Il va falloir enfin comprendre et vivre authentiquement cette injonction des Évangiles : « Tendre l’autre joue ». L’habitude a été prise de considérer Jésus de Nazareth comme un prophète, or le moment est maintenant venu d’écouter ses paroles comme celles d’un philosophe parmi les plus grands, et non celles d’un prophète ayant fait espérer aux laissés pour compte, un paradis de réparations des injustices subies ici-bas.
Il y a dans la réciprocité positive du « tendre l’autre joue », un apport décisif par rapport à la philosophie grecque, qui imprègne d’ailleurs notre justice par son esprit de désescalade, et s’écarte de la réciprocité négative incarnée dans la loi du talion, de l’« œil pour œil » qui, si elle permet une compensation des torts, le fait au prix de l’injustice envers les individus et alimente les vendettas par sa logique de réparation nécessaire pour chaque nouveau tort commis.
Le moment est venu parce que dans la guerre en Ukraine, il ne nous reste que cette approche comme principe unificateur des deux camps en présence, même si les chrétiens affirmés n’ont jamais historiquement véritablement vécu cette injonction du « tendre l’autre joue » et y ont vu plutôt un aveu de faiblesse. Le moment est venu de rappeler aux chrétiens de chacun des camps que leur religion est celle de la réciprocité positive : celle du « tendre l’autre joue », celle de l’esprit de désescalade.
Cette réciprocité positive est en réalité l’arme absolue, à la fois intellectuelle et pratique, permettant de faire face à la réalité physique de toutes ces autres armes auxquelles il faudrait que nous recourions sinon un jour. Le moment est venu pour ceux qui se disent chrétiens, ou héritiers en tout cas d’une civilisation chrétienne, Russes, Ukrainiens, et tous les autres, de vouloir véritablement mettre en œuvre, vivre, le passage essentiel des Évangiles, qui n’est pas la promesse d’un autre monde ailleurs, mais l’outil à la fois intellectuel et pratique qui rend possible de vivre heureux dans ce monde-ci, et non dans un autre : « Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil, et dent pour dent, et moi je vous dis de ne point résister au mal que l’on veut vous faire : mais si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre. Si quelqu’un veut plaider contre vous pour vous prendre votre tunique, abandonnez-lui encore votre manteau ». L’esprit de désescalade, l’esprit du temps pour la réflexion, du retour à la Raison, le logos, le Verbe.
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