Première partie du podcast Remarquables. #9 Paul Jorion
Thomas Gauthier :
Bonjour, je suis Thomas Gauthier, Professeur à EM Lyon Business School. Vous écoutez « Remarquables », le podcast qui va à la rencontre de celles et de ceux qui explorent les futurs et se remémorent l’histoire pour bâtir dès à présent un futur durable. Bonne écoute !
Paul Jorion est un anthropologue / expert financier / essayiste / chroniqueur et professeur associé à l’Université Catholique de Lille. Tour à tour fonctionnaire des Nations-Unies, chercheur en Intelligence Artificielle, acteur du développement du trading à haute fréquence, il a également participé aux travaux du Groupe de réflexion pour une économie positive présidé par Jacques Attali. Dans son ouvrage « Comment sauver le genre humain » [avec Vincent Burnand-Galpin] publié en 2020, Paul Jorion a envisagé l’extinction éventuelle de notre espèce et il a passé en revue les moyens à mobiliser pour un indispensable sursaut.
Bonjour Paul !
Paul Jorion :
Bonjour !
Thomas Gauthier :
Alors, ça y est, vous y voilà, vous faites face à l’oracle et vous savez que cet oracle va répondre à vos questions sur l’avenir et vous répondra à tous les coups juste. Est-ce que vous pouvez nous dire par quelle question vous souhaiteriez commencer votre échange avec cet oracle ?
Paul Jorion :
Eh bien, oui, tout à fait, parce qu’une question qui se pose en ce moment, c’est : Est-ce que cette guerre d’invasion par la Russie de l’Ukraine, est-ce que cette guerre va se transformer en guerre thermonucléaire ? Alors, là, ma question ne porte pas sur les 10 ans à venir, sur les 20 ans à venir, elle porte sur les semaines à venir, les jours. Espérons que ça ne soit pas sur les jours à venir, espérons que les Russes ne recourent pas comme ils le menacent depuis quoi, 3-4 semaines, de recourir à… (ce serait bien entendu un évènement extraordinaire depuis 1945) de recourir à une arme nucléaire tactique. Donc, ma première question c’est, tout de suite : « Madame l’oracle, dites-nous tout de suite pour les jours qui viennent, est-ce que cette guerre va se transformer en guerre thermonucléaire ? », le risque n’étant pas, je dirais, ridicule. Je sais… bon, moi, j’appartiens au monde occidental. Je sais que nous minimisons un petit peu quand les Russes parlent de ça. On dit : « Oui, ils bluffent, etc. » mais quand on en est à un tel niveau de bluff, on se dit : « bombe nucléaire, oui ou non ? » La question est une question préoccupante. Il y a certains d’entre nous que ça empêche de dormir la nuit, je dirais, à très juste titre. Donc première question : « Est-ce que cela va devenir une guerre thermonucléaire ? »
Thomas Gauthier :
Alors, je vous propose peut-être de continuer le questionnement à l’oracle et on reviendra sur ce sujet thermonucléaire dont vous parlez, dont, effectivement, les actualités regorgent ces jours-ci avec des menaces qui sont sans cesse croissantes par rapport à la veille.
Deuxième tour devant l’oracle, deuxième question, deuxième sujet peut-être que vous souhaiteriez aborder. Qu’est-ce que vous lui demandez désormais ?
Paul Jorion :
Là, avec un horizon un peu plus lointain. Malheureusement, si la première réponse a été extrêmement dévastatrice, je ne poserai peut-être pas la seconde puisqu’on va se poser des questions plutôt pour l’immédiat mais disons, à l’horizon 2100 puisque, par ce rapport au réchauffement climatique, par rapport aux courbes que l’on voit d’ailleurs depuis 1972, depuis le rapport Meadows, par rapport à ces courbes, en 2100, la question se pose, est-ce qu’il y aura encore des êtres humains ? Et pourquoi est-ce qu’elle se pose ? Parce que ces jours-ci, en ce moment-même, en Inde et au Pakistan, on a des températures au printemps qui sont des températures telles que le corps d’un mammifère – il ne s’agit même pas de nous uniquement – le corps d’un mammifère doit pouvoir descendre en-dessous de 40°C la nuit et il y a des endroits en Inde et au Pakistan où ce n’est pas le cas, c’est-à-dire des situations qui ne peuvent pas durer. Donc, ma question, oui, est-ce qu’il y aura encore des êtres humains ? On pourrait poser la question de manière plus générale des mammifères ou bien – ça, c’est l’avenir que certains nous prédisent – ou bien les seuls mammifères qu’il existera encore seront-ils dans des terriers puisque ça, ce serait quand même une réponse possible quand on verra venir, je dirais, ce qui se profile à l’horizon. Vivrons-nous… Y aura-t-il des êtres humains et si oui, question subsidiaire, sera-ce dans des terriers ou en surface ?
