Ce texte de JeNeSauraisVoir a paru initialement ici en tant que commentaire. Un autre commentateur a alors suggéré qu’il accède au statut de billet à part entière. Voilà qui est fait.
Je remercie M. Yorgos Mitralias de m’avoir fait découvrir ce texte sur « Pourquoi le socialisme » par Albert Einstein. Il m’arrive de recourir à une analogie avec le principe de la relativité pour tenter d’expliquer une intuition qui me fait penser que les humains se comportent selon un continuum individu-collectivité. Je sais maintenant qu’Albert Einstein lui-même a déjà envisagé la chose « l’homme est en même temps un être solitaire et un être social ». Il est regrettable qu’il n’ait pas poursuivi plus en avant pour mettre son observation en équation. Un grand service eut-été rendu à notre ‘science’ économique qui est bien en peine d’élaborer un modèle permettant de relier le solitaire au social.
J’aimerais toutefois revenir sur cette idée apparemment installée au sein de l’appareil idéologique de la gauche, cette idée que les moyens de production devraient appartenir à la société elle-même. Avec ce que cela comporte de « centralisation extrême du pouvoir politique et économique » Albert Einstein redoutait l’hypertrophie de la bureaucratie et l’asservissement de l’individu. Une certaine circonspection étreint également nos contemporains dès lors que l’on évoque la mise en cause de la propriété privée et la collectivisation de la production et de la consommation. Je pense en particulier à nos contemporains qui ont une sensibilité de gauche. J’entends par là ceux qui considèrent sans tortiller du fondement que la collectivité (l’Etat) doit favoriser les citoyens qui disposent principalement de leur force de travail, qui espèrent en vivre, que la dite force de travail ait trouvé preneur ou pas, et vivre bien pendant qu’ils sont actifs – dans la force de l’âge – mais également à la fin de leur existence.
Mon sentiment est que nos velléités de socialisation des moyens de production nous sont inspirées par l’importance que nous accordons, trop hâtivement, à la possession d’un stock de richesses. Lors du cheminement dans son raisonnement Albert Einstein semble avoir oublié ce qu’il a nommé auparavant le deuxième principe important « le contrat de travail libre » ! Il porte son attention sur le caractère libre du contrat de travail pour le déplorer mais sans s’attarder sur le fait que, dans le contexte où il écrivait, c’est principalement en recourant au contrat de travail que le capital parvient à engendrer un flux de nouveaux biens qui deviennent la propriété du capitaliste. Pour qu’il y ait création de nouveaux biens, il doit nécessairement se produire une dynamique de transformation du tas inerte de biens d’avant vers un nouveau tas supérieur au précédent en passant par l’incorporation de ce que permet le contrat de travail (fût-il non libre d’ailleurs) notamment.
Fort heureusement cette dynamique d’engendrement d’un flux de nouvelles richesses à partir d’un potentiel existant (de richesses anciennes), implique le recours au collectif. On pourrait ainsi dire en paraphrasant Albert Einstein que le capital est une possession privée et un instrument (un moyen d’action) collectif. Il est important de relever ici que c’est précisément sous cet angle de passage d’une possession privée à une action collective que le capital apparait chez Paul Jorion « le capital est une ressource qui manque à l’endroit où elle est nécessaire pour permettre un processus économique de production, de distribution ou de consommation ». C’est donc au travers d’une dynamique de recours au collectif que le capital engendre la concentration des richesses (selon le mécanisme expliqué par Paul Jorion) jusqu’au grippage complet de la machine.
Dès lors, la collectivisation des moyens de production ne saurait constituer une solution satisfaisante contre le principal méfait du capitalisme, la concentration des richesses dont il a été relevé qu’elle procède d’une dynamique de recours au collectif (et aux aubaines prodiguées par la nature) associée à l’accaparement du fruit du labeur au détriment des ouvriers (selon la terminologie d’Albert Einstein) des salariés (selon Paul Jorion). La collectivisation des moyens de production n’est donc pas opérante tout comme serait contre-productive une focalisation excessive sur la question passionnante et passionnelle de la propriété privée. Après tout qu’importe le propriétaire du capital dès lors que le fruit qu’il engendre et dont la production passe nécessairement par le recours au collectif est convenablement réparti ?
C’est donc sur la question de la répartition des fruits du labeur qu’il convient de porter toute notre attention. Ce qui nous ramène à un précédent article du blog « D’une économie capitaliste à une économie humaniste ». Au sujet de cet article, il m’avait semblé utile de revenir sur les raisons d‘agir pour souligner que même s’il n’y avait pas de menace sur notre environnement – j’ajoute : alors même qu’il y en a, on pourrait reprendre l’expression du dépit rapporté par Albert Einstein : pourquoi êtes-vous si sérieusement opposé à la disparition de la race humaine ? – que même si l’on n’éprouvait aucun attrait pour l’humanisme, l’abolition du privilège actionnarial s’impose simplement comme l’indispensable rétablissement de la justice, comme la condition nécessaire pour vivre ensemble, en paix.
J’ajoute également quelques petits détails que l’on pourrait trouver accessoires. D’abord en lieu et place des notions de richesses créées ou de surplus, on pourrait parler de « l’écart au coût de la perpétuation de l’entreprise ». Il me semble admissible de veiller à la survie d’une entreprise, non pas qu’il me plaise d’en faire un organisme vivant mais parce que c’est une condition de la continuité de création des richesses. D’ailleurs, notre comptabilité du moment pourvoit à la perpétuation des entreprises au moyen d’une dotation aux amortissements. Ensuite, après ce développement sur le recours au collectif dans la dynamique d’engendrement du flux de nouvelles richesses, il parait inopportun d’écarter ce dernier de la répartition de l’écart au coût de la perpétuation de l’entreprise. Je parle bien du collectif (de l’État si vous voulez) de celui qui prend soin du cheptel de salariés (de même que de celui des patrons et des actionnaires d’ailleurs), qui crée et entretient les infrastructures sans lesquelles il serait difficile d’entreprendre. Je sais bien que l’impôt existe mais nos États pratiquent l’imposition comme une mesure corrective qui intervient après la bataille, après la répartition de l’écart au coût de la perpétuation de l’entreprise, après que chacun aura trouvé le moyen de dissimuler légalement le morceau qu’il aura soustrait aux autres. Par ailleurs si l’une des parties (au hasard les salariés) venait à disparaitre de la création des richesses, l’État pourrait toujours conserver sa part (augmentée d’une fraction, voire de la totalité de la part disparue), ce qui permettrait de prendre soin de ces citoyens dont la force de travail n’a pas trouvé preneur (temporairement).
Il y’aurait donc d’après l’article « D’une économie capitaliste à une économie humaniste » et selon le développement qui précède, cinq parties prenantes : le Salariat, le Patronat, l’Actionnariat, l’Etat et la Nature. Quant à savoir quelle part de l’écart au coût de la perpétuation de l’entreprise reviendrait à chacune des parties, c’est bien une autre question. Et si un jour une clé de répartition pertinente était proposée, il me semblerait approprié de l’appeler « la clé Jorion ». Mais de cela (de la clé et de sa dénomination) seul l’avenir est maître.
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