P.J. Ne dites pas « phénix », dites « étalon-or », car plus sûrement encore que l’oiseau mythique, il ressuscite de ses cendres – même apparemment dissimulé dans une note sur le Blog de PJ (mais vous voyez, j’ai l’œil 😀 ).
Ce n’est pas seulement de dette publique qu’il faudrait parler, mais de l’ensemble des dettes y compris privées. Le total de l’endettement mondial était estimé en septembre dernier à 296 trillions de dollars, à comparer avec un PIB mondial 2020 de 84,5 trillions soit un rapport Dette / PIB de 350%. Même si l’économie mondiale devrait rebondir cette année, cela ne devrait pas beaucoup changer ce chiffre.
Mais à qui est due cette dette pourrait-on demander ? N’est-ce pas à nous-mêmes, puisqu’après tout aux dernières nouvelles nous ne nous sommes pas endettés auprès des Martiens ? Oui, c’est bien à nous-mêmes.
Plus précisément, il me semble que l’on pourrait dire que cet endettement correspond à des « traites sur l’avenir », il s’agit de la valeur d’une production de biens et de services qui n’a pas encore lieu, mais qui est escomptée à l’avenir. Pour chaque élément de cette dette, il y a un créancier en face qui pense de son côté avoir « de l’argent en banque », ou le droit à une rente quelconque, ou telle assurance sur l’avenir : ce créancier pense que contre son avoir (sa créance) il pourra le moment venu obtenir des biens et services tangibles.
Il faut noter que ce rapport Dette / PIB de 350% est historiquement élevé et continue à s’accroître. Pas plus tard qu’en 2013, l’endettement mondial était à 210 trillions et le PIB à 77 trillions, soit un rapport de 270%, à l’époque déjà élevé d’ailleurs. Autrement dit, nous faisons collectivement de plus en plus de traites sur l’avenir, nous escomptons de plus en plus la production de biens et services futurs.
Ce qui ne serait pas nécessairement un problème si nous étions dans un monde non seulement prospère, mais surtout promis à une prospérité de plus en plus grande, indéfiniment augmentée même, sans limite aucune et sans nuage aucun. Alors, puisque l’avenir économique serait radieux, il n’y aurait guère de problème à compter qu’il sera rempli de richesses foisonnantes, et d’escompter ces richesses.
C’est en fait « un peu » en décalage avec la réalité, évidemment, pour ne pas dire que ça jure violemment avec la réalité, étant donné que certaines des ressources physiques indispensables à nos activités économiques sont en quantité finie sur cette Terre (non renouvelables), notamment les carburants liquides pour lesquels nous sommes vraiment en train de tirer sur la corde : le pic du pétrole conventionnel était en 2008, le pic du pétrole toutes sources confondues est annoncé vers 2025 par l’Agence Internationale de l’Energie. Ceci sans parler de la nécessité de remplacer rapidement nos sources carbonées d’énergie si nous voulons limiter les dégâts à venir du réchauffement climatique, nécessité certes criante mais notre choix collectif jusqu’ici est de ne pas faire grand-chose donc il faut plutôt parler des limites physiques que d’une quelconque autolimitation que nous ne pratiquons pas.
Or nous approchons rapidement de ces limites physiques. Donc les biens et services escomptés dans cet endettement mondial de 350% du PIB ne se matérialiseront jamais – pas dans cette quantité, il s’en faut de beaucoup. C’est-à-dire que tôt ou tard, et d’une manière ou d’une autre, le stock mondial de dettes sera réduit, peut-être assez brutalement, et certainement pas par le remboursement.
Cela s’appelle une crise de la dette. La plus grande de l’Histoire, peut-être, ne serait-ce que parce qu’elle risque fort d’être véritablement mondiale.