Thomas Gauthier :
Alors, sur cette question qui me préoccupe également au premier plan, j’aimerais embrayer avec une autre question pour vous. Où est-ce que les discussions les plus sérieuses et les plus fécondes se déroulent sur ce sujet de la survie de l’espèce ? Où est-ce que, dans le champ institutionnel, dans le champ organisationnel, il vous semble que les discussions sont portées au niveau d’exigence où elles devraient être pour aborder des questions aussi étourdissantes que celles de la survie de l’espèce à l’horizon 2100 ?
Paul Jorion :
Malheureusement, la réponse est décevante, c’est qu’il n’y a à ma connaissance que les scientifiques qui posent les questions, avec une très très grande difficulté à ce que justement ça débouche sur l’institutionnel. Les déclarations du GIEC ont lieu à intervalle régulier. On organise des évènements COP ceci, COP cela à ce propos et les mesures qui sont prises sont des mesures, je dirais, de simple surface. Le GIEC nous dit : « Il y a des problèmes à résoudre, des problèmes irréversibles qui vont aboutir, déboucher sur des situations irréversibles à l’horizon 2025 » et les gouvernements font des déclarations solennelles qu’ils s’occuperont sérieusement de ces questions bien avant… 2050. On est dans des mondes absolument différents et la raison, on la connaît. Dans des élections dans nos pays démocratiques, les questions qui fâchent, on les évite, on les évite. La France vient de passer par une élection présidentielle. Elle entre dans des élections législatives. Les partis ont des programmes. C’est un des lecteurs de mon blog qui faisait remarquer autour de lui que dans des propositions que j’ai faites moi en 2017 sur l’indispensable, qu’aucune de ces propositions ne se trouve dans le programme même d’un seul des partis qui se proposent aux électeurs.
On ne veut pas fâcher l’électeur donc on lui propose des mesurettes. Malheureusement, on est dans un monde où les mesurettes ne sont plus possibles. Il y a une dizaine d’années, même une quinzaine d’années que Jacques Attali, dans un de ses livres de futurologie avait dit : « Quand on se rendra compte de la difficulté des problèmes, il n’y aura plus que des régimes autoritaires qui auront encore la capacité de prendre les mesures qu’il faut ». Bon, il disait ça il y a 15 ans. Est-ce qu’on a même entendu cela ? Probablement non. On me dit que j’ai changé d’avis. Je dirais que ma vue est devenue plus pessimiste entre le moment où, en 2016, je publie un livre qui s’appelle « Le dernier qui s’en va éteint la lumière » et on me dit : « Vous avez changé d’avis sur certaines questions. Vous n’êtes plus aussi optimiste » mais il s’est passé six ans ! Six ans sans que rien n’ait été fait dans cette direction-là. Un intérêt poli, un intérêt poli, je sais moi que ce livre a été essentiellement lu en Chine. Je le sais parce qu’un auteur peut évaluer l’intérêt pour son livre par les droits d’auteur qui lui sont versés. Il est dommage, il est dommage que, je dirais, au moins la moitié de mes lecteurs étaient uniquement chinois.
Je ne sais pas si les Chinois en tiennent compte mais de leur côté, ils ont un régime autoritaire qui ne présente pas que des avantages mais qui fait quand même que, quand des amis me disent : « On s’est rendus en Chine dans une grande tournée pour aller voir les endroits les plus dévastés du point de vue écologique et quand nous sommes arrivés là, nous arrivons dans un endroit où depuis déjà 3 ou 4 ans, des millions d’arbres ont été plantés ». Pourquoi ? Parce que l’information ne vient pas suffisamment rapidement chez nous. Mais les Chinois, et en ce moment-même, et ça pose des problèmes bien entendu considérables, recourent volontiers à des mesures autoritaires : le confinement en ce moment à Shanghai, à Pékin, etc. Nous disons, je dirais à juste titre par rapport à nos valeurs : « On ne peut pas faire des choses comme ça chez nous » mais est-ce qu’il ne viendra pas un jour où il faudra le faire ? J’ai un fils qui vit dans une de ces 126 communes dont on vient de déclarer qu’elles étaient particulièrement menacées par la montée des eaux et quand on voit ça, on dit : « 126 communes, c’est tout à fait extraordinaire ! » mais le vrai chiffre, les 126 communes, ce sont celles qui se sont déclarées volontaires à entrer dans un plan où on va essayer de prendre le taureau par les cornes mais c’est sur un total de 870 ou quelque chose comme ça. Ça veut dire qu’il y a de l’ordre de 600 communes qui ne vont pas prendre les mesures que le gouvernement propose de faire avec son aide, etc. 600 sur les 800.
