Poutine est un chef, mais cela ne garantit pas qu’il soit un bon stratège.
Le discours de Poutine lundi dernier, ses exigences mardi que les forces ukrainiennes évacuent l’ensemble du Donbass au-delà de ce que tiennent aujourd’hui les séparatistes et démilitarisent entièrement leur pays constituent le même genre d’ultimatum « fait pour être impossible à accepter » que l’Autriche-Hongrie envoya en 1914 à la Serbie afin d’être sûre d’essuyer un refus et de pouvoir en prendre prétexte pour attaquer. Et Poutine a été très clair, l’indépendance de l’Ukraine est une erreur historique qu’il s’agit de réparer. Lavrov le ministre des Affaires étrangères a précisé plus tard que la souveraineté de tous les pays doit être respectée, sauf l’Ukraine !
Zelenski quoi qu’il puisse dire a tort, puisqu’il trouble l’eau dont se désaltère Poutine. D’ailleurs il a médit de lui l’an passé. Et si ce n’était lui, c’était donc son frère. Son pays sera croqué sans autre forme de procès.
Le président russe peut être comparé à un personnage de l’Histoire allemande. Non pas Hitler bien sûr, comme quelques-uns s’y essayent, mais bien Bismarck. L’objectif fondamental est bien de créer un pays unifié là où il en existe plusieurs, en exaltant et prenant pour modèle un passé plus ou moins lointain – le Reich du Moyen-Age pour Bismarck, l’Union soviétique 1922-1991 et l’Empire russe 1721-1917 pour Poutine – et ceci par la violence. « Blut und Eisen » disait le chancelier Bismarck, le sang et le fer. Bien sûr que oui la Bavière existe ! Les Bavarois sont notre peuple… Simplement, elle existera désormais dans l’obéissance à Berlin. Bien sûr que oui l’Ukraine existe ! Les Ukrainiens sont notre peuple… Simplement elle existera désormais dans l’obéissance à Moscou.
Je n’imaginais pas revoir de mon vivant un nouveau Bismarck en Europe.
Otto von Poutine va envahir l’Ukraine en 2022, et elle perdra son indépendance. En effet, l’Ukraine est militairement faible devant la Russie – tout comme l’Irak était militairement faible devant les Etats-Unis en 2003 – et les sanctions économiques occidentales qui viseront la Russie resteront supportables car elles ne pourront passer une certaine mesure – sinon, c’est l’ensemble de l’économie mondiale qui serait gravement frappée, le choc pétrolier de 1973 peut être pris comme référence. D’ailleurs, même si Etats-Unis et UE décidaient d’aller aux sanctions les plus dures, il n’y a guère de raison d’imaginer que Moscou changerait de chemin, car après tout c’est l’ensemble du Monde qui serait frappé, Poutine aurait beau jeu de dire que les problèmes viennent seulement de ces sots d’Occidentaux qui déclenchent une crise économique mondiale pour rien.
Cependant il y a au moins quatre limites, quatre risques au projet de Poutine. Et il n’est pas certain qu’il soit couronné de succès comme celui de Bismarck l’a été.
1. Une grande partie des principaux concernés – la population de l’Ukraine promise à cette « union » – ne le veulent pas. Certains résisteront par la force, même s’ils ne seront probablement pas très nombreux une fois la conquête terminée. Davantage résisteront passivement – problème moins visible mais plus débilitant à long terme.
2. La majorité des Russes ne sont pas si intéressés que ça à la reconstitution de l’Empire russe. Ils ont des soucis plus quotidiens, et assez peu envie de dépenser argent et sang pour la guerre. Certes Poutine a beaucoup durci son régime depuis deux ou trois ans – la répression des pro-Navalny est pointilleuse et approfondie – et il est hors de danger à court terme. Mais à moyen et long terme ?
3. Présenter la paire Russie-Chine comme un duo équilibré est une plaisanterie. Le rapport de forces en termes de population et d’économie est de 1 à 10, le rapport de forces militaire n’en est pas encore là mais c’est la direction qu’il prendra. Ce partenariat est encore plus déséquilibré que ne le serait un partenariat exclusif entre France et Etats-Unis ! Les coûts pour la Russie sont déjà bien réels en termes de conditions économiques négociées par les Chinois – c’est Pékin qui se régale voire se goinfre. A moyen et long terme, les conséquences sont inconnues mais ne seront probablement pas réjouissantes pour la Russie.
4. Le régime créé par Poutine est un régime personnel. L’après-Poutine, ça ressemblera à quoi ? Vladimir Vladimirovitch a fait le vide autour de lui. C’est l’un des inconvénients majeurs de l’autocratie – les changements de personnel dirigeant sont des risques d’instabilité majeure. La France et plus généralement les pays démocratiques n’ont pas ce genre de problème, par exemple dans deux mois soit Macron se succédera à lui-même, soit l’affaire se conclura par une poignée de main dans la cour de l’Elysée et une petite musique de la garde républicaine pour accueillir le nouveau locataire des lieux… deux possibilités tout à fait tranquilles. Mais les autocraties échangent une meilleure stabilité à court terme contre de graves risques d’instabilité à long terme.
