Quoi ? J’apprends que votre coffret DVD Frank Capra a été dévalisé ?! Eh bien je persiste à penser que les chefs-d’oeuvre sont faits pour être prêtés, pas pour prendre la poussière sur une bibliothèque… Donc c’est une bonne nouvelle, tiens ! Ça me donne l’opportunité de vous faire un cadeau ! Et comme j’ignore lesquels manquent à l’appel, je viens donc occuper les places vides avec quelques classiques. Le cinéphile que vous êtes aura probablement vu certains d’entre eux mais revoir un bon film c’est comme retourner s’asseoir à une bonne table ou croiser dans la rue un vieil ami : toujours avec plaisir, n’est-ce pas ?
Je n’ai pas choisi ces films au hasard : ils parlent tous de vous ! Et croyez moi, je vous connais depuis longtemps : la qualité première de François Ruffin c’est d’être un type entier et les vidéos tournées dans sa cuisine le rendent ma foi encore plus familier ! Alors allons-y, je vais vous expliquer mes choix cinématographiques rapidement, pour le lecteur que vous êtes, ça ne prendra guère de temps…
Un, vous avez le sens de l’honneur. La scène est quasi culte, elle se passe dans le classique de Michael Curtiz, Casablanca (1942). L’un des personnages français d’une nature romantique et fière, demande à l’orchestre d’entonner la Marseillaise alors que des soldats allemands se pavanent et chantent à tue-tête dans le même restaurant. Un acte de résistance symbolique, mêlant dignité et courage. Ce qui vous caractérise fort bien : pas question de se laisser marcher sur les pieds par plus grand que soi. De l’honneur et du panache donc, Ruffin est avant tout un patriote, pour la France et la Picardie ! “Ah! ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne…“ Vous êtes plus diplomate que nos ancêtres paysans mais rien ne vaut un air entraînant, pour aller “danser, encore” ou se jeter dans la mêlée de la lutte des classes…
Deux vous avez une foi rationnelle. Les deux pieds bien ancrés sur terre avec des bottes ou des crampons, de préférence. Certains essayeront toujours de vous trouver une place sur l’étagère des auteurs idéalistes d’extrême-gauche, à côté d’Olivier Besancenot. Mais avec Ruffin les arguments sont simples, concrets et font mouche, comme le sont les preuves authentiques collectées sur le terrain. Comme j’aime à le dire : “Ruffin il connait ses électeurs par leur prénom et les problèmes à la racine”. Habité d’une foi profonde donc, dans l’humanité, semblable à celle qui pétille dans le regard de Montgomery Clift dans le magistral Bal des Maudits d’Edward Dmytryk (1958). Une conviction logée dans les tripes, de celles qui vous guident pour prendre des risques et défaire des injustices trop flagrantes. Une dévotion qui tranche dans le film avec celle de son fidèle camarade porté à l’écran par Dean Martin, lui davantage enclin à engager une critique distante de la guerre. Mais qui admire profondément cette foi absolue dans l’action. Un duo de compères à l’image de celui que vous formez avec Jean-Luc Mélenchon, en (baie de) somme…
Trois, vous bousculez les lignes. Journaliste vous investiguez, documentez et transcrivez les histoires de Français méprisés, auprès d’une large audience. Plus original encore, vous êtes entouré d’une équipe exponentielle de bénévoles qui s’activent intensément pour devenir demain une armée d’activistes. Point de conseiller en communication pour “réseauter” avec de généreux donateurs, de déjeuners mondains pour s’enorgueillir de ses derniers succès et de ceux à venir ni de collusion avec les commentateurs politiques avides de confidences. Point de Fay Dunaway qui graviterait autour de vous comme dans Network de Sidney Lumet (1976), pour transformer le drame de nos vies en un éphémère succès télévisé.
Avec Ruffin les arguments surprennent et dérangent car des émotions surgissent dans ce huis clos médiatico-politique usuellement policé. Invité idéal pour bousculer les lignes sans pour autant les menacer vraiment, Ruffin joue à fleuret moucheté quand Mélenchon cherche le KO. Il tient la barre sans se laisser distraire par un vent parfois contraire soufflant dans les micros. Le tout avec une patience pour ses confrères qui l’honore !
