L’objet de ce message est de partager avec vous l’interrogation suivante concernant l’idée générale de vos vidéos « Le temps qu’il fait le… », la dernière datant du 14 décembre 2021, et leurs conclusions : est-ce que Vassili Grossman faisait déjà un constat similaire dans « Vie et destin » ?
Je cite Vassili Grossman « Vie et destin », Livre de Poche, édition de 2019, Partie 1 Chapitre 17 pages 109 et suivantes.
Anna Semionovna, retenue dans le ghetto juif de Berditchev, en Ukraine. La lettre à Vitia son fils (extraits : p. 120) :
Les gens vivent comme s’ils avaient de longues années devant eux. Il est difficile de savoir si c’est bête ou au contraire intelligent, c’est ainsi, voilà tout. Et je me suis soumise à cette loi. Deux femmes venant d’un shtelt racontent la même chose que mon ami. Les Allemands dans toute la région exterminent tous les juifs sans épargner les enfants et les vieillards. Des Allemands et des politsaï arrivent en camion, réquisitionnent quelques dizaines d’hommes pour des travaux de terrassement, ils creusent des tranchées, puis, deux ou trois jours plus tard, les Allemands mènent à ces fossés toute la population juive et les fusillent tous jusqu’au dernier…/… Notre tour doit être prévu par le plan dans une semaine ou deux. Mais figure-toi que, tout en comprenant cela, je continue à soigner les malades et leur dis : « Si vous baignez vos yeux quotidiennement, vos yeux guériront dans deux ou trois semaines »…/… Et voilà comment cela se passe, les hommes continuent à vivre. Nous avons même eu il y a quelques jours une noce. Les bruits naissent par centaines. Tantôt mon voisin m’annonce, en s’étranglant de joie, que nos troupes sont passées à l’offensive et que les Allemands sont en fuite. Tantôt le bruit se répand comme quoi le gouvernement soviétique et Churchill ont lancé un ultimatum aux Allemands et que Hitler a ordonné de ne plus tuer les juifs. Tantôt on annonce que les Juifs seront échangés contre les prisionniers de guerre allemands.
Ainsi le ghetto est l’endroit au monde où il y a le plus d’espérance. Le monde est rempli d’évènements qui n’ont qu’un sens, qu’une cause : le salut des Juifs. L’espoir est indéracinable ! Et la source de cet espoir est une : l’instinct de vie, qui résiste sans aucune logique à l’idée effroyable que nous sommes tous condamnés à périr sans laisser de traces. Je regarde autour de moi et je me dis : ˝Est-il possible que nous soyons tous des comdamnés à mort qui attendent leur exécution ?˝ Les coiffeurs, les cordonniers, les tailleurs, les médecins, les chauffagistes… tous travaillent. On a même ouvert une maternité, ou plutôt un semblant de maternité. Les lessives se font, le linge sèche sur les cordes, à partir du 1er septembre les enfants vont à l’école et les mères interrogent les maîtres sur les notes de leurs enfants. …/… Et maintenant, voilà autre chose que des bruits. Aujourd’hui, les Allemands ont emmené quatre-vingts jeunes gens à l’arrachage des pommes de terre. Certains se réjouissent : ils pourront peut-être rapporter quelques pommes de terre pour la famille. Mais j’ai compris de quelles pommes de terre il s’agit. »
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