A force de lire des explications que je qualifierais de maladroitement sentencieuses sur les motifs du refus du pass sanitaire et plus profondément sur les raisons de la résistance à la vaccination, je me suis demandé s’il ne serait pas intéressant d’essayer de formuler une explication ou tout au moins de poser la question d’une autre manière ? L’exercice me parait d’autant plus envisageable que j’ai moi-même un peu de mal à adhérer à tout ce que l’on décide dans la précipitation. Et même si ce n’était pas le cas, partageant une part d’humanité avec les anti-vax, il me semble possible d’essayer de ressentir leurs motivations. Le refus du pass sanitaire et la résistance à la vaccination sont, je crois, révélateurs de bien des choses sur nous et sur notre société. Le pire serait que nous refusions à regarder de près sous le prétexte spécieux que la maison est en feu et qu’il n’y a rien d’autre à faire que de courir droit devant. A ce train-là il y a toujours quelque chose qui brule (d’autant que nous sommes entrés en effondrement) alors sortirons-nous jamais de l’auberge ?
Pour tenter de couper court à toutes les supputations qui auraient pour effet de m’éloigner de mon sujet principal, je précise qu’à ce jour, je suis nanti d’un pass sanitaire à la suite d’une vaccination unique justifiée par le fait que j’ai été testé positif dans le courant de la troisième vague, heureusement presque sans symptômes hormis d’avoir transpiré nuitamment, ce qui fut la raison pour laquelle j’ai voulu faire un test. J’ajoute qu‘avant ce test positif j’étais un peu hésitant quoique assez disposé à me présenter à la vaccination quand mon tour arriverait. Mais après avoir été contaminé et ayant constaté que mon organisme a assez bien résisté, je me suis dit que je pouvais attendre un peu, que le virus disparaitrait peut-être avant que mon immunité acquise ne s’estompe ou que mon organisme résisterait de mieux en mieux. J’étais dans la situation d’un supporteur qui a vu son idole de boxeur remporter un combat et qui est devenu presque plus confiant que le combattant.
Mais revenons aux motifs du refus du pass et aux raisons de la résistance à la vaccination. J’ai organisé mon exploration du sujet en deux volets.
Premier volet : de notre difficulté à gérer la pluralité
La séquence des évènements que nous avons vécus depuis le début de la crise sanitaire semble illustrer, une fois de plus, l’incapacité de nos sociétés à gérer la pluralité. Nous avons ainsi tendance à transformer toute question en un affrontement entre le vrai et le faux, en opposition entre le bien et le mal. Il faut toujours que tout se termine par la victoire d’un camp sur l’autre et nous poursuivons ce combat même lorsqu’il est devenu inutile quitte à ressusciter la controverse sous d’autres formes.
Peut-être devrions-nous accepter de laisser s’installer un peu de palabre dans nos sociétés ? Ce que je m’apprête à dire au sujet de la palabre, je le tiens d’un de mes profs de lycée, un excellent homme d’origine Suisse qui a passé sa vie active (soit plus de 40 ans) en Afrique. Mais j’assume l’entière responsabilité de la restitution que je fais ici. La palabre est habituellement dédaignée parce qu’elle consiste en un bavardage d’apparence désorganisé d’où il ne ressort généralement aucune décision concrète. Pour une société habituée à planifier, à écrire des programmes puis à les exécuter, la palabre est indubitablement une perte de temps.
En regardant de près, il est toutefois possible d’y reconnaitre un dispositif d’élaboration de consensus social respectant la pluralité. On ne s’exprime pas dans une palabre pour gagner, pour l’emporter sur l’autre. Il ne s’agit pas de faire triompher une opinion tenue pour vraie sur une autre qui serait fausse. La palabre est le lieu de rapporter des faits, d’exprimer des idées, de soutenir une opinion ou même de tenter une mystification en convoquant les âmes des ancêtres. Il est vrai que le cheminement de la parole peut rapidement tourner à la récitation de proverbes (comme il est dit dans un passage de « Comment la vérité et la réalité furent inventées »). Chaque orateur prend la parole à son tour sans forcément s’exprimer en réponse aux locuteurs précédents, d’où cette impression de décousu. On se croirait sur un blog tiens ! Au final une palabre offre à l’assemblée des participants un éventail assez complet des idées et positions du moment. Et puis chacun repart avec ce qu’il a entendu sans qu’il lui soit enjoint d’épouser la position unique (ou unifiée) que représenterait une synthèse, une opinion majoritaire ou un projet de plan d’action.
