Tom Stoppard sur la « cancel culture »

Tom Stoppard, l’un des grands dramaturges anglais :

Il est vraiment très embarrassant d’écouter des gens, très souvent des gens beaucoup plus jeunes, qui se sont ralliés à ce qui pour moi est une hérésie, la principale étant que la vérité est une construction. Et s’il est vrai que certaines vérités sociales sont des constructions sociales, je crois à la vérité et à la fausseté. Je ne comprends pas comment une société pourrait exister sans cela, pas plus que la science ne le peut.

J’écrivais tout à l’heure en commentaire à mon billet « … les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline » : une remarque

Comment dire ? Céline : un des plus dangereux auteurs sachant bien écrire. Heidegger : le Céline de la philosophie.

Ce qui est essentiel chez eux c’est la mauvaise foi. L’objectif de Céline c’est que des gogos disent qu’il est un grand auteur et achètent sa soupe empoisonnée parce que sa soupière est splendide. L’objectif de Heidegger est de passer pour un excellent philosophe pour mieux détruire la philosophie (pour que Dieu ait sa revanche grâce à lui). Et il est parvenu en tout cas à sérieusement l’endommager. Et son influence obscurantiste s’exerce toujours dans les départements de philosophie, bien que son dossier de militant nazi soit maintenant gros comme une maison.

 
Le poison de la soupe empoisonnée de Heidegger : « la vérité est une construction ».

P.S. Certains se souviendront que j’ai écrit un ouvrage intitulé : Comment la vérité et la réalité furent inventées (Gallimard 2009) et en auront peut-être tiré que je considère moi-même que la vérité est une construction, mais il y aurait là un malentendu : je fais dans cet ouvrage une archéologie de la notion de « vérité » dans notre culture, montrant comment Aristote a été le premier à définir la vérité comme provenant soit de l’évidence des sens (à condition qu’ils ne soient pas leurrés par une illusion), d’une définition (un raccourci du langage), la conclusion d’un syllogisme bien formé. Une fois cela établi, la méthode a été conçue qui permet de distinguer le vrai du faux.

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8 réponses à “Tom Stoppard sur la « cancel culture »

  1. Avatar de Rosebud1871
    Rosebud1871

    Quelques vérités sont des méthodes de construction de la réalité : Objections ?

    1. Avatar de Paul Jorion

      On a les trésors qu’on peut, je suppose.

    2. Avatar de Chabian
      Chabian

      De l’article de Mediapart, on apprend que le mot « Trésor » est d’abord chez Céline ! « Trésor je l’affirme !  » dit-il. Puis que ce journaliste à Libération a reçu un tombereau et l’a tenu et inventorié ce « trésor » (il assume le mot) plusieurs années et l’a gardé jusqu’à la mort de la compagne de Céline, à 107 ans. Il a alors remis le colis aux ayants-droit. Ceux-ci l’accuseront de recel…
      Aujourd’hui, l’affaire est publique, Le Monde déclare être l’auteur de la révélation. Comme je n’ai pas eu accès à l’article, je ne sais si cela leur est parvenu par les ayants-droit ou d’un lieu d’archivage public.
      Et le journaliste de Mediapart (qui était auparavant à Libération sans doute jusque 2011) raconte l’histoire quatre jours plus tard, pour ne pas en être dépossédé et pour donner l’inventaire. Manifestement, tout en évoquant l’antisémitisme de l’auteur, il considère qu’on a une part précieuse d’une œuvre littéraire.
      Regardant alors Wikipedia, je constate qu’on y trouve effectivement une exposition complaisante de ses écrits : par exemple ‘Mea Culpa’, brochure polémique qui ne fait que 20 pages, est largement détaillé. Cela pose question.
      Je vois aussi que Céline fut affabulateur, déjà en 1914 (avant ses 20 ans) : blessé au bras, il raconte être atteint à la tête et trépané…

      1. Avatar de Michel
        Michel

        Le papier du Monde est copié – collé dans un des commentaires de celui de Mediapart.