Aussi ce qu’il y a d’épatant c’est son art de la mise en scène, n’en déplaise au fougueux Juan Branco. Car oui, il y a du Mohamed Ali chez Ruffin. Répétant ses gammes en public dans sa cuisine pour mieux monter sur le ring affronter les redoutables uppercuts d’un Jean-Jacques Bourdin ou des grandes gueules du PAF. Pour adresser au mieux ses initiatives aux auditeurs et ne plus trembler devant les “nouveaux chiens de garde” (Serge Halimi, 1997) de l’arène médiatique, il s’entraine, ne cachant rien aux observateurs influents. Enfin, de toutes les conquêtes spatiales mais plus encore, sociales, il sait que les succès les plus notables se sont toujours basés sur les vertus de l’ingénierie collective. Un chef d’orchestre n’est rien sans solistes, un préfet de police sans gendarmes, un Napoléon sans grognards, un Zidane sans Claude Makélélé, un Macron sans PDG. Certes, une équipe composée d’amateurs mais qui s’étoffant chaque jour, maitrise ses sujets et gagne l’enthousiasme ! A la différence de la République en Marche rendue rigide, hiérarchique, autoritaire et froide, le mouvement Picardie debout ! est à géométrie variable donc bien plus résilient, créatif, dynamique et vivant.
Quatre, vous avez le sens de l’humour comme le souligne Emmanuel Todd (C’est Politique, 2017). Une qualité qui vous sauve de l’épuisement, j’en suis sûr. Dans le Trésor de la Sierra Madre de John Huston (1948), un fou rire jubilatoire et communicatif finit par prendre les personnages du film face à l’absurde cupidité humaine. Le désintérêt de Ruffin face aux plaisirs de l’argent est exemplaire et le rend quasi spirituel. Il y a du Saint François d’Assise chez Ruffin. Considéré comme le père du dialogue interreligieux donc tolérant, il fut surtout aimé pour être le défenseur des plus pauvres. Deux qualités centrales dans la crise du partage des ressources et des richesses produites que nous traversons.
J’aime cette citation souvent attribuée à André Malraux : “le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas”. En effet, même si elles se remplissent à Noël, les églises de France sont vidées de leurs âmes. Les paroissiens n’y trouvent plus guère de réponse à la frénésie de notre époque, ni d’exaltation dans des chants et des prières qui sonnent tristes à mourir. Quant aux vocations à la prêtrise elles sont quasi nulles de nos jours. Mais quid alors de la fonction qu’avaient ces rdv dominicaux pour notre communauté ? Quid de ce besoin de rituels pour grandir, s’unir, vieillir ensemble ? N’y a-t-il plus que les commémorations pour se tenir serrés ? Les matchs de foot pour se sentir à l’unisson ? Les concerts pour chanter à tue-tête ?
“Ce temps de cerveau humain disponible” (Patrick Le Lay, 2004) qui fut jusqu’au XXe siècle en partie dédié à une pratique religieuse ou spirituelle, est tout occupé désormais par la société du divertissement. “Ce que je reproche aux journaux, c’est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes, tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentielles” (Marcel Proust, 1918). Voilà où nous en sommes : abreuvés d’insignifiant. Franck Lepage à juste titre se désole des productions artistiques contemporaines, souvent “transgressives” mais trop rarement “subversives”. “Faire pipi sur la scène du Palais des Papes à Avignon ne fait pas trembler le MEDEF !” L’audience s’offusque, rigole et applaudit docilement, les artistes et les producteurs encaissent. Quant à l’ordre établi il reste bel et bien toujours le même. Je vous le dis, il en faut en effet une grosse dose d’humour pour ne pas s’étouffer tous les jours de dépit !
Cinq, vous connaissez les rouages de l’oligarchie. Un jeu où les grands propriétaires sont à la manoeuvre sur le pont industriel (lobbying, rétribution), sur le pont médiatique (calomnie, promotion) et sur le pont politique (imposition, répression) du paquebot France. Frank Capra décrivait admirablement déjà en 1941 le cynisme de ces conseils d’administration d’actionnaires majoritaires dans L’Homme de la Rue. Les temps ont changé : en 2021 les citoyens sont davantage informés politiquement mais vivent dans un brouhaha constant fait de promesses et d’indignations… Car voilà que pour ajouter un peu de confusion, les réseaux sociaux nous imposent leur format bref, donnant naissance à toutes sortes de raccourcis. Complotiste ! Conspirationniste ! Antisémite ! Islamo-gauchiste ! sont les opprobres de notre temps. Pourtant les secrets d’Etat protégeant les intérêts post-coloniaux existent, n’est-ce pas ? Les collusions diverses à des fins de profit, ne vont-elles pas bon train ? La critique de la ségrégation n’est-elle plus possible ? Les comportements sectaires, extrémistes ou carrément racistes ne peuvent-ils plus être dénoncés sans risque d’amalgame ? Non vraiment, il faut en revenir aux fondamentaux comme toujours.
Antonio Gramsci (1917) expliquait déjà fort bien cet art de la manipulation des masses par la classe dominante pour maintenir le “statu quo”. Notre époque n’est-elle pas toujours profondément favorable à une minorité ? L’habile tour de magie consiste à faire croire qu’ils sont les plus méritants alors qu’ils sont juste opportunistes. Le moyen de mystifier son public consiste à être en contrôle des histoires qui lui sont racontées. C’est ce que Gramsci appelle “l’hégémonie culturelle”. Les médias privés vantent l’individualisme (succès), la perfection (publicitaire), la réussite (matérialiste), la technologie (transhumanisme) comme une vision de société. Et notre président actuel d’ailleurs répond à tout ces critères admirablement. Photogénique comme personne, il aime à se déguiser partout où il est invité ! Et puis c’est bien connu : “il suffit de traverser la rue pour trouver du travail”. Oui certes, mais pour un salaire proportionnellement aussi bas qu’il va être épuisant.