Le fondateur de la Fondation contre la corruption et opposant Alexei Navalny, ayant survécu à l’empoisonnement de 2020, a été condamné à 15 ans de camp. Il arrive tout de même à poster sur Twitter, probablement en faisant passer des textes par téléphone ou par son avocat. Voici son point de vue suite au « débat » de Poutine lundi avec ses collaborateurs sur la reconnaissance de RPD et RPL dans l’est de l’Ukraine. Disons-le tout de suite : il n’a pas perdu en combativité ! Et son analyse peut être résumée d’une phrase : le projet de Poutine débouchera sur un désastre pour la Russie.
Hier, j’ai regardé la « session du Conseil de sécurité », ce rassemblement de radoteurs et de voleurs (il me semble que notre Fondation anti-corruption a fait des enquêtes sur la corruption de chacun d’entre eux).
Et j’ai pensé à cette même assemblée de nomenklatura radoteuse du Politburo du Comité central du PCUS, qui, de la même manière, sur un coup de tête, se prenant pour des géopoliticiens sur le « grand échiquier », ont décidé d’envoyer des troupes soviétiques en Afghanistan.
Le résultat a été des centaines de milliers de victimes, des blessures à des nations entières, dont nous et l’Afghanistan ne pouvons toujours pas surmonter les conséquences, et l’émergence de l’une des raisons clés de l’effondrement de l’URSS.
Ces crétins du Politburo se sont couverts d’une idéologie à deux visages. Ces abrutis de Poutine n’ont même pas d’idéologie – seulement des mensonges constants et non déguisés. Ils ne prennent même pas la peine de donner à leur casus belli la moindre crédibilité.
Tous deux n’ont besoin que d’une chose : détourner l’attention du peuple russe des vrais problèmes – le développement de l’économie, la hausse des prix, l’anarchie régnante – pour la reporter sur le format de « l’hystérie impériale. »
Depuis combien de temps n’avez-vous pas regardé les informations sur les chaînes fédérales ? C’est la seule chose que je regarde maintenant, et je peux vous assurer qu’il n’y a AUCUNE nouvelle sur la Russie là-bas. Littéralement. Du premier au dernier morceau, c’est Ukraine – USA – Europe.
La propagande nue ne suffit plus aux voleurs séniles. Ils veulent du sang. Ils veulent déplacer des figurines de chars sur une carte des hostilités.
Et ainsi, le chef du Politburo du 21ème siècle fait un discours vraiment insensé. Twitter a donné la métaphore la plus précise pour cela : « C’est comme si mon grand-père se saoulait lors d’une fête de famille et embêtait tout le monde avec ses histoires sur le fonctionnement réel de la politique mondiale. »
Ce serait drôle si le grand-père ivre n’était pas un homme de 69 ans qui détient le pouvoir dans un pays doté d’armes nucléaires.
Remplacez « Ukraine » dans son discours par « Kazakhstan », « Biélorussie », « pays baltes », « Azerbaïdjan », « Ouzbékistan » et ainsi de suite, en incluant même « Finlande ». Et pensez à l’endroit où le train de la pensée géopolitique de ce grand-père sénile pourrait le mener ensuite.
Tout cela s’est très mal terminé pour tout le monde en 1979. Et cela se terminera tout aussi mal aujourd’hui. L’Afghanistan a été détruit, mais l’URSS a également reçu une blessure mortelle.
Grâce à Poutine, des centaines d’Ukrainiens et de citoyens russes peuvent mourir maintenant, et dans le futur, ce nombre peut atteindre des dizaines de milliers. Oui, il ne permettra pas à l’Ukraine de se développer, il l’entraînera dans le marécage, mais la Russie paiera le même prix.
Nous avons tout pour un développement puissant au 21ème siècle, du pétrole aux citoyens éduqués, mais nous perdrons encore de l’argent et gaspillerons la chance historique d’une vie riche et normale au profit de la guerre, de la saleté, des mensonges et du palais avec des aigles dorés à Gelendzhik.
Poutine et ses voleurs séniles du Conseil de sécurité et de Russie Unie sont les ennemis de la Russie et sa principale menace, pas l’Ukraine ni l’Occident. Poutine tue et veut tuer encore plus.
C’est le Kremlin qui vous rend plus pauvre, pas Washington. Ce n’est pas à Londres que la politique économique est menée de telle manière que le « set de bortsch » d’un retraité a doublé de prix, mais à Moscou.
Se battre pour la Russie, pour la sauver, signifie se battre pour chasser Poutine et ses kleptocrates du pouvoir. Mais maintenant, cela signifie aussi le banal « se battre pour la paix ».
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