Qu’est-ce que je retiendrai de cette 12eme élection sous la 5e République ?
Que comme aux Etats-Unis en 2016, le discours élitiste du centre gauche comme du centre droit ne reflète plus les classes moyennes et populaires et crée une place grandissante pour le discours démagogue de l’extrême droite. Prenez les USA : personne ne croyait qu’une star de la télé et de la presse à scandale y arriverait mais le ras le bol du manque de reformes portés par un Establishment qui occupa le pouvoir si longtemps, a fini par donner voix au chapitre pendant 4 ans à une figure aussi clivante que Donald Trump.
Pour apprécier les conséquences de son discours débridé, il suffit de regarder l’état de la nation américaine aujourd’hui. Les débats au parlement se sont appauvris au point qu’aucun sujet ou presque ne permet de consensus, hormis celui de fournir des armes à l’Ukraine dans un conflit aux relents de guerre froide. Le droit à l’avortement, l’accès aux urnes, les théories Qanon, la prise du Capitole, l’augmentation spectaculaire des écarts de richesse et des violences par armes à feux : tout indique un appauvrissement de la qualité de vie américaine. 4 ans de Trumpisme après 40 ans de néolibéralisme et la confusion semble totale. Dos à dos se retrouvent deux populations issues de la même classe populaire, les rednecks conspirationnistes, suprémacistes blancs et anti vaccins d’un côté, face aux frustrés du rêve Américain : “If you work hard and play by the rules, this country is truly open to you”.
Les promesses de l’Establishment républicain comme démocrate, à commencer par Reagan, les Bush père et fils, les Clinton mari et femme, voire même sur certains points Barack Obama – ou celles de l’élite du show-business – Donald Trump – ont fini par user la population. Et l’extrémité de cette dernière experience de 4 années passées à communiquer avec un pays à grand coups de provocations sur Twitter, tout en cherchant à rester campé à la tête de l’Etat comme Poutine (à Moscou depuis 23 ans) par la force physique plus que par celle des urnes : cela a laissé une empreinte visible sur le pays qui se trouve désormais dans un conflit intérieur violent.
Le problème c’est que cet Establishment profite de l’influence grandissante des réseaux industriels et du 4e pouvoir démocratique – une presse supposée libre de toute influence devenue quasiment entièrement privatisée – pour y trouver son support. Boris Johnson au Royaume-Uni ou encore Emmanuel Macron qui cherche à se faire réélire contre la même candidate qu’il y a 5 ans, c’est dire qu’il y a un déni d’un problème plus profond, avec la même tactique : l’art d’en promettre à la une des journaux et de forcer les électeurs à se mobiliser non pour le meilleur programme mais pour éviter le pire.
L’ambitieux Macron persiste à vouloir faire croire qu’il suffit de travailler dur pour y arriver, ce qui est seulement en partie vrai puisqu’il existe toute une classe d’héritiers pour qui la notion de travail est biaisée à la naissance : ça s’appelle la rente du capital, l’optimisation ou l’exil fiscal, le piston, le copinage, le réseautage, voir même plus tard les passes-droits, les ententes tacites, les conflits d’intérêts, les emplois dissimulés… Si régnait l’honnêteté intellectuelle et une éthique de marché alors peut-être aurions-nous un pays qui avancerait dans la même direction mais le goût de l’argent a une fâcheuse tendance à compromettre les valeurs de solidarité et le bon sens pour le remplacer par l’addiction savoureuse au goût du luxe et de l’exclusif. Quand on y a touché, difficile d’y resister. Le sytème est ainsi fait qu’il y a toujours une nouveauté à tester pour oublier la médiocrité existentielle dans laquelle l’individu est soudainement pris au piège. L’argent corrompt les âmes si facilement.
Avec la privatisation de l’Etat, les valeurs républicaines disparaissent et comme la nature n’aime pas le vide, au profit d‘autres valeurs, celles du libéralisme économique. D’un système dans lequel l’innovation devait permettre de vivre mieux, ensemble, et surtout de partager des valeurs communes, la marchandisation de la technologie est devenue la source d’un déséquilibre plus profond. Le néo-libéralisme est un parc à jeux pour irresponsables où il est autorisé de jouer sans ramasser ou nettoyer derrière soi les dégradations que l’on commet. Les fameuses “externalités” polluantes produites par les entreprises sont considérables et ne sont pas comptabilisées dans l’amortissement des coûts pourtant sévères de cette production aveugle qui crée autant de déchets que de biens de consommation. Bien des choses sont utiles dans la vie, mais bien des choses pourraient aussi être organisées autrement, en intégrant cette notion d’externalité. Les priorités fixées par les gouvernements en terme de normes de production et environnementales sont partisanes au lieu d’être scientifiques et s’arrêtent aux produits exportés au lieu de s’appliquer aussi aux produits d’importation. Un laissez-faire qui flatte les valeurs du libre échange mais qui en même temps crée une compétition déloyale.