Qu’est-ce qui fait « tenir » cet endettement, alors ? La crise mondiale de la dette à venir n’est peut-être pas encore à la première page des journaux, mais enfin elle semble déjà inévitable, et le raisonnement qui conduit à la prévoir est à la portée de beaucoup d’analystes financiers ou économiques de banques, Etats ou grandes entreprises. Alors, pourquoi est-ce que tout le monde – enfin tous ceux qui pèsent – ne se précipite pas pour retirer son pèse et ses ronds et acheter à la place des biens qui traversent les crises d’endettement – terres à blé, or, forêts, parts d’entreprises solides, etc. ?
De ce que j’en comprends, il y a plusieurs facteurs :
– Il faut d’abord remarquer que certains agissent bien dans ce sens. Le cours de l’or a été multiplié par 3 depuis la crise de 2007-2008, c’est que la demande est plus grande, de même le prix des parts d’entreprises a beaucoup augmenté. La Bourse s’est rarement aussi bien portée, et c’est sans doute en partie parce que certains se rappellent que les entreprises ne disparaissent pas, du moins pas toutes, même dans les pires crises d’endettement. Acheter des parts d’entreprises, ce n’est donc pas seulement parier sur des profits futurs, c’est aussi tout simplement se laisser une chance de plus de conserver une partie de sa richesse même en cas de « restructuration » de l’endettement mondial (1)
– Ensuite, pour qui dépend du résultat financier souvent du trimestre, parfois de l’année, ou au mieux du mieux des quelques toutes prochaines années, par exemple la plupart de ceux qui contrôlent une grande entreprise, ou une grande banque, ou qui gèrent des fortunes privées pour le compte de leurs détenteurs, le plus important n’est pas ce qui va se passer dans dix ans, et il n’y aurait aucun avantage et beaucoup d’inconvénients à agir avant les autres. Tant que le manège continue à tourner, pas question d’en descendre
– Et enfin, sans doute le plus important, les « politiques non-conventionnelles » des banques centrales, adoptées au moment de la crise financière de 2008 pour éviter que l’édifice de l’endettement ne s’écroule à ce moment-là, et qu’il n’est peut-être plus temps d’appeler non-conventionnelles puisqu’elles n’ont jamais été rapportées et sont en voie de devenir traditionnelles, même si elles sont extraordinaires ô combien ! Non seulement l’ « assouplissement quantitatif » c’est-à-dire la planche à billets, mais encore et surtout le ZIRP acronyme anglais de « politique de taux d’intérêt zéro » c’est-à-dire le maintien à très très peu du taux d’intérêt « de base » d’une banque centrale, qui par ricochet tire vers le bas tous les autres taux d’intérêt. Et ce sont bien ces taux très bas qui ont permis au service de la dette – c’est-à-dire le coût pour la faire rouler d’une année sur l’autre – de rester limité, évitant qu’un service de la dette trop lourd n’écrase les débiteurs, éveillant du coup la méfiance des créanciers quant à leur capacité à le payer, d’où augmentation du taux demandé par ces créanciers, nouvel alourdissement du service de la dette etc. en un cercle vicieux menant à faillite et « restructuration » de l’endettement
Alors, que faudrait-il faire ?
