Assiste-t-on à un phénomène indiquant que le capitalisme va œuvrer en faveur de la survie de l’espèce ?
« Comment va réagir le capitalisme face à la destruction de la Biosphère et du climat ? » Paul Jorion et d’autres observateurs ont souligné la possibilité que le capitalisme, les grands capitalistes dans le monde, agiraient un jour ou l’autre de manière décisive pour « régler le problème du climat et de l’environnement à leur manière », vu que les Etats avaient échoué à le faire.
Il y a eu le changement de ton au sein de la US Chamber of Commerce, la croisade technologique verte « écomoderniste » d’Elon Musk, les sorties coordonnées des gouverneurs des grandes banques centrales sur le risque climatique financier et la taxe carbone (stranded assets, fossil assets value collapse, climate risk disclosure), la course au mieux disant pour la sortie du moteur thermique chez les constructeurs automobiles européens, des redéploiement des investissements dans les grands fonds d’investissement privés et souverains, et maintenant, des mouvements du côté des compagnies d’assurance qui pratiqueraient une sorte de « nationalisation privée et écologique des activités polluantes pour les reconvertir ».
Depuis que j’ai discuté longuement avec un actuaire et que j’ai observé les rapports sur le coût des catastrophes climatiques (en constante croissance annuelle) produits par eux, je considère que les compagnies d’assurance, et en particulier les grands réassureurs mondiaux comme Swiss Re, pourraient être considérés, au moins en partie, comme des alliés objectifs de la survie de l’espèce, dans le cadre contre-intuitif de la raison capitaliste.
En fait, tout ceci ne devrait pas nous étonner. Le capitalisme et les capitalistes n’ont jamais voulu détruire la planète et l’espèce humaine en soi. Il ne faut leur prêter aucun désir criminel. Les capitalistes ont des époux ou épouses, des enfants, vont parfois à la messe le dimanche. L’écocide n’est au fond qu’une conséquence collatérale de leur quête de la maximisation du profit par l’accumulation du capital. En ce sens, le capitalisme est aveugle, indifférent, neutre, par rapport à la destruction de la Biosphère.
Si maximiser le profit et accumuler le capital implique cette destruction, so be it, comme c’est le cas depuis 2 siècles.
Si les politiques environnementales des Etats, les activistes, les journalistes et les scientifiques veulent empêcher cette destruction écologique qui va de pair avec la maximisation de leur rente, il est normal que les capitalistes rémunèrent des fournisseurs de services de propagande pour neutraliser ces empêcheurs de faire du profit en rond. Au besoin, on fera appel à des services d’élimination pure et simple de ses opposants. Les journalistes et les activistes environnementaux figurent aujourd’hui tout en haut de la liste des victimes de crimes politico-économiques dans le monde. No offence, dirait le capitaliste bonhomme : ce n’est pas personnel, c’est juste que je veux pouvoir continuer à faire mon job.
Mais si, de plus en plus, le calcul des coûts et des bénéfices voit ses paramètres fondamentaux changer, si les coûts de la destruction écologique (en ce compris les coûts de propagande et d’élimination de la menace activiste) augmentent et ses bénéfices diminuent, cela signifie que le profit diminue. Si l’écocide détruit le capital à un taux qui empêche son accumulation, cela signifie que l’espérance de profit futur diminue. Si les Etats parviennent de plus en plus à diminuer voire anéantir mon taux de profit dans mes activités écocidaires, j’aurais intérêt à diversifier mon portefeuille. Et on voit tout de même de plus en plus de catastrophes écologiques qui réduisent nettement le taux de profit : la pandémie (dans l’hypothèse de l’IPBES, le GIEC de la biodiversité), les incendies dans mes zones touristiques (Turquie, Italie, Grèce, Californie, Australie), les inondations qui détruisent mon capital (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Chine, Inde), ces canicules qui empêchent la main-d’oeuvre journalière de récolter les fruits sur mes terres (Californie, Italie, …). Les primes d’assurance deviennent im-pa-ya-bles chers amis !