Durant cette douzième élection de le la 5e République, les citoyens ne mettent pas encore tous dos-à-dos les programmes mais davantage la personnalité des candidats qui les défendent. Normal vous me direz dans ce système qui semble bien dépassé où le pouvoir se concentre dans une figure plutôt paternaliste et présidentielle. Combien de fois ai-je entendu encore : “j’aimerais voter à gauche mais Mélenchon, il me fait peur”. Certes, Jean-Luc Mélenchon dont le verbe haut est la forme de prédilection a aussi un défaut : il use de sa colère pour nourrir son indignation. Peut-être aussi pour s’arc-bouter sur des valeurs de fond, et tenter de résister à la gauche bien pensante qui en réalité est de droite plutôt rigide, aimant se sentir humaniste mais reste, dans le secret de l’isoloir, bien fidèle à son fastueux confort bourgeois si rassurant.
Mélenchon ne correspond plus aux canons modernes pour parler à la télévision, avec ses dents de travers et tous ses cheveux blancs, ses costumes col Mao et son franc parler sans mystère. Et puis il aime à jouer la victime d’un grand drame en trois actes alors qu’il est pourtant invité sur BFM TV au même titre que sur TF1. Mais les bobos effrayés par un trajet en RER entre la gare du Nord et Roissy Charles de Gaulles ou Marne-la-Vallée ont finalement oublié à force de voyager en Uber qui faisait tourner la France du soir au matin. C’est sûr que sur le quai du RER parisien comme en équipe de France, il y a plus de descendants de la colonisation française que de blondinets aux yeux bleus azurs comme ces coquets de Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Et ça Mélenchon l’a bien compris.
Les problèmes actuels ce ne sont pas les musulmans français issus de notre période coloniale qui les ont crées, ni l’absence de moyens ou de liberté d’action pour les forces de police. Par contre notre 5e République présidentielle n’offre pas un rempart assez élevé par rapport aux standards de la corruption de notre époque. L’indépendance de la presse n’existe plus qu’à la marge et le sytème de représentation n’assure aucunement une égale représentation des différentes classes sociales. Enfin, il n’y a aucune “accountability” ou “responsabilité” des politiciens devant leurs promesses de campagne parfois réduites à néant dans l’exercice du pouvoir. Les difficultés sont davantage systémiques que circonstancielles.
Et puis il y a une injustice criante lorsque notre République autorise une classe sociale à se faire monstre d’argent – comme disent les Suisses qui y connaissent un rayon – sur le dos d’une autre classe, en réduisant à néant les effets de balancier qui existaient grâce aux mouvements syndicaux construits au XXe siècle, à l’origine de la plupart des conquêtes sociales. Macron, Le Pen même combat : celui de la victoire de la classe de rente qui aime son confort et aime à ne pas regarder les conséquences de ses actes. Car si tout bon populiste vous dira qu’il y a trop d’étrangers en France ou aux Etat-Unis, il faut tout de même rappeler qu’ils sont la force vive qui a permis à toute une classe de s’enrichir sur le C40 et le Nasdaq pendant les 40 dernières années, et à toutes ces enseignes de se reproduire sur un modèle identique et infini.
