Retranscription de Ukraine : ce qu’on commence à comprendre, le 14 mars 2022
Bonjour, nous sommes le lundi 14 mars 2022 et il y avait une chose que je m’étais dite il y a un mois que je ne ferais pas, ce serait de lire des rapports de type militaire et je vous l’avais dit, j’ai dit : « Je ne ferai pas ça : c’est vraiment trop éloigné des choses dont je puisse considérer que je suis un peu un expert et je vais laisser ça à d’autres ».
Mais, bien entendu, c’est vous qui me rattrapez, c’est vous qui m’envoyez des vidéos intéressantes, des articles intéressants sur ce plan-là et, du coup, voilà, je commence à m’y intéresser. D’autant que c’est la véritable seule nouvelle, je dirais, que nous avons par rapport à cette offensive qui a débuté il y a près de 3 semaines : l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Et ce qui apparaît un peu inattendu, c’est la résistance sur le terrain, c’est le fait que ce qui aurait pu apparaître comme, voilà, une blitzkrieg, comme une guerre éclair, ne l’est manifestement pas. Au point que maintenant les Russes démolissent de manière systématique des bâtiments, n’hésitent plus à faire ce qu’on appelle des « victimes collatérales », c’est-à-dire en fait des victimes tout court, parce que les choses ne se déroulent pas comme prévu.
Alors, je regarde effectivement des analyses qui montrent que les problèmes de la Russie, ça a été essentiellement d’avoir une armée extrêmement puissante, mais à l’économie. Qu’est-ce que c’est ? Quel est le chiffre que j’ai entendu tout à l’heure ? 60 milliards de dollars de budget militaire pour la Russie et quelque chose de l’ordre de 720 si j’ai bon souvenir milliards de dollars pour les Etats-Unis. C’est-à-dire 10 fois moins pour un pays dont la puissance économique n’est pas comparable à celle des États-Unis et du coup, qu’est-ce qui se passe ? Ce sont des militaires mal entraînés, des pilotes de chasse qui n’ont pas assez d’heures de vol, d’entraînement. Des troupes qu’on ne prévient pas véritablement de ce qu’ils sont en train de faire. On leur fait croire qu’ils sont encore en manœuvres mais, en fait, ils ont déjà traversé la frontière de l’Ukraine. Parce qu’on est obligé d’utiliser des conscrits. Ces conscrits sont sur des chars et, voilà, sur des véhicules qui tombent en panne de diesel ou en panne d’essence. Ils n’ont rien à manger de véritablement sain. Le moral de ces troupes-là, évidemment, baisse très très rapidement. C’est une armée impressionnante mais un peu fauchée.
C’est ça un petit peu qui avait fait la fin de l’Union soviétique. Si vous vous souvenez, il y avait un piège dans lequel les Américains avaient voulu faire tomber les Soviétiques qui avaient fait un mauvais coup du point de vue, je dirais, « relations publiques », pour l’Occident en envoyant Spoutnik, en montrant une technique de conquête spatiale extrêmement avancée par rapport à ce que l’Occident avait et le défi a été lancé par les États-Unis : aller sur la Lune et là, le pays, l’URSS, n’avait pas suffisamment de ressources pour le faire sans devoir sacrifier d’autres choses et ça a conduit à la fin de l’URSS. C’est un des facteurs mais un facteur important.
Là, ce qu’on voit maintenant, c’est, d’une part, je dirais, une armée qui n’est pas à la hauteur de ce qu’elle apparaît être au départ et une résistance extraordinaire des Ukrainiens eux-mêmes. Des Ukrainiens à qui on envoie des armes. Il y a des volontaires qui partent de chez nous, du camp occidental, vers eux mais c’est essentiellement ce qu’ils prouvent être eux-mêmes, qui fait la différence, la différence entre un personnage qui est sorti du rang de l’espionnage et du contre-espionnage comme Poutine d’un côté et, de l’autre côté, un Zelensky qui devient véritablement un de ces fameux personnages du héros malgré lui.
