chose qui n’existe pas dans leur Culture, inconscient collectif, imaginaire et même langue.
Notre Culture ne peut pas concevoir l’existence des Limites (limites planétaire, etc.). C’est inimaginable dans notre inconscient collectif nourri à l’imaginaire de Progrès et de Croissance et de Technoscience salvatrice.
Pareil pour l’Ecocide mondial, une espèce de génocide mondial causé par la destruction de l’habitabilité de la planète par les gens riches surtout. C’est un crime dont notre éthique traditionnelle peine à rendre compte. Il faut donc tout un travail d’élaboration dans le débat public pour faire prendre conscience aux gens que l’Ecocide, c’est un crime contre l’humanité, un véritable génocide dont nous sommes collectivement responsables.
C’est la même chose dans la lutte historique contre l’esclavagisme, il a fallu des luttes et une bataille des idées pour imposer un framing éthique de cet enjeu, pour que les gens comprennent que l’esclavage est moralement inacceptable.
Idem dans les luttes de Act Up pour le sida, idem pour les féministes, idem pour les luttes ouvrières, l’abolition du travail des enfants, les activistes ont dû faire reconnaître une terrible injustice morale avant que la politique prenne cet enjeu au sérieux… et légifère.
C’est pourquoi le travail de création de nouveaux mots et nouveaux imaginaires initié notamment par Edgar Morin est si essentiel : nous devons créer des supports culturels pour permettre aux gens de concevoir des choses réelles que rien dans leur culture ne permet de concevoir (dont des mots, des images, des idées, des mèmes, etc.) : les Limites et la nouvelle éthique mondiale qui en découle.
Nous savons, nous pouvons, nous voulons…. mais nous ne comprenons pas le fonctionnement réel du monde et nous ne croyons pas (au sens de foi athée) à ce que nous savons, pouvons, voulons.
Notre imaginaire n’est pas encore capable de nous « donner à voir le monde tel qu’il est », à cause de l’hégémonie d’un imaginaire qui ne donne pas place au vivant non humain et à notre corporéité vivante (capitalisme, néolibéralisme, colonialisme, patriarcat, etc.)
Nous ne parvenons pas à concevoir, voir, sentir, ce que le réel nous hurle chaque jour.
« Eveillés, ils dorment » a dit Héraclite (repris par Morin). C’est la marche des zombies, comme dans les années 30. Nous marchons les yeux fermés vers l’abîme alors que si nous ouvrions les yeux, nous verrions le gouffre en approche (certains tombent déjà).
Il faut un mouvement social, culturel, historique pour gagner la bataille des idées et permettre de nouvelles politiques concrètes
Donc on revient ici à l’hégémonie culturelle selon Gramsci, la bataille des idées à gagner avant de gagner la bataille électorale puis la bataille politique pour la mise en œuvre des mesures nécessaires en démocratie.
Il faut donc donc une propagation éclairée des idées, comme lors de la Renaissance, du Siècle des Lumières, du New Deal, du fameux Pacte social de 1944 formulé à la fin de la Seconde guerre mondiale.
Le rôle des élites culturelles est ici fondamental : intellectuels, journalistes, artistes, scientifiques, enseignants, leaders d’opinion, services d’étude, etc.
Conclusion
Voilà, mon résumé est à la fois un formidable espoir (on peut encore faire quelque chose tous ensemble politiquement, même si ça se résume à amortir la chute, c’est déjà une visée éthique tout à fait acceptable) MAIS en même temps terrible désespoir par rapport à notre aveuglement subconscient et conscient qui nous rend aveugles et impuissants.
Nous avons toutes les ressources matérielles et immatérielles… sauf la capacité métaphysique et éthique à nous éveiller au réel qui nous hurle de changer de voie. (du moins la majorité pour le moment, face à une minorité plus éveillée)
Donc même si j’essaie de formuler ce nouveau contrat social-écologique dans mes livres, j’ai conscience que ce contrat sera signé dès le jour où une majorité aura adopté la nouvelle métaphysique de reconnaissance de la Limite, d’autonomie interdépendante, de reliance, d’entraide, nécessaire et la nouvelle éthique planétaire pour traverser le XXIe siècle.
Donc le travail psychologique, psychiatrique, culturel, artistique, narratif, pour « révéler le champ des possibles et des impossibles » à l’échelle politique est la clef.
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