Cette idéologie commerciale et infantilisante est clivante car elle favorise les inégalités de richesse. Et la concentration actuelle des médias dans les mains de quelques milliardaires la rend possible. Notez d’ailleurs que loi s’est largement assouplie, une fois encore à l’avantage des multinationales. Ainsi, pour s’assurer de son indépendance, l’ordonnance de 1944 interdisait à un propriétaire de journal d’exercer toute autre activité économique. En 2021 “l’hégémonie culturelle” est totale tant les industriels ont acquis l’ensemble des plus importants titres, radios et chaînes de télévision. Internet restant le fragile refuge de l’authentique investigation.
Comme Nelson Mandela c’est depuis sa cellule de prison qu’Antonio Gramsci écrivit son oeuvre immuable, c’est d’ailleurs à cela que l’on mesure sa portée subversive. Alors que nous dit-il ? Eh bien lorsque le peuple a compris qu’il est le dindon de cette farce, voilà qu’il se rebelle. Vient alors son deuxième enseignement : si l’idéologie “publicitaire” est menacée, un seul mot d’ordre : la “coercion”. L’Histoire récente démontre aisément cette attitude coercitive dénoncée par Chomsky, Gramsci et Machiavel en leurs temps. De Hong-Kong, à Paris, de Seattle à Moscou sans oublier Jérusalem et tant d’autres lieux de manifestations : d’abord les “procureurs” de l’espace médiatique sont chargés de traquer les délits d’opinion. Ensuite les politiques de tourner les requêtes des manifestants en une confrontation. La souffrance populaire s’exprime toujours d’abord confusément, puis s’écroule, rouée au sol à coups de bâtons.
Alors Ruffin pour moi est un éducateur social. Il n’a pour but que de rendre les citoyens autonomes lorsque d’autres mènent tambour battant des batailles pour briller. Il filme, entonne et rayonne de sa propre nature à s’indigner. Il ne mène pas une carrière, il n’a pas de “vouloir” – ça c’est Macron, l’homme qui “veut” décider – chez Ruffin il y a juste une inspirante “volonté”, un sincère désir d’acter concrètement, un réel changement.
Six, vous êtes un humaniste. Une valeur bien française, terre des droits de l’Homme éclairée de sa philosophie. Un jour François vous avez affirmé dans l’une de vos vidéos la chose suivante : “dans un couple on a toujours l’impression que l’un des deux est de trop”. Certes, dans un couple on se sépare quand la tension est trop forte et le désir éteint. A l’inverse, je ne crois pas que les électeurs du FN réalisent combien il est impossible de se séparer des 6 millions de Français musulmans. Comme les extrémistes Israéliens n’élimineront jamais les 2 millions d’habitants de la Bande de Gaza ou les suprémacistes blancs les 42 millions d’Afro-américains. Je crois qu’une personne tient des propos racistes selon son degré de colère et son niveau d’apeurement. Si un jour nous sommes sensibles à des discours démagogiques nous faisant perdre la raison, le lendemain des propos pédagogiques pourront nous rendre notre liberté de penser.
Dans Captain Fantastic de Matt Ross (2016) Vigo Mortensen apprend à ses enfants à survivre par eux-même dans l’isolement quasi total. Cependant, peut-il se débarrasser de ce qui a est présent partout autour de lui ? Malgré sa tentative de le nier, le consumérisme s’impose même à sa tribu isolée. À l’identique, le cosmopolitisme s’impose dans une économie mondialisée.
Certes, Ruffin et Mélenchon ont une lecture semblable de notre situation. Mais pour passer d’une constitution trop hiérarchique et centralisée à un cadre plus représentatif et décentralisé, ils offrent dans la méthode des exemples opposés. D’un côté, Ruffin applique à son mouvement ce qu’il envisage : une organisation collaborative des processus décisionnels. De l’autre, Mélenchon impose sa personnalité autoritaire au sein de son propre parti et de sa famille politique, tout en nous promettant une réforme du système présidentiel jugé trop hiérarchique. Même si sa musique de pourfendeur de l’injustice sociale aux différentes tribunes républicaines (au Sénat, au Parlement Européen, à l’Assemblée Nationale) sonne juste, il y a comme un couac dans la symphonie de critiques que le leader de la France Insoumise répète inlassablement. Sourd aux sifflets d’un public averti pour lequel ce “faites ce que je dis, pas ce que je fais” irrite les oreilles