Il y avait un très bon film de Martin Ritt. Martin Ritt, c’est un de ces Américains qui avaient dû se cacher pendant le maccarthysme, qui n’avaient pas pu apparaître en surface, qui écrivaient des choses et puis on le payait mais on le publiait sous un autre nom parce qu’ils étaient sur la liste des sympathisants du parti communiste. Et il avait fait un très bon film qui n’est pas un film de Woody Allen mais où l’acteur principal est Woody Allen qui s’appelle : « The Front » (1976).
« The Front » (Le prête-nom), c’est un gars qui accepte précisément dans l’histoire, de prêter sa signature, de prêter son nom. En fait, il est un patron de snack bar et il accepte de donner son nom pour être le nom de gens qui doivent se cacher, qui ne doivent pas publier véritablement sous leur nom parce qu’ils sont sur la liste noire des sympathisants communistes. Et l’histoire, c’est bien entendu celle d’un de ces héros malgré lui. Ce patron de snack bar, plus ou moins escroc d’ailleurs, se trouve en position d’être accusé d’être un sympathisant prosoviétique parce qu’il a été « the front », la couverture. Bien entendu, les autorités se rendent compte que ce n’est pas lui mais on veut le faire témoigner contre tous ceux qu’il a protégés en leur prêtant son nom, et il devient un véritable héros : il est à la hauteur des circonstances.
C’est-à-dire quelqu’un qui ne semblait pas avoir les dispositions au départ ou, en tout cas, ne se trouvait pas dans le contexte où il pouvait le faire. Et là, on voit effectivement Zelensky, « a comedian », un acteur comique, qui avait joué un rôle de président, mais dans sorte de parodie, être à la hauteur des circonstances. Et puis tous les gens sur le terrain : les habitants de ces villes qui ont été prises par l’armée russe et qui vont manifester sur la place de la ville, manifester contre les troupes. Il faut un certain courage. Ça ne répond pas du tout à l’image qu’avaient peut-être imaginée certains dirigeants russes, de troupes russes accueillies à bras ouverts comme des libérateurs … contre les nazis puisque vous le savez, c’est l’accusation ridicule de la propagande russe, qu’essentiellement, il y avait en Ukraine un gouvernement nazi. J’ai déjà parlé à plusieurs reprises de ça.
Alors, qu’est-ce qui apparaît à part ça, à part la résistance justement des Ukrainiens sur le terrain ? Ce qui apparaît et qui est très intéressant à mon sens, c’est la confirmation que nous sommes, que nous avons été dans une guerre avec la Russie sans le savoir véritablement, sans qu’on n’en parle véritablement depuis pas mal de temps. Je regardais une journaliste du Guardian dans une interview il y a un instant et elle rappelait que Trump était une arme de guerre de Poutine, que la campagne en faveur du Brexit était une arme de guerre de Poutine contre le Royaume-Uni. Et ça a très très bien marché : ça a affaibli les États-Unis et ça les affaiblit encore que Poutine soit arrivé à mettre sur le trône aux États-Unis un homme à lui. Ça arrange évidemment Poutine que le Royaume-Uni soit à ce point affaibli par le Brexit.
Comme le disait cette journaliste, les pointillés entre Trump, le Brexit au Royaume-Uni, le soutien apporté par Poutine au Rassemblement national en France et à l’image de Mme Le Pen… Vous vous souvenez sans doute de cette image que j’avais d’ailleurs mise, qui avait été brandie par une militante russe et qui se trouve maintenant affichée quelque part, je ne sais plus où, de ces trois personnages regardant l’avenir avec confiance comme on voyait autrefois Marx, Engels, Staline ou bien Marx, Engels, Mao Zedong, les trois personnages en question regardant l’avenir avec confiance. Et maintenant M. Trump, M. Poutine et Mme Le Pen.
Cette guerre de la Russie contre l’Occident est… Vous le savez, je suis quelqu’un qui a écrit un livre qui s’appelle : « Le capitalisme à l’agonie », un autre qui s’appelle « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie » : je ne suis pas, je dirais, un admirateur béat du système occidental. J’ai vécu en particulier aux États-Unis pendant 12 ans, 11 ans au Royaume-Uni. J’ai toujours été extrêmement critique des systèmes autour de moi en essayant, je dirais, d’être mesuré : que ma critique soit du même niveau que la critique nécessaire.
