Shape of My Heart, ou le jour de la chute du Mur…, par ERX

Il est des airs de musique qui sont associés à un instant précis, à un lieu et à un évènement particulier. Celui-ci l’est. L’événement, c’est la chute du mur de Berlin. Le lieu, la pièce où je me trouvais, presque entièrement vide, dans ce petit appartement sobrement occupé, situé à l’étage d’une maison que j’habitais à la lisière de la ville. Elle était dans un quartier un peu à l’écart, échouée en bordure des dunes qui attaquaient durement Nouakchott par l’Est. Cet air de musique, Shape of My Heart de Sting, je me souviens très clairement l’avoir réécouté plusieurs fois à la suite, en cette nuit tombée. Alors que ce soir du 9 novembre 1989, RFI relayait cette nouvelle incroyable et de portée mondiale : la chute du mur de Berlin.

J’étais assis en tailleur, sur le sol recouvert d’une très fine couche de poussière de sable. Les petites fenêtres étaient grandes ouvertes pour capter la brise de mer et son air un peu plus frais venant de l’ouest. C’est alors que la rumeur lointaine sortait de mon minuscule transistor. Elle rapportait en continu les nouvelles qui se déroulaient dans cette Europe lointaine, à des milliers de kilomètres de là.

C’était la nuit. Le son musical résonnait légèrement dans la pièce vaguement vide. Et ce vide se prolongeait dehors à l’infini, rempli d’un silence qui signalait la présence des grands espaces du désert. La nuit tombée et l’obscurité extérieure rajoutaient à cette ambiance intemporelle et légèrement mélancolique, alors que la musique flottait doucement dans un vaste espace comme d’une immense caisse de résonance. C’était comme une clameur lointaine d’une grande fête où l’on ne serait pas convié.

L’instant était propice à une certaine forme de méditation. Par magie, la grande échelle du temps et de l’espace se rejoignaient parfaitement. L’Histoire dira qu’au-delà d’un tournant, la chute du mur de Berlin clôturera une ère de trente ans. Elle augurera alors une nouvelle ère, de trente ans aussi, jusqu’à aujourd’hui où elle semble basculer à nouveau dans un autre sens.

L’évènement symbolisait un basculement du monde. Il présageait une marche en avant d’une Europe sûr d’elle-même et optimiste sur son avenir ; une Europe en construction, enviée comme un modèle à suivre pour d’autres sous-continents, comme l’Afrique de l’Ouest ou l’Union du Maghreb Arabe. C’était aussi l’avènement d’une Amérique triomphante, qui endossait un costume de gendarme du monde, avec l’illusion d’un pas en avant vers une planète encore plus unifiée et pacifiée. Elle apportait la promesse d’un internet encore balbutiant, celle des autoroutes de l’information, et celle d’une nouvelle ère de la globalisation.

À ce point que certains affirmaient l’avènement d’une « fin de l’histoire », comme si cet évènement consacrait l’hégémonie définitive d’un système et d’un modèle de développement unique, ayant vocation à se répandre une fois pour toute sur toute la surface du globe.

Mais trente ans après… c’est-à-dire aujourd’hui, un nouveau basculement s’opère. Il révèle une Amérique affaiblie et fracturée, un Occident plongé dans un doute profond et une Europe dans l’impasse. Entretemps, les pays du « Tiers-Monde » auront émergé, dont pas le moindre : la Chine s’est hissée en un temps record au sommet, apparaissant dorénavant comme une concurrente directe et menaçante de l’Amérique et de l’Europe. Les autres pays que l’on appelait « en développement », y compris ceux du continent africain, apparaissent dorénavant majoritaires en nombre, chahutant et contestant cet Occident omnipotent, de plus en plus minoritaire et vieillissant, malgré sa puissance et son opulence par rapport aux autres. Que dire des inquiétudes d’une planète en péril, de plus en plus vulnérable et fragile au regard des très graves menaces qui pèsent sur l’environnement, avec le réchauffement et les dérèglements climatiques, et l’épuisement des ressources naturelles ?

Shape of my heart… Ce n’est certainement pas la nostalgie d’un retour en arrière, mais l’urgence actuelle d’une nouvelle donne dans une échelle de temps long. La mue d’une nouvelle ère à l’horizon incertain et compromis, d’un cycle à bout de souffle qui s’achève, à un nouveau cycle chaotique et hautement périlleux, menaçant d’effondrement : « He deals the cards of the meditation » – il distribue les cartes de la méditation…

Alors qu’allons-nous faire ces trente prochaines années ? »

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2 réponses à “Shape of My Heart, ou le jour de la chute du Mur…, par ERX”

  1. Avatar de l'arsène
    l’arsène

    « Alors qu’allons-nous faire ces trente prochaines années ? » »
    Peut-être tenter de repousser l’échéance fatale avec des bouts de ficelle sans prendre les mesures nécessaires afin d’y échapper, c’est la caractéristique des pays qui ont des dirigeants qui ne pensent qu’à gagner la prochaine élection.
    Car on en prend pas le chemin, la guerre en Ukraine va faire plonger l’Europe et l’Afrique, crise de l’énergie doublée d’une crise alimentaire, la totale, avec en prime une hyperinflation causant désordres sociaux et revendications salariales, aux USA disons que politiquement tout peut se produire.
    Et pour couronner le tout, un réchauffement climatique qui s’accélère, causant des déplacements de population incontrôlables , le cocktail est plus qu’explosif.
    Il y a trente ans, comme dit l’auteur, ce n’était donc pas « la fin de l’histoire » tant espérée, mais aujourd’hui peut-être qu’on s’y approche mais celle-là me parait plus tourmentée !

  2. Avatar de Jacques Legrand
    Jacques Legrand

    Allons, l’Arsène, même l’illustre Fukuyama s’est trompé en annonçant la fin de l’histoire il y a 30 ans.
    Les dinosaures eux, ont bien connu la fin de la leur et malheureusement, ils n’y étaient pour rien. Si les humains doivent faire cette expérience, ils pourront se targuer, non sans une certaine fierté, d’en être les responsables. En attendant, puis-je me permettre de vous conseiller, sans toutefois aggraver votre empreinte écologique, de profiter au mieux du temps qui vous reste car, comme pour les dinosaures, il n’y aura pas de deuxième session.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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