Franchement, la situation est inextricable, et j’ai plus de questions que de réponses. Quelques remarques quand même :
– S’épuiser à tenter de rembourser les dettes, serrer la ceinture en mode marche ou crève, n’aurait guère de sens. L’austérité peut avoir du sens si c’est un effort qui a une chance d’être fructueux, de résoudre vraiment la difficulté – à condition bien sûr qu’elle soit partagée équitablement ce qui serait un autre débat. Mais là où nous en sommes arrivés, c’est fichu pour s’en sortir de manière vertueuse à la Caton l’Ancien ou à la De Gaulle, qu’il s’agisse d’ailleurs de l’endettement privé comme public. Autant regarder cette réalité en face
– Une option serait de plus ou moins négliger l’endettement, et de s’occuper plutôt de comment utiliser les avantages de la situation transitoire que nous vivons – le tas mondial de dettes ne s’est pas encore écroulé – pour préparer l’avenir. C’est-à-dire la transition vers des activités économiques respectant le vivant, en premier lieu même si pas seulement basées sur des énergies non carbonées. Donc réorienter l’investissement public comme privé (par des incitations) en ce sens. L’idée étant d’utiliser les avantages de la situation – on peut s’endetter comme on veut dites donc ! – pour faire des choses utiles. Inconvénient : il faudra sans doute continuer à répéter « Pourvou qué ça doure ! » comme Letizia Bonaparte tant que tout marchait bien pour son empereur de fils, car Bérézina, Leipzig et Waterloo arriveront, même si à échéance indéterminée. Et alors, on fera quoi ? D’ailleurs, les troubles persistants des chaînes logistiques mondiales et l’inflation qui redémarre assez fort notamment aux Etats-Unis… est-ce que ça ne pourrait pas ressembler un peu à l’incendie de Moscou ?
– Une option serait l’ « opération vérité ». Je ne sais comment pratiquement ce serait possible (2) ni si ça le serait vraiment, mais l’objectif serait de dissiper l’illusion qu’est du point de vue des créanciers cette richesse massive mais en grande partie factice. Il y aurait au moins deux grands avantages. D’une part les ressources réellement utilisables seraient moins gaspillées si l’on se rendait compte qu’elles sont beaucoup plus limitées qu’on ne le dit. D’autre part un écroulement volontaire du tas de dettes serait une action politique, donc une question politique, ce qui laisserait au moins une chance que les dégâts soient un peu mieux répartis que si la chose arrive par la nature des choses. En clair, une chance de protéger un peu les plus faibles, au prix d’un peu plus d’inconvénients pour les plus aisés mais eux peuvent le supporter, plutôt que des foules entières se retrouvent coincées sous les décombres. Les inconvénients seraient grands aussi : notamment, de même que le porteur de mauvaises nouvelles en est souvent désigné comme le coupable, celui qui met fin à une situation même très malsaine et condamnée en sera désigné comme coupable. Et aussi, l’écroulement volontaire et contrôlé est une discipline difficile et il n’y a guère de recul, il y aurait un grand risque qu’il se transforme en effondrement incontrôlé. Rappelons que l’objectif de Gorbatchev était de réformer et d’assurer la pérennité de l’Union soviétique
Si je devais vraiment choisir à froid, je suppose que je tenterais de combiner ces deux options, en tirant sur la corde de l’endettement tant que ce sera possible pour investir dans la transition énergétique et écologique, mode Letizia Bonaparte « Pourvou qué ça doure », mais en préparant – évidemment discrètement – l’opération vérité et « démolition contrôlée ». Cette dernière option étant destinée sinon à précipiter les événements, du moins à les prendre de vitesse, lorsqu’ils auront commencé, en somme à se donner les moyens lorsque l’écroulement commencera de ne pas être coincé dessous, de ne pas laisser la plupart rester coincés dessous.
Tout cela restant quoi qu’il en soit plus facile à écrire qu’à faire, il faut le reconnaître ! Ce pourquoi j’en reste à une certaine perplexité…
(1) L’un a une créance pour « cent barils d’huile ». On écrira sur son reçu « cinquante ». L’autre a un avoir pour « cent sacs de blé ». On écrira sur son reçu « quatre-vingts.” Ce sont là les chanceux. D’autres auront leurs reçus invalidés, ils ne vaudront plus rien du tout.
(2) Enfin j’ai une petite idée quand même. Passer à l’étalon or pour l’euro, en posant la parité « 1 € = tant de milligrammes d’or », ce qui aurait sans doute le même effet sur le tas de dettes qu’un dynamitage pur et simple. Inconvénient évident : des faillites en série, et pas mal de gens sous les décombres. S’il existe des méthodes plus modérées que « On fait tout sauter » et autre « Tout cramer pour repartir sur des bases saines » à la Léodagan je ne les connais pas
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