Ayant entrepris d’explorer les motifs du refus du pass sanitaire et les raisons de la résistance à la vaccination, je me suis ému, dans un premier temps, du déficit de prise en compte de la pluralité dans nos sociétés et souhaité que nous y songions sérieusement surtout depuis que nous sommes entrés en effondrement. Il y a toutefois, je crois, une autre explication possible. C’est ce que je développerai dans cette deuxième partie.
Deuxième volet : de la nature comme étalon de notre nature
J’ai pensé à cette explication du refus de la vaccination en regardant une nième vidéo sur le transhumanisme où il était question de la possibilité d’augmenter l’humain. Cette vidéo montrait assez bien comment nous arrivons à l’enhaussement : une personne se trouve privée d’une aptitude dont la nature a doté tous les humains, en raison d’un accident notamment. Cette situation désolante entraîne la mise en branle du génie humain avec pour aboutissement une solution dont les performances surpassent la fonction qu’il fallait suppléer. On pense alors à la possibilité d’équiper d’autres humains ne souffrant d’aucune déficience de cette fonctionnalité améliorée.
Naturellement on est bluffé par une si grande ingéniosité des humains et le discours de l’orateur passe comme une lettre à la poste. Mais l’on se souvient quelquefois, à la manière d’un flash-back au cinéma, que nous entendons bien la personne que nous plaignions tantôt pour avoir été privée d’une de ses aptitudes natives. Dans le même ordre d’idées, il nous arrive de penser à ces moments où nous-même avons été accidenté ou suffisamment malade pour nous sentir un peu en retrait de la vie comme elle va. Et l’on se demande alors s’il est tout à fait anodin de discuter de la vie comme elle va avec une personne qui a été en quelque sorte un peu en retrait pendant un moment ? Ou peut-être est-ce l’inverse : nous trouvons salutaire de discuter de la vie avec quelqu’un qui a dû prendre du recul et donc qui l’apprécie davantage. On se demande quand-même s’il n’y a pas de risque qu’il en fasse un peu trop ; si le désir d’augmentation, la conviction que celle-ci est désirable ne serait pas le contrecoup d’une expérience de perte d’une faculté pendant un moment ; s’il ne s’agit pas d’un excès engendré par un manque antérieur ?
Ensuite par un cheminement que je ne suis pas encore capable d’expliciter, l’on se trouve projeté dans la situation d’un observateur de l’histoire technologique de l’humanité. Et l’on se souvient que ce sont (très certainement) nos diverses déficiences face aux rigueurs de la nature qui nous ont amené à développer des prothèses de toutes sortes qui peuplent notre vie moderne. Contrairement aux animaux et aux plantes, les humains ne se sont pas adaptés à leur environnement uniquement en modifiant leur organisme pour le doter de nouvelles aptitudes ou alors c’était il y a bien longtemps et cela a dû arriver très lentement, très progressivement. En fait, nous sommes plutôt allés très vite en développant depuis deux cents ans à peine de nombreuses prothèses qui permettent, au besoin, d’adapter la nature à nos capacités. Au final, il apparait que nos réussites les plus spectaculaires découlent plus de notre art de la prothèse que de l’adaptation de notre organisme.
Pour autant, nous n’avons jamais oublié les aptitudes de notre organisme. Les désactivations par accident nous y ramènent naturellement mais nous éprouvons également une certaine fascination pour les athlètes, les gymnastes, les danseurs, les acrobates. Nous sommes émerveillés de voir se déployer les prodigieuses capacités de l’organisme humain. Nous avons même inventé les jeux paralympiques comme pour signifier – au sujet de cet organisme humain – quand il y en a plus, il y en a encore ! C’est certainement le signe que nous n’avons jamais renoncé à l’idée d’une plasticité, d’une grande adaptabilité de l’organisme humain. Il est même possible que nous regrettions quelquefois (secrètement) l’usage excessif de prothèses qui empêcheraient l’organisme de déployer toute sa plasticité. Il me semble en tout cas que c’est un regret de cette nature qui porte le germe de la réticence contre tout ce qui pourrait ressembler à une aide excessive apportée à notre organisme dans des situations où il pourrait bien s’en sortir si on lui en donnait l’opportunité, au risque de lui faire endurer quelques désagréments, une souffrance voire des échecs individuels qui permettront peut-être une réussite collective.