        1. Avatar de Chabian
          Chabian

          Merci de l’info. Cela donne l’impression d’un coup calculé : Le Monde s’offre une révélation, avec quelques interviews et surtout les infos (limitées) du journaliste détenteur des archives depuis 15 ans apparemment. Ensuite le journaliste détenteur lâche sa version des faits et surtout l’inventaire des œuvres, en certifiant qu’ils les a dactylographiées.
          Ceci se comprend s’il y a bras de fer entre les ayants-droit (des amis du couple Céline, couchés sur les testaments) et le détenteur : ils ont fait appel à la police pour obtenir le retour de leur « bien », il affirme son désintérêt. Car intérêt il y a : l’Etat Français a acheté les archives d’un livre de Céline après une vente publique, pour plus d’un million d’euros (si mon souvenir de tout à l’heure est exact). Ici des inédits et des compléments : on va rentabiliser avant de déposer aux archives ! Mais on ne pourra plus tricher et couper, si le détenteur a gardé une copie… comme il le dit.
          Bref cela me parait le Bal des Faux semblants ! Mais je peux me tromper…
          Bref un joli feuilleton.
          L’échange des commentaires est riche aussi. Céline fut un vrai collabo, qui se réfugia en Allemagne dès le débarquement (le 17 juin, soit 11 jours après quand même, où tout est bloqué en Normandie) et y resta jusque 45 avant d’aller au Danemark. Et ses marks l’avaient suivi. Il était parti discrètement, mais cette période n’est pas menaçante et on ne comprend pas pourquoi il a laissé ses manuscrits. Sur l’armoire ? On peut en douter. Céline tempête, il accuse un Corse qui est son comptable, il se proclame victime d’une spoliation mais il a aussi une secrétaire, des amis, et prend des arrangements avant de partir : pour moi, il ment évidemment, sans scrupules aucun ; l’heure de publier n’est pas venue et il attend. Même en enfer, il doit rigoler, le bougre !
          L’expression « séparer l’œuvre et l’homme » est employée par Gide à propos de Céline justement, pour son premier pamphlet, qui n’est pas encore vraiment antisémite.
          Enfin, ce travail sur l’écriture qui est de cette époque (on cite Genet, autre traître de l’époque) m’a rappelé le travail de Nathalie Sarraute, fort lue dans les années 60-70.
          Quelqu’un n’a-t-il pas dit récemment qu’il avait compris un truc : il faut avoir une écriture différence des autres ? 🙂
          Comme plusieurs l’ont dit dans les commentaires, nous connaissons les turpitudes de certains, mais que savons-nous de la probité de bien des autres, Vilvaldi par exemple. A mon sens, l’œuvre vit sa vie dès son apparition et connaît la « réception qu’elle mérite » selon les époques, tandis que le créateur a les mérites et les tares de sa vie. Un de ses mérites est son travail (aucune écriture n’est spontanée) mais qui peuvent côtoyer les pratiques les plus noires, valant sa condamnation pénale si nécessaire. Il ne faut pas séparer l’homme et l’œuvre : elle/il s’en chargent eux-mêmes ! Nous fermons sans doute trop vite les yeux éblouis devant l’œuvre.
          Un exemple entre mille : Rubens a senti la demande des maisons religieuses pour se replumer d’icones bienpensantes après l’iconoclasme des protestants. Il a fait produire dans son atelier avec une équipe très performante des bondieuseries de grande qualité. La République française a nettoyé ces maisons religieuses une deuxième fois, le Musée de Valenciennes en est le témoin bien pourvu en tableaux du maître. Lui et son équipe ne croyaient sans doute ni à dieu ni à diable, ils fournissaient leur clientèle.

  2. Avatar de Michel
    Michel

    Trésor pour trésors, je préfère ceux-là. Patiemment arrachés à l’oubli depuis plus de vingt ans par ce défricheur passionné.
    Vidéo hélas (ou heureusement: les droits d’auteur, ça existe) disponible seulement « à la demande ».
    Le court extrait en donne un bel aperçu. En particulier l’extraordinaire aria déclamé avec puissance et émotion par le baryton.
    https://www.fondationshoah.org/memoire/le-maestro-la-recherche-de-la-musique-des-camps-un-film-dalexandre-valenti

  3. Avatar de Michel
    Michel

    Né Winfried Georg en mai 1944, dans l’Allemagne à feu et à sang fatale à son père, engagé dans la Wehrmacht. « Un prénom vraiment nazi » haï par celui qui signait WG Sebald et préférait s’appelait Bill ou Max. Des nazis, « anciens » mais nazis, il en pullulait à l’université qu’il fréquentait dans les années 1960. D’où son exil en Angleterre où il enseigna la littérature jusqu’à sa disparition trop précoce dans un accident en 2001. Rupture avec sa patrie, pas avec sa langue. Sebald a toujours écrit en allemand. Une oeuvre hantée par la tragédie, la mémoire et l’oubli. Vous cherchez un trésor (un vrai)? Ouvrez Sebald, lisez-le, relisez-le. Tout, et en particulier Austerlitz. Vous n’en sortirez pas indemne. Une bonne introduction: « Saisir – Quatre aventures galloises » de Jean-Christophe Bailly.
    Un beau portrait:
    https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/wg-sebald-1944-2001

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