C’est à partir de ce que chacun a entendu lors de la palabre que s’élaborent les positions futures par glissement progressif quelquefois imperceptible. L’on se rend compte alors que les crispations sont loin d’être définitives, que les antagonismes sont moins marqués qu’il n’y parait. C’est ainsi que s’installe un cours principal des évènements à côté duquel apparaissent ou subsistent quelques ruisseaux secondaires plus ou moins importants – en toute pluralité j’allais dire ! Il me semble que le rôle d’une collectivité un peu soucieuse du bien-être de chacun de ses membres est de réaliser et de prendre soin de la pluralité avec le plus de douceur possible « quoi qu’il en coûte » et non d’encourager ses représentants à jouer les pères fouettards dans une sorte de célébration paroxystique de la dictature de la majorité (d’opinion – et encore).
D’après un raisonnement que j’ai lu notamment sur ce blog (de Paul Jorion), nous serions dans une situation où l’on demande à des individualités de faire un effort pour le bien du collectif. Cela n’implique-t-il pas que, dans le même temps, le collectif prenne soin de ménager les individualités surtout lorsqu’elles hésitent, y compris pour des raisons que l’on jugerait irrationnelles – mais notre vie est-elle uniquement rationnelle ? Notre société agit souvent comme si quelques bergers connaissaient le chemin de sorte qu’il leur revient, de plein droit, de mener le troupeau à marche forcée. Nous le faisons notamment dans le choix inconditionnel du capitalisme envers et contre tout. Nous le faisons pour bien d’autres choses. C’est devenu l’unique mode de fonctionnement de nos sociétés. Qui sont-ils donc ceux qui prétendent connaître le but de la vie et qu’il faudrait suivre à marche forcée ?
Mon propos n‘est pas de faire dans le refus à tous crins, en dépit du bon sens, mais de nous inciter à faire un peu plus attention aux hésitants, à nous méfier des proclamations péremptoires qui ne tiennent en général qu’un moment. Il me semble que l’hésitation n’a pas toujours été mal vue, tout particulièrement en France. En d’autres temps, nous avions décidé qu’il était urgent d’attendre avant d’accepter totalement les OGMs, que rien ne pressait vraiment en matière de clonage humain. Nous avons appelé ça le principe de précaution et nous en étions même très fiers. Certes les situations ne sont pas exactement comparables mais nous avons entendu faire de l’hésitation une vertu alors notre volte-face du moment devrait nous interpeller un peu. Et pendant que nous y sommes, les responsables politiques de premier plan qui se montrent si confiants sont-ils prêt à prendre la responsabilité de sanctions personnelles si demain ou après-demain il apparaissait que nous aurions mieux fait d’attendre avant de vacciner certaines populations notamment ? Ne s’apprêtent-ils pas plutôt à nous resservir le couplet du scandale du sang contaminé « coupable mais pas responsable » ou l’inverse je ne sais plus ? Et que ferons-nous demain lorsque des industriels ou des apprentis sorciers décideront d’activer la jurisprudence coronavirus que nous sommes en train de constituer : dès lors que les résultats de recherches en laboratoire et des premiers tests sur le terrain sont validés par un comité scientifique, cela vaut autorisation d’exploiter l’invention et gare au pays qui osera s’y opposer ?
Au passage, vous aurez observé que je ne souhaite pas me lancer dans un débat sur la question de savoir si la vaccination serait ou non l’unique solution dont nous disposions pour gérer la crise du coronavirus. Je pense qu’il y a une vraie inquiétude dans le fait que nous soyons uniquement occupés à activer cette solution dans une sorte célébration de la victoire du vrai sur le faux alors que pour la catastrophe annoncée de l’effondrement nous travaillons sur pas moins de trois plans. L’on comprend bien que d’autres possibilités seraient envisageables mais que ce qui est véritablement en jeu c’est une certaine hiérarchie des coûts/bénéfices que nous opposons sans ménagement à la tranquillité de ceux qui hésitent – mais de quel droit ? On pourra donc retenir que je déplore dans cette affaire du pass sanitaire, dans ce refus du souhait de se soustraire à la vaccination, un déficit assez fréquent dans nos sociétés en matière de gestion de la pluralité. Avec l’effondrement, il sera de plus en plus compliqué d’obtenir que l’ensemble des citoyens se comportent comme un seul homme. Ce n’était déjà pas le cas avant alors autant (ré)apprendre la pluralité sans délai.
(à suivre…)
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