Le modèle est le suivant : vous faites fabriquer votre produit avec la main d’œuvre la moins chère donc la plus exploitable dans un pays en développement, vous le faites vendre par du personnel sous qualifié étudiant et/ou issu de l’immigration, donc corvéable et remplaçable à merci et non organisé en syndicat pour revendiquer des meilleurs salaires. Vous leur offrez des contrats précaires, à mi-temps pour ne pas répondre à la législation sociale et pour les garder dans une situation de dépendance. Vous dupliquez le concept dans un marché dit ouvert mais surtout “uniforme” où la même monnaie est utilisée – merci l’euro, merci le dollar – et vous créez une saisonnalité des produits. Qui sont les perdants ? Les petits commerçants, les artisans, les métiers de savoir faire, les consommateurs à cause de la perte de singularité et de qualité des produits etc. Qui sont les gagnants ? Les actionnaires évidemment ! L’industrie française et italienne du luxe est florissante mais désormais très exclusive. Quant à la perte de qualité, elle implique la perte de durabilité et des phénomènes d’obsolescence programmée. Et puis quelle monotonie et quelle pollution créées pour finalement retrouver exactement la même chose à l’autre bout de l’Europe ? Si c’est ça le progrès faire du copier / coller…
Mais au fond, la droite doit-elle être blâmée tout seule pour cette société accro à la consommation ? Non. Le centre gauche incarné par un François Hollande voire par un Barack Obama aux Etats-Unis a pêché par son absence de courage réformateur lorsque l’opportunité leur a été donnée. Ils ont préféré se laisser séduire par la véritable puissance montante depuis le début des années 80 et la lente privatisation de la société : les chefs d’entreprise. Aux Etats-Unis la place du lobbying est assumée, souvent pour le pire puisque l’argent est roi. Et les candidats une fois élus sont soumis à la rude épreuve d’une caste éduquée qui est assise sur une mine d’or de contrats de toutes sortes : militaires bien entendu, la plus puissante des industries américaines encore à l’œuvre, mais aussi tous ceux liés à la réglementation fédérale : l’industrie pharmaceutique par exemple. Et le Covid l’a bien prouvé.
Alors si Obama et Hollande ont fait les mêmes erreurs dues à l’incertitude de toutes décisions réformatrices, c’est parce que dans les systèmes actuels finalement assez archaïques, lorsque vous accédez à certains niveaux de pouvoir, la cour qui vous entoure est elle même biaisée puisqu’elle défend ses intérêts à couteaux tirés. Les technocrates, les lobbyistes, les grands patrons ont voix au chapitre à la Maison Blanche et à l’Elysée tandis que les syndicats, les minorités, les travailleurs non qualifiés, les migrants et les chômeurs, sont par nature quasiment absents de ces lieux d’exercice du pouvoir. Ils ont un écho dans les médias, certes. Mais il n’ont aucun poids économique. Le débat ne se concentre plus sur une vision de société et les valeurs de celles-ci, le partage d’un bien commun, qu’est celui de la nature et de ses richesses mais sur le pouvoir d’achat.
Alors en France, d’un côté le centre droit nous dit : “Vous n’avez qu’à travailler, vous verrez, ça paye toujours, l’économie mondialisée ne manquera pas de vous procurer des opportunités”.
Et de l’autre, l’extrême droite nous dit : “Le problème vient de la porte ouverte, du manque d’entre soi, de la compétition déloyale avec l’étranger, du manque de souveraineté en son royaume”.
Il y a du vrai dans les deux approches. Cependant, on peut douter que la solution soit à chercher en désignant des brebis galeuses comme responsables de nos difficultés puisque par nature les brebis galeuses sont inoffensives. Par exemple dire à une assistante de vie sociale qu’elle ne travaille pas assez pour gagner plus et pour payer son plein d’essence hors de prix, c’est juste insultant. Tout comme dire à un musulman qui porte une djellaba pour aller au marché ou à sa femme qui porte le voile qu’elle représente une menace pour la culture française, c’est tout aussi faux. Alors vraiment les jeunes des cités en train de faire des roues arrières sur leurs scooters seraient le problème du XXI ème siècle en France, Eric Zemmour ?
Nous vivons désormais des jours où les Etats-Unis, pays chantre de la liberté d’expression poursuivent Julian Assange pour un crime qui finalement n’a certainement absolument rien changé à leurs agissements, et comble du paradoxe, Edward Snowden à être confiné en Russie. Ce sont les symptômes d’un Occident moralisateur qui veut toujours être maître de son récit de bon samaritain qui ne veut surtout pas lâcher sa part très avantageuse du gâteau et continue de tirer les ficelles du prix des ressources mondiales.
La compétitivité du libre échange serait soi disant la solution à tout. Même pour la vente d’armement. Et quand ces armes sont vendues à des dictatures, comme à l’Arabie Saoudite par exemple, alors là, de l’ordre au chaos, il n’y a qu’un pas.
Alors on crie au complotisme, au conspirationnisme ! On s’indigne des algorithmes des média sociaux qui incitent les opinions les plus extrêmes et nourrissent les situations conflictuelles ! On reçoit en grande pompe Zelensky dans toutes les assemblées pour lui promettre des armes de destruction locales et des contrats de reconstruction mirobolants à venir !