Je pense donc que résistance à la vaccination trouve quelques-uns de ses ressorts dans ce fantasme de la capacité de notre corps à s’adapter, à résister. D’une certaine manière la stratégie de l’immunité collective par la contamination n’est pas totalement absente du refus de la vaccination. Seulement les choses sont ramenées à une prise de risque individuelle que l’on juge éloignée d’un choix imposé à tous, d’en haut. Plus nous avançons dans l’effondrement avec la disparition plus que probable des prothèses que nous voyons manquer à l’appel à chaque catastrophe, plus une partie de la population songe à (re)constituer pour elle-même et pour sa descendance une résistance aux rigueurs de la nature. Il s’agit au final de (re)fabriquer une nature humaine capable de survivre à la nature non atténuée par des prothèses, comme nos ancêtres lointains sont parvenus à le faire à l’aube de l’humanité.
Mais n’est-il pas trop tard ? Essayons de faire le tour des prothèses dont nous dépendons déjà. Quelques exemples seulement : comment ferions-nous pour mener une vie active au-delà de 50 ans si nous n’avions pas inventé des lunettes de vue et plus récemment la chirurgie optique au laser ? Où en serait notre espérance de vie si nous n’avions pas inventé les antibiotiques, la chirurgie cardiaque, toutes sortes de médicaments et thérapies contre le cancer notamment et les vaccins tiens ! Qu’en serait-il donc de notre reproduction sans la fécondation in-vitro ? Il y a toutefois un fait important : l’industrie de la prothèse est très inégalement répartie sur la planète. Il est ainsi des endroits où l’usage de la prothèse, parcimonieux par nécessité, contraint encore les organismes à subir les rigueurs de la nature avec tout ce que cela implique de raccourcissement de l’espérance de vie.
On observera que ces populations encore insuffisamment assistées (en prothèses) sont plutôt demandeuses de vaccins et que c’est en France – championne à ce qu’il paraît de la consommation de médicaments – qu’apparait le plus de résistance à la vaccination. Le processus de formation de cette résistance est-il comparable à celui de l’apparition auto-générée de la résistance aux antibiotiques ? Les organismes se disent-ils : trop c’est trop, laissons-nous une petite possibilité d’apprendre à résister ? Et puisque nous sommes entrés en effondrement, ne pensons-nous pas (avec une envie indécente) que dans le monde qui vient, ces populations qui ont le moins bénéficié de notre industrie de la prothèse sont peut-être mieux armées pour survivre ? Mais peut-être faut-il rappeler que ce qui vient n’a rien de la nature ‘originelle’ que nous fantasmons ; qu’il s’agit hélas du résultat de notre activité de dénaturation (incluant notre industrie de la prothèse) et que face à cela aucun organisme n’est armé pour s’adapter ?
Quoi qu’il en soit, il me semble qu’une certaine crainte de ne plus être capable de s’adapter à la nature alors que nous avançons en effondrement, que cette crainte éveille des velléités d’exposition de notre organisme au danger afin de l’aguerrir, de lui permettre de déployer la plasticité dont nous le croyons encore capable. Le fait que l’on observe chez les anti-vax une forte présence (du moins médiatique) de la droite extrême, celle qui est connue pour son culte du corps (pas nécessairement sans prothèses d’ailleurs), est une illustration de plus de la croyance qu’il serait possible d’activer – de réactiver – notre organisme. Il s‘agit donc, je crois, d’un désir de renaturation de l’espèce humaine. C’est très certainement un fantasme mais qu’adviendra-t-il du reliquat de l’humanité lorsque (dois-je écrire si) les plans A, B et C auront échoué ?
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