CLIMAT : VOICI LES 126 COMMUNES FRANÇAISES (sur plus de 800) LES PLUS MENACÉES PAR L’ÉROSION CÔTIÈRE
Nous nous réjouissons des 100 qui le font, comme nous nous réjouissons qu’il y a des poubelles jaunes et des poubelles noires et que l’on peut trier, etc. Mais qu’est-ce que ça représente dans l’ensemble ? Le plastique qu’on trie, qu’on arrive à trier dans les poubelles, qu’est-ce que ça représente comme fraction de ce qui se retrouve n’importe où n’importe comment dans des décharges ou alors, comme on le voit, à constituer d’énormes boules au milieu des océans ?
Thomas Gauthier :
Vous nous avez ramené là énormément d’informations et je vais tâcher de continuer la discussion avec vous sur ces différents contenus.
Peut-être que, pour vous partager ma réflexion qui est en écho avec la vôtre, il me semble que dans les systèmes démocratiques qui sont les nôtres, en tout cas qui sont ceux largement de l’Europe occidentale et d’ailleurs dans le monde, il apparaît extrêmement difficile aux élites, d’ailleurs qu’il s’agisse d’élites dans le champ public ou d’élites dans le champ privé avec les dirigeants et dirigeantes d’entreprises, il paraît extrêmement difficile donc à celles-ci de se maintenir en situation de pouvoir en n’ayant pas de propositions vis-à-vis des électeurs notamment consistant à aller vers toujours plus de complexité. Dit autrement, ça ne paraît pas aujourd’hui politiquement acceptable de produire un horizon qui serait fait d’une descente en complexité délibérée – et donc, on peut l’espérer, non-violente – puisque cette descente en complexité ouvrirait le temps des arbitrages, ouvrirait le temps de certains renoncements et des renoncements par rapport à notre mode de vie, par rapport à notre mode de consommer, notre mode de nous soigner, notre mode de nous former, notre mode de nous déplacer. Qu’est-ce qu’il y a à dire sur cette impossibilité de faire quelque part machine arrière dans la montée qui paraît inexorable en complexité dans les sociétés contemporaines ? Est-ce qu’il y a une marche arrière en complexité selon vous ?
Paul Jorion :
Il va y avoir des marches arrière en complexité qui nous seront imposées, comme les ruptures de stock que l’on a vues au tout début du confinement dans une province chinoise et, tout à coup, on s’aperçoit que quand on confine une province chinoise toute entière qui est la productrice au monde de ceci ou de cela, que tout à coup, on se retrouve sans et il ne s’agit pas d’une simple panique de gens qui se précipitent pour acheter des choses. Non, ce n’est plus sur les rayons simplement parce que ça ne vient plus. Nous avons conçu une société effectivement de plus en plus complexe mais aussi, nous l’avons délibérément fragilisée pour des raisons même pas, je dirais, de profit, n’utilisons même pas ce mot-là, mais pour des questions, je dirais, pratiques, parce qu’il était beaucoup plus simple de ne pas constituer d’énormes stocks de choses qu’on pouvait avoir dans les 3 à 4 jours simplement en passant la commande à l’autre bout du monde et qu’il y a des avions qui sont prêts pour le faire, et qu’on a maintenant des méthodes qui permettent, même dans les magasins, que quand vous enlevez un produit sur l’étagère, il y a enregistrement du fait que vous avez pris l’un de ces produits. C’est géré par une base de données. La base de données communique avec des commandes possibles et dans un pays lointain, la commande se prépare et va être dans l’avion dans les jours qui viennent. On avait inventé ça, c’est la firme Toyota qui avait inventé cette formule de flux tendu mais on s’est aperçus que cette formule ne pouvait fonctionner que quand tout allait bien et que quand il y a eu un évènement, justement, comme la Covid, à ce moment-là, tout ça s’écroule.