Toujours la même rengaine. Celle du déni profond de la situation telle qu’elle est. Le problème de notre économie mondialisée est qu’elle reflète l’indiscipline et l’immaturité d’une civilisation gourmande en main d’œuvre peu onéreuse pour faire les tâches que les rentiers du C40 ont jugé trop ennuyeuses, avilissantes ou difficiles à mener quotidiennement. Certes LVMH exporte son champagne et ses sac Vuitton made in France à l’étranger. Mais au prix de combien d’entreprises ruinées par la compétition sauvage avec des pays moins regardants sur les conditions de travail et les normes environnementales ? Et c’est là la plus grande hypocrisie de ce débat électoral mené autour de la perte de pouvoir d’achat et d’autorité de la police en France face à la délinquance dans certains quartiers.
Aux Etats-Unis comme en France, qui sont les personnes qui travaillent dans les entrepôts Amazon, les comptoirs Starbucks, McDonald, les magasins franchisés en tout genre, les enseignes que vous retrouvez à tous les rond-points de l’hexagone, dans tous les centre commerciaux d’Europe et les zones d’embarquement d’aéroports ? Ce sont des personnes issues de l’immigration, en grande majorité. Le capitalisme spéculatif aime les migrants pour une seule et bonne raison; ils travaillent dur pour survivre, ils ne se plaignent guère car ils peuvent être remplacés à tout moment, ils ne sont pas organisés en syndicat. Que font-ils ? Ils occupent les tâches répétitives mal payées et très profitables aux actionnaires dont l’augmentation de la rentabilité annuelle est le seul objectif.
Et si la France était restée en vase clos depuis les années 80 ? Certes le contexte aurait été différent. Car l’organisation des classes de travailleurs en syndicats, en métiers et en corporations aurait stoppé plus net la gourmandise du patronat, comme elle l’a prouvé dans le passé. Mais maintenant que l’ouverture aux frontières a été faite, il est franchement hypocrite de promettre de les y reconduire. Notez que ce populisme comporte un risque : comme aux Etats-Unis, celui de mettre dos à dos les groupes sociaux d’une même classe sociale. C’est là où réside tout l’art de la propagande, de la division et du cynisme démontré dans l’Histoire par les classes dominantes.
Chez Macron il est facile de discerner sa capacité à s’adapter avec une seule ambition : celle de garder le contrôle pour toujours avancer dans la même direction: la privatisation. Donner le pouvoir aux chefs d’entreprise c’est en effet défendre sa classe sociale, son groupe d’amis, le milieu dont il provient. Et devant la dette abyssale du pays et les problèmes complexes présents, il n’a de cesse que d’adapter son discours sans grande conviction à des causes variées qui changent au gré des vents. Le caméléon, tel est en apparence le fonctionnement politique de Macron. Au fond de lui, point de vision pour le pays dans sa diversité, puisque la privatisation divise au lieu de rassembler, puisqu’elle elle hiérarchise au lieu de partager, puisqu’elle individualise au lieu de créer une fraternité, puisqu’elle met en compétition au lieu de rassembler.
Car les forces en puissance sont celles d’un marché qui a été libéralisé et affranchi de ses devoirs locaux, laissant les TPE & PME se faire piétiner ou racheter par des groupes dont la logique est une logique de marché, d’économie d’échelle, de recherche de profit à court terme et donc à faible qualité. Nous sommes en train de payer les pots cassés de ce néo-libéralisme cher à la classe des entrepreneurs qui aiment l’argent facile et peu les réglementations. Cette compétition acharnée a créé le pire et le meilleur des technologies. Mais a fait de l’océan, de certains déserts ou plages et même de l’espace, une poubelle à ciel ouvert. Pourtant le concept a été expliqué par des économistes : les “externalités” bénéficient partout, tout le temps, à ceux qui polluent le plus pour s’enrichir d’un même mouvement.
Si l’humanité est en passe d’aller sur Mars, elle a encore du chemin à faire pour réaliser combien la vie est meilleure sur Terre. Pourtant parait-il que la gratitude est un des actes de sagesse les plus nobles. Alors si Macron est réélu et bien je me dirai : merci, c’est toujours mieux qu’une Marie Le Pen nous aspirant tout droit vers l’Amérique de Donald Trump.
D’autres penseront que la meilleure chose à faire est de mettre dans l’urne un bulletin pour François Ruffin et d’aller voter pour le Front Populaire lors des législatives.
Vivement la 6e République ! Le combat commence seulement.
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