Il y a trois jours, le 26 janvier, après quelques jours d’hésitation, j’ai consacré une vidéo à la situation aux frontières de l’Ukraine, intitulée « Et maintenant, la guerre ». Je lui donnais pour sous-titre « La revanche de la Russie ».
Depuis, un débat se déroule sur le blog où j’ai publié en particulier un billet invité d’Alexis Toulet, m’apportant la contradiction, intitulé « Ukraine : « Moins pessimiste sur le plan militaire, partageant votre inquiétude sur le plan économique ».
Dans l’ensemble des objections qui ont été faites à mon analyse, et que j’ai lues avec attention, je n’ai cependant rien vu qui me conduirait, 72 heures plus tard, à changer un iota à ce que j’ai dit le 26. Pour le dire avec un peu de brusquerie, si j’ai trouvé là quelques grammes d’informations qui pourraient me conduire à revoir mon point de vue, le plus gros de ce qu’on m’oppose, ce sont des tonnes de … vœux pieux.
Or, comme pourraient le savoir celles et ceux qui viennent sur mon blog, et comme je le rappelle en titre, je fais dans l’analyse des faits et le vœu pieux n’est pas mon fonds de commerce.
Je n’aurais pas pris le temps et consacré l’effort d’un billet à de telles choses allant de soi à mes yeux, si je n’avais reçu de quelqu’un un courrier constituant un appel passionné à ce que … je rejoigne le camp des émetteurs de vœux pieux ! J’ai répondu de la manière lapidaire que je vous dirai dans un instant à ce premier courrier mais mon interlocuteur est revenu à la charge, commettant dans chacun de ses courriers un malentendu fondamental sur ce que sont la psychanalyse et quel est le rôle du psychanalyste. C’est à cela que je tiens à répondre car il y a là une erreur majeure non seulement sur un type de savoir et une profession particulière, mais plus fondamentalement encore, sur ce que sont la condition et l’expérience humaines.
Je cite :
Le psychanalyste que vous êtes n’a pas manqué je suis sûr, de réfléchir à ce besoin que vous avez (à mon avis trop souvent) de prévoir les catastrophes (écologiques, guerrières aujourd’hui) et je me demande même si vous n’en n’éprouvez pas une certaine jubilation… Votre livre Le dernier qui s’en va éteint la lumière m’avait enthousiasmé et je vous avais déjà écrit à l’époque. Nous avions convenu qu’un homme qui avait 5 enfants (je crois me rappeler) ne pouvait être totalement pessimiste…
Pourtant vous persistez à nous plonger dans le désespoir, alors que vous savez que nous sommes tous impuissants à pouvoir faire quoi que ce soit.
À part pouvoir affirmer « Je vous l’avais bien dit » avant tous les autres… je ne vois pas le sens de votre discours.
J’ai quasiment votre âge, j’ai accepté ma finitude prochaine… enfin je crois… on verra bien sur le moment ! Mais je ne me résous pas à l’avenir que nous laissons à nos petits-enfants (5 ans, 8 ans) puisque je suis intimement convaincu que nous allons dans le mur écologiquement parlant… et vous venez nous rajouter une guerre pour la semaine prochaine…Je ne sais comment terminer cette lettre… si ce n’est… en revenant au début… Quel est le sens de votre vidéo. Pourquoi agissez vous ainsi… et si nous préférions demeurer dans l’ignorance, l’illusion puisque de toute façon nous n’avons aucune solution ?
Ne préférez-vous pas faire comme les autres : « bof, faisons semblant de croire que tout va s’arranger… que Poutine va devenir raisonnable, que la science va trouver des solutions pour absorber le carbone, pour régénérer la biodiversité, pour nous procurer plus de matière première, etc.
J’ai répondu à ce qui me semblait l’essentiel du message :
Vous le dites très bien : je suis psychanalyste, du côté de la lucidité. Pas du côté de Machiavel : « Il faut une religion au peuple ». Cette position-là a un nom : le mépris. Je ne serais pas digne d’être psychanalyste. Cordialement.
Mon interlocuteur est revenu à la charge ce matin :
Vous savez bien que cette explication-là, « c’est des salades », c’est le moi « narrateur » qui s’exprime, ce n’est pas l’expression de la réalité psychique. Mais là, je vous laisse avec vous-même.
Vu votre notoriété, votre écoute, vous vous devez de vous maitriser dans votre expression.
Désolé de vous donner des recommandations « et maintenant la guerre » (vous n’avez quand même pas écrit « thermo-nucléaire), cette expression est racoleuse et à mon avis n’est pas digne d’un homme responsable.
Un développement donc, plus appuyé encore, de la même thèse que l’homme responsable, et surtout s’il bénéficie d’une notoriété, a pour devoir de « vendre des salades » : de présenter le monde autrement qu’il n’est « pour ne pas désespérer Billancourt » *, comme on aurait dit à une certaine époque.
Bien sûr, le moins que l’on attende d’un psychanalyste, c’est qu’il voie clair sur ses propres motivations, et c’est d’ailleurs ce que j’ai fait à propos de cette vidéo « Et maintenant, la guerre », dès le lendemain, dans celle avec Stéphanie intitulée « La solution est en vous » (à 5m37s).
Mais le psychanalyste n’est pas un « marchand de bonheur », la psychanalyse n’est pas une variété de la méthode Coué encore appelée « pensée positive ». Dans Malaise dans la civilisation (1930), Freud expliqua pourquoi la tragédie de la condition humaine était sans solution, après qu’il avait expliqué dans L’avenir d’une illusion (1927) que nos seuls choix sont entre l’opium, l’opium du peuple et … « faire avec ». C’est dans ce dernier texte que Freud rappelait que la psychanalyse est « un instrument impartial, semblable, pour ainsi dire, au calcul infinitésimal », et je reproduis le commentaire qu’ajoute le Dictionnaire de la psychanalyse (1997) d’Élisabeth Roudinesco et Michel Plon : « En cela, elle n’est pas plus responsable de ce qu’elle met en évidence que le calcul infinitésimal dans l’hypothèse où il permettrait à un physicien de découvrir l’anéantissement futur de la planète ».
Cela vous rappelle quelque chose ? Dont’ Look Up. Ici, on regarde vers le haut. Vendeurs de salades et acheteurs potentiels de salades, votre lieu n’est pas ici.
* « désespérer Billancourt » sur le blog Langue sauce piquante
La presse utilise souvent cette expression, comme le Canard du 12 décembre dans un papier sur le FMI. Il n’est pas certain que tout le monde en connaisse le sens originel : nous la devons à Jean-Paul Sartre. Alors qu’il était en plein compagnonnage avec le PCF, dans les années 1950, il rétorqua à des critiques de gauche qu’« il ne faut pas désespérer Billancourt », voulant signifier par là qu’il ne faut pas forcément dire la vérité aux ouvriers, de peur de les démoraliser. Sartre savait aussi faire son jésuite. Et prêcher l’ignorance, au moins partielle, pour le peuple (comme Voltaire). « Billancourt » est une métaphore du prolétariat : cette usine Renault fut longtemps la plus grande concentration ouvrière en France.
Bien plus tard, dans les années 1970, ses années « Gauche prolétarienne » et Libé, quand il tenta d’haranguer les ouvriers à la sortie de l’usine, juché sur un baril, il en fut empêché par un cordon de militants du PCF, qui couvrirent sa voix, et surtout qui avaient retenu sa leçon : il était puni par où il avait prêché.
Laisser un commentaire