L’un des obstacles technologiques principaux à lever pour rendre le solaire spatial possible – si ce n’est LE principal obstacle – est clairement de baisser drastiquement le prix du kg en orbite.
Oui, c’est technologiquement et économiquement réaliste
Pour fixer les idées, voici un petit calcul d’ordre de grandeur à partir des panneaux pointés par Maxfriend
– Surface 0,6 m², masse 1,3 kg, efficacité >15%, d’où compte tenu de l’éclairement dans l’espace proche de la Terre égal à 1,35 kW / m² en moyenne annuelle une production brute de 200 W par m² de panneau pesant 2,2 kg
– Pertes de 70% à la conversion en énergie laser, puis à nouveau 70% à la conversion en énergie électrique au sol, et entre temps pertes atmosphériques qui devraient pouvoir être contenues à 20% au pire en choisissant bien la fréquence du laser dans le visible ou l’infrarouge proche, la puissance récupérée au sol devient 200 * 0,7 * 0,7 * 0,8 = 80 W par m² de panneau solaire dans l’espace
– Il faut rajouter la masse des structures porteuses des panneaux – c’est en y pensant que je parlais d’arachnéen 🙂 – celle du laser de puissance et des moyens de maintien de l’orientation, enfin celle nécessaire à amener l’ensemble en orbite géostationnaire. Je double la masse – ce qui reste à mon sens prudent pensant notamment à la propulsion électro-ionique à très forte impulsion spécifique – d’où 4,4 kg à placer en orbite basse pour chaque m² de panneau dans l’espace, et finalement une puissance permanente non carbonée de 18 W pour chaque kg placé en orbite basse
– Si je suppose une durée de vie en orbite de 20 ans – je la sors de mon chapeau, mais c’est une valeur assez « typique » pour un engin spatial – et une disponibilité proche de 100% – vraisemblable étant donné qu’il n’y aurait pas besoin de laver les panneaux souvent 🙂 ! – chaque kg placé en orbite basse permettrait in fine de rendre disponible au sol 3150 kWh (18 W sur 20 ans)
– Valorisant cette énergie à 10 centimes de dollar le kWh, soit la limite la plus chère du nucléaire et du gaz – mais ce sont des énergies plutôt bon marché – il vient 315 $ d’électricité pour chaque kg placé en orbite basse
– Et si j’alloue 50% de cette somme au coût du lancement – là encore ça sort de mon chapeau, mais ça laisse en fait pas mal d’argent pour le reste et les panneaux solaires sont assez bon marché – j’arrive à un objectif de 150 $ par kg en orbite basse
Or l’objectif affiché par Elon Musk pour le lanceur géant réutilisable Starship – dans sa version initiale Cargo – que SpaceX met actuellement au point est un coût récurrent de 2 millions de dollars par lancement pour une charge utile de 100 tonnes. Soit… 20 $ par kg placé en orbite basse.
===> Même si l’on ajoute les coûts non récurrents de Starship, même si l’on compte que Musk n’atteindra pas tout à fait son objectif voire le manquera d’un facteur 2 ou 3… l’obstacle du prix du lancement est déjà en train d’être levé !
Méthode et vision
Tel que je l’imagine, il pourrait être plus simple de construire « à la chaîne » des satellites indépendants de 100 tonnes, chacun livré en orbite basse par un Starship puis pris en charge par une navette orbitale à propulsion électro-ionique, chaque satellite contenant à la fois panneaux solaires et laser de puissance pour la transmission au sol. Ceci afin de s’épargner les affres de l’assemblage en orbite de mégastructures de centaines de kilomètres carrés.
Chaque satellite aurait de l’ordre de 32 000 m² de panneaux solaires, laissant 30% de sa masse pour laser et dispositifs d’orientation – le déploiement automatique d’une telle structure est un problème en soi, il devrait toutefois être nettement plus abordable que celui de kilomètres carrés de panneaux – et fournirait en continu 2,5 MW dans le réseau électrique au sol. Ah oui… il serait probablement beau, aussi. Imaginez une fleur déployant lentement ses pétales solaires dans l’espace 😊
Attribuant 30% du coût à sa production (50% pour le lancement en orbite basse comme déjà dit, 20% pour navettes orbitales et panneaux solaires au sol) l’objectif de coût serait de 9 millions de $ par satellite. Objectif à l’évidence ambitieux mais… c’est bien de production en série que nous parlons.
Bien sûr, il ne serait pas nécessaire d’avoir un champ de panneaux au sol de 200 m x 200 m – dans le calcul de Timiota – pour chacun des satellites. Plusieurs pourraient diriger leurs faisceaux sur un seul champ, voire un grand nombre. En fait, le nombre de satellites contribuant à chaque champ pourrait être modulé en fonction de la taille de la communauté à alimenter en énergie.
Et au final, si une partie importante des besoins énergétiques de l’humanité était assurée ainsi, on ne parlerait de rien moins que de plusieurs millions de ces satellites solaires de 100 tonnes ! Six millions s’il s’agissait de remplacer la totalité des autres sources d’énergie existantes, carbonées comme non carbonées.