Dès lors, très rationnellement, les actionnaires convoquent leurs conseils d’administration et demandent une modification de la stratégie d’entreprise, d’investissement et de portefeuille d’activité et de produits. Au besoin, une partie des actionnaires congédie certains administrateurs et administrateurs-délégués, pour les remplacer par d’autres, qui engagent d’autres cadres de direction et d’autres employés au besoin, afin de retrouver la Voie du Capitalisme, celle du profit et de l’accumulation illimitée du capital.
Autrement dit, si le capitalisme semble s’intéresser de plus en plus au sauvetage de la planète et de l’humanité, c’est parce que ça commence à lui coûter moins et à lui rapporter plus. Ne pas y voir de philanthropie ou de l’idéologie là-derrière, c’est juste du bon sens.
Cela explique parfaitement pourquoi de grandes compagnies pétrolières sont en même temps parmi les plus grands investisseurs mondiaux dans les énergies renouvelables, et que le moteur électrique soit désormais poussé sur le marché par les constructeurs automobiles, thermiques-repentis : on sent bien qu’il est temps de rentabiliser des décennies de R&D, et que le renouvellement total d’une infrastructure, des équipements et des véhicules dans le monde, ça peut rapporter un paquet de pognon. Mais en attendant, dans la matrice d’analyse du portefeuille d’activité, on serait con de fermer trop vite la mine de charbon ou le puit de pétrole, tant qu’il rapporte à un taux acceptable pour les actionnaires, et vu que ses investissements de départ sont amortis depuis longtemps. Si on sent le vent tourner, vite, se débarrasser de l’asset avant qu’il devienne stranded, au besoin, faire faillite et laisser l’Etat dépolluer, après tout, il a bien profité des recettes fiscales et des emplois que « nous » avons créés…
L’Etat s’est montré incapable, nous les capitalistes, songeons sérieusement à reprendre la main. A coups de normes, de standards, de plans d’investissement de mécanismes de clearing, de monnaies internes, de produits dérivés, de swaps, de police d’assurances ad hoc, de joint-ventures, de tribunaux et polices privées et de contrats avec pénalités, nous parviendrons bien à neutraliser les émissions mondiales de CO2, bien plus efficacement que les démocraties. Notre avantage, c’est que nous sommes des dictatures capitalistes. Quand les actionnaires ont décidé, nous pouvons aligner les conatus de nos 100.000 employés dans le monde. Il suffit de changer le branding, la mission, les values & principles de nos HR, d’organiser le training de notre workforce, et le tour est joué. Au besoin, nous créerons des zones de droit économique exclusives, à l’abri de l’interventionnisme étatique et de sa gabegie. Nous logerons nos employés dans des « cités ouvrières » du futur et leur offrirons les services publics, santé, pensions, éducation, loisirs que les Etats faillis ne pourront plus leur fournir.
Nos consultants, nos analystes de marché, nos publicitaires et nos marketeurs nous ont convaincus désormais : le sauvetage de la planète est probablement le plus grand marché émergent de toute l’histoire du capitalisme. Des milliards de produits et services, des millions de contrats, des billions d’investissement et de R&D, le compteur va tourner comme jamais. On doit se positionner et obtenir le first mover advantage pour garantir le monopole de la plateforme. The winner takes all !
Finalement, dans un sens, le capitalisme est un grand incompris, un grand mal-aimé, presque une victime d’un capitalo-bashing qui n’a jamais saisi à quel point il a toujours été sincère avec l’Etat et les Citoyens. Du moment que vous me permettez de maximiser mon profit en accumulant du capital à cette fin, je ferai tout ce que vous voulez, en série de masse ou limitée, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou demain, 24/7, just in time. Donnez-moi un levier capitalistique, et je soulèverai le monde ! Je peux même le sauver, il suffit que l’alignement de mes coûts et de mes bénéfices m’y encourage. Vous savez, moi, le grand capitaliste, ça fait 50 ans que j’attends que vous, Etat et Citoyens, me compreniez, et mettiez en oeuvre la taxe carbone et les réglementations mondiales qui me permettraient enfin d’internaliser les coûts externes de la destruction de la vie sur Terre, des années que j’attends les commandes publiques massives pour mes produits et services green, afin de pouvoir maximiser mon profit dans un level playing field, tout en recevant moins d’injures regrettables de la part des Citoyens. Dans le fonds, si sauver la planète rapporte, vous pouvez comptez sur moi, le capital !
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