Les guerres, bien entendu, vont faire la même chose. L’Ukraine, grenier à blé de l’Europe… J’ai vu un article hier dans Le Monde disant : « Ah mais tiens, on disait que l’Ukraine était le grenier à blé de l’Europe ». Eh oui, eh oui, j’y ai pensé tout de suite il y a quatre mois, je l’ai mentionné à la perspective malheureusement d’une guerre là-bas. On n’a pas pensé à tout ça. Il y a des pays, bien entendu, des pays arabes qui dépendent à plus de 50 % pour le blé consommé localement, qui dépendent de l’Ukraine. Le prix va augmenter et on le sait bien. Quand le prix du pain augmente, ça conduit assez rapidement à de l’instabilité sur le plan politique, les gens ne sont pas contents. C’est comme ça qu’à la fin du XVIIIe siècle, on a eu un certain nombre de révolutions dont la révolution française, quand les gens ne peuvent plus acheter de pain. Il y a la fameuse anecdote qu’on attribue à Marie-Antoinette : « Pourquoi ne mangent-ils pas de la brioche ? ». On oublie parfois que c’est dans un texte de Jean-Jacques Rousseau écrit [22] ans avant [1765-67] qu’il rapporte l’histoire d’une princesse qui aurait un jour dit, donc ce n’est pas Marie-Antoinette.
[Jean-Jacques Rousseau dans ses Confessions publiées en 1782 : « Environné de petites choses volables que je ne regardais même pas, je m'avisai de convoiter un certain petit vin blanc d'Arbois… et l'occasion fit que je m'en accommodai de temps en temps de quelques bouteilles pour boire à mon aise en mon petit particulier. Malheureusement je n'ai jamais pu boire sans manger. Comment faire pour avoir du pain ? Il m'était impossible d'en mettre en réserve. En faire acheter par les laquais, c'était me déceler, et presque insulter le maître de la maison. En acheter moi-même, je n'osai jamais. Un beau monsieur l'épée au côté aller chez un boulanger acheter un morceau de pain, cela se pouvait-il ? Enfin je me rappelai le pis-aller d'une grande princesse à qui l'on disait que les paysans n'avaient pas de pain, et qui répondit : Qu'ils mangent de la brioche. J'achetai de la brioche. Encore que de façons pour en venir là ! Sorti seul à ce dessein, je parcourais quelquefois toute la ville, et passais devant trente pâtissiers avant d'entrer chez aucun. »]
En plus, dans notre économie, on a beaucoup de mal à empêcher l’accaparement. L’accaparement, au sens technique, c’est celui qui achète une denrée qui devient rare et qui bloque le marché pour augmenter le prix. Dans certaines situations, bien entendu, ça devient absolument catastrophique et je crois que c’est dans la Déclaration des Droits de l’Homme, celle qui n’a pas été votée finalement aux environs de 1793 ou quelque chose comme ça, mais on avait introduit comme mesure qui ne sera pas appliquée la peine de mort pour les accapareurs parce qu’on avait compris que ça pouvait devenir effectivement une question de vie ou de mort pour les populations.
Nous allons nous apercevoir de la fragilité qui est associée à cette énorme complexité et, malheureusement, je dirais, les baisses de complexité, il est plus que probable que nous allons simplement les subir. Mais, bon exemple, si vous regardez ce film, il date, je crois qu’il date de 2011, le film « Contagion ». C’est-à-dire, en fait, il a été fait exactement 10 ans avant que la Covid n’arrive chez nous.
Contagion (2011) :
Or, ce film est pratiquement, quand on le regarde maintenant, c’est pratiquement un documentaire. Tout a été prévu. Il y a même un personnage qui incarne celui, chez nous, du Dr Raoult. Tout est là : les gens qui refusent de se faire vacciner, les manifestations, les pénuries de type divers, etc., tout cela était connu en 2011. Est-ce que notre pays était, d’une manière quelconque, préparé ? Absolument pas. C’est comme s’il s’agissait d’une information que personne n’avait. Tous les gens qui ont vu ce film, qui a été un film à succès en 2011, savaient exactement ce qui allait se passer mais ça n’a pas atteint le niveau des gouvernements. Au niveau des gouvernements, on détruisait des stocks de masques en disant : « On n’aura jamais besoin de ça ».