Quant à l’énergie carbonée nécessaire à leur lancement, on parle de 4 600 tonnes d’ergols méthane / oxygène pour un Starship Cargo, dont la combustion dégage 2 500 tonnes de CO2. Ceci, peut-être 8 millions de fois sur 20 ans (en comptant les lancements pour recharger les navettes orbitales électro-ioniques), soit 1 milliard de tonnes de CO2 dégagées chaque année… mais permettant de remplacer entièrement les 35 milliards de tonnes de CO2 dégagées annuellement aujourd’hui. La biosphère absorberait sans problème aucun des émissions de CO2 aussi réduites.
Projet titanesque, comme je le disais. Mais projet qui a vraiment l’air d’être… techniquement faisable, et économiquement réaliste. En plus évidemment d’être potentiellement salvateur en ouvrant la possibilité de ne pas choisir entre maintien de l’objectif de prospérité économique et protection de l’avenir à moyen terme de l’humanité – alors que c’est clairement la nécessité de devoir choisir qui est le principal obstacle à la prise de conscience partagée, et ouverte vers l’action, de la transformation nécessaire. Nous refusons de regarder la situation écologique en face de peur de nous sentir obligés d’abandonner prospérité et développement, c’est d’abord à cause de cette peur que nous avons toujours notre tête dans le sable.
Projet qui dans une perspective de plus long terme pourrait aussi être le premier pas – et le plus difficile – vers une meilleure organisation des activités humaines :
– Espace comme lieu réservé de toutes les activités industrielles, domaine de la science et de l’aventure prométhéenne
– Terre comme jardin, lieu de la vie humaine et animale, domaine de l’éducation et de l’art
La première étape est dans les cordes même de la France seule
La première étape serait de créer un démonstrateur de satellite solaire, c’est-à-dire un dispositif de 100 tonnes auto-contenu avec panneaux solaires déployables et laser de puissance. Dans un premier temps, un simple étage de transfert consommable de 100 tonnes pourrait être utilisé pour le placer en orbite géostationnaire, sans attendre la disponibilité de navettes orbitales électro-ioniques. Démonstrateur et étage de transfert pourraient être mis en orbite en achetant à SpaceX 2 vols de Starship. Quant au champ de réception au sol de 200 m de côté, ce n’est pas un point dur.
Et de tels démonstrateurs pourraient être produits à rythme soutenu, dans une logique de perfectionnement incrémental, de même que SpaceX n’arrête pas de produire des prototypes SN1, 2, 3… 10, 11 de son Starship, prototypes qui se crashent régulièrement… mais de plus en plus tard, échecs qui ne sont que des étapes vers le succès final. Il ne faut entretenir aucune illusion, les premiers prototypes n’arriveraient pas à déployer leurs panneaux, ou à les garder bien orientés, ou c’est le laser qui irait là où il ne faut pas, ou… Ça s’appelle un programme d’essais, et au final pour peu qu’on réponde à l’adversité « je n’abandonne jamais« … ça débouche. Voir cette litanie visuelle des plantages de SpaceX… litanie qui mène au triomphe.
Notez qu’un programme de démonstrateurs de ce type pourrait fort bien être dans les moyens financiers d’un pays comme la France. L’avantage étant une décision politique plus rapide, une gestion plus réactive et moins lourde – écueil et plaie des projets internationaux ☹ … – sans fermer la porte à des coopérations, mais surtout sans les attendre, et perdre du temps, si elles ne viennent pas immédiatement. Bien sûr, ultérieurement d’autres partenaires seraient indispensables pour mettre le projet à la bonne échelle… mais ils viendraient tout naturellement une fois que le démonstrateur de satellite solaire serait au point. La France n’a pas la taille critique pour « tout faire toute seule », seuls Etats-Unis et Chine l’auraient éventuellement. Mais elle a les moyens suffisants pour partir en tête, et prouver le mouvement en marchant.
Nous n’avons plus de Commissariat au Plan, parce que nous avons vécu les dernières décennies sous l’injonction que « le dieu Marché pourvoira ». Nous n’avons plus de planification technologique à long terme, et le pire peut-être : nous avons oublié que nous savons faire de grands projets qui repoussent les limites de l’impossible. Sauf dans le domaine militaire, plus précisément en son cœur c’est-à-dire la dissuasion nucléaire. On ne sait pas assez que là continuent à être concrétisés des projets de science-fiction, que là le prométhéisme reste de mise. Des sous-marins aussi silencieux que les SNLE « Triomphant » c’était impossible, sauf qu’ils sont en service depuis des décennies, le laser Mégajoule c’était de la science-fiction, sauf qu’il est maintenant au point, l’ASN4G le futur missile aéroporté c’est de la science-fiction, mais ce ne le sera plus demain.
Ce n’est que parce que De Gaulle nous en a suffisamment bien inculqué la nécessité, ce n’est que parce que le « Plus jamais 1940 ! » est toujours à notre esprit, que nous avons préservé là, et là seulement j’en ai bien peur, contre tous les vents de l’époque, la combinaison de capacité de planification à long terme et de mobilisation des talents, fondée sur une détermination en forme d’ « ardente obligation », qui permet de rendre possible ce qui est nécessaire.
Cet esprit-là, que tel individu exceptionnel (Elon Musk) peut démontrer, mais qui n’est vraiment sûrement fondé que lorsque c’est une communauté humaine qui le partage, est celui que nous devons retrouver.
Parce que ce qui nous menace est pire encore qu’un 1940. Et que oui, nous pouvons vraiment rendre possible ce qui est nécessaire.
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