Mais voilà, il y avait effectivement la guerre, la guerre a repris, je dirais, après Eltsine en Russie, la guerre a repris contre l’Occident et il est important, je dirais, de le faire savoir, de le dénoncer. C’est ce que j’ai fait, de la même manière que… vous vous souvenez sans doute, il y avait ce livre que j’avais écrit, j’annonçais la crise du capitalisme américain. [je montre la couverture de « Vers la crise du capitalisme américain ? »] Là, c’était le titre qu’avaient mis les Éditions La Découverte. Ce n’était pas le titre que j’avais donné moi, ce n’était pas « Vers la crise ? », c’était « La crise du capitalisme américain ». Et quand les Éditions de La Découverte ont décidé de ne pas faire un second tirage – il y avait 750 exemplaires seulement tirés de celui-ci – ont refusé de faire un second tirage, j’ai repris les droits et ça a paru aux Éditions du Croquant avec le titre qui avait été prévu au départ.
Donc, là, j’avais annoncé un certain nombre de choses dont, vous le savez, qui se sont déroulées et d’une certaine manière, j’ai annoncé aussi la guerre dans laquelle on est maintenant. J’ai fait un travail d’enquête extrêmement en profondeur. Ça a paru en deux volumes – je fais un peu la pub parce que pourquoi pas ? – ça s’appelle « La chute de la météorite Trump », premier volume et deuxième volume et là, ça a paru aussi aux Éditions du Croquant.
Si vous voulez comprendre la guerre dans laquelle on est, eh bien, là aussi, dans ce cas-là, il y a des ouvrages qui expliquent pourquoi, qui expliquent comment ça a eu lieu parce qu’en fait, c’est ça la venue de Trump et ce qui est sans doute, je dirais, la valeur ajoutée de ces livres par rapport à d’autres choses, c’est à quel point je montre comment il s’agit en fait de Poutine, comment il s’agit en fait de la Russie dans ces deux livres-là. Ce qui a contribué en grande partie à l’absence de succès des livres quand ils ont paru. Parce que, comme je l’ai déjà rappelé, la presse, la presse de type classique, traditionnelle en France n’aime pas ma critique du système avec des titres effectivement comme « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie », ça ne me fait pas venir nécessairement sur les plateaux de télévision et par ailleurs, par ailleurs, ma critique de Poutine a fait que la presse, je dirais, d’opposition financée essentiellement par la Russie, n’a pas été très enthousiaste non plus à me soutenir.
Ce qui est intéressant a posteriori, c’est de voir pourquoi je n’ai pas été attaqué davantage par RT, Sputnik, etc., par les gens qui, eux, étaient soutenus par la Russie, à gauche comme à droite, et c’est probablement parce que je joue, je jouais quand même un rôle, je dirais, positif dans l’ensemble du point de vue de la Russie dans le cadre de la doctrine Guérassimov, c’est-à-dire de provoquer la zizanie dans les pays vus comme hostiles. Alors, ce n’est pas l’aspect, bon, que j’aurais été sympathisant ou aurais dit des mots aimables vis-à-vis de Poutine mais le fait que, de fait, je faisais partie, je dirais, des gens qui critiquaient énormément le système. Ça ne s’est pas manifesté par un soutien de la part de ces organes de propagande russe à mon égard parce que, de toute manière, je refusais les invitations sur Sputnik, RT et compagnie (et encore d’autres qui se reconnaîtront) mais en tout cas, on ne m’a pas attaqué non plus parce que, d’une certaine manière, je faisais partie de ces gens dont on considérait qu’ils jouent un rôle utile du point de vue de la Russie en entretenant la zizanie, en étant des critiques, je dirais, relativement féroces sans doute mais en tout cas, je dirais, très rationnels, qui expliquent bien leurs arguments quand ils critiquent l’ultralibéralisme, nos régimes libéraux, la société en haltères qui est la nôtre avec des riches de plus en plus riches et des pauvres de plus en plus pauvres à l’autre bout. C’est sans doute ça qui m’a valu de ne pas être attaqué de front par les organes de propagande russe en France, en Belgique et ailleurs.
Voilà, je continuerai à vous tenir au courant dans la mesure du possible.
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