Nos systèmes ne sont pas préparés pour la taille de la menace qui se dessine devant nous. J’avais introduit, je crois que c’était même avant ce livre de 2016, cette idée du soliton – le soliton qui est une vague scélérate, qui n’a pas de raison particulière sauf que les phénomènes d’ondes font qu’une vague peut se constituer de plusieurs autres vagues qui vont la rencontrer et que, tout à coup, il y aura une vague beaucoup plus grande qui va surprendre, qui va surprendre. Ça m’est arrivé à la voile, tout à coup, sur une mer tout à fait plate, de voir arriver une dénivellation qui devait être de l’ordre de 3-4 mètres. C’est une énorme surprise. Je ne connaissais pas encore à l’époque le mot de soliton mais c’est ça et là, nous sommes véritablement dans un soliton.
Soliton :
et
Le Soliton bientôt en livre de poche !
Toutes ces menaces d’ordre climatique et autres : montée des eaux, il y a la complexité elle-même qui nous dépasse, et j’en avais fait le deuxième facteur du soliton, c’est-à-dire que nous confions de plus en plus… On dit : « Un jour, on demandera à l’Intelligence Artificielle de résoudre nos problèmes ». Cela fait très longtemps déjà, depuis les gros ordinateurs de la fin des années 40, que nous confions nos décisions à la machine sans comprendre exactement de quoi il s’agit. On ne comprend peut-être pas ce que je veux dire mais on a commencé à mettre toutes les données économiques dans des grands systèmes d’équations dont on perdait, je dirais, le fil. On ne savait plus exactement comment ça fonctionnait. Et troisième élément du soliton – et ça, c’est mon expérience de 18 ans dans la banque qui m’avait conduit à l’introduire comme le troisième élément – un système financier et un système économique qui sont des survivances en fait du XVIIIe siècle et qui ne sont pas du tout outillés pour les situations dans lesquelles on se trouve. Pour quelqu’un qui a été comme moi dans la banque assez longtemps, quand vous regardez la déclaration officielle d’un banquier central, vous vous apercevez que ces personnes – et c’est par manque de connaissances générales, ce n’est pas eux spécifiquement – ces gens n’ont pas la maîtrise des situations. On va essayer ceci : l’inflation va monter, on va augmenter les taux. Si on demande à ces banquiers centraux pourquoi est-ce qu’on va augmenter les taux comme manière de juguler l’inflation, ils vous diront simplement : « Ça a marché quand M. Volcker l’a fait dans les années 80 ». J’écoutais cette Mme Yellen. Mme Yellen est maintenant Ministre des Finances. A l’époque, elle était à la tête de la Banque centrale américaine, la Federal Reserve. Elle a fait un raisonnement devant… elle a fait un exposé. Elle a employé ce qu’on appelle la courbe de Phillips.
Pendant son exposé, elle a dit que la cause était l’inflation et le taux de chômage était l’effet. Quand elle a été interrogée par les journalistes ensuite, elle a inversé, elle a mis la cause de l’autre côté et l’effet de l’autre côté, c’est-à-dire une erreur en fait… Si un étudiant connaît cette courbe de Phillips, il va peut-être répéter, je dirais, les mêmes analyses, confondre la cause avec l’effet mais si vous proposez à quelqu’un qui n’est pas un économiste, qui ne connaît pas la finance, vous dites : « Voilà, je fais un raisonnement dans un sens et puis, je vais dire autre chose », un enfant va vous dire : « Vous avez inversé la cause et l’effet dans votre raisonnement ». Or, malheureusement, c’est ça l’état de notre compréhension de la finance et là, il y a une responsabilité – je le sais pour avoir travaillé 18 ans dans ce domaine – il y a une responsabilité qui est liée à ce qu’on appelle le secret commercial, c’est-à-dire que quand un savoir de véritable qualité est créé à l’intérieur d’une banque, pour des raisons de concurrence, pour des raisons de rivalité, pour ne pas donner également un avantage aux concurrents, on ne le diffuse pas. Votre patron, quand vous dites avec un camarade : « On a trouvé un truc important. Est-ce qu’on n’écrirait pas un article peut-être dans une revue scientifique ? », le patron vous dit – bon, j’ai rencontré ça combien de fois – « Surtout pas, surtout pas. Si on le publie dans la revue, les autres le sauront également ». Résultat : un savoir qui n’est pas à la hauteur de ce qu’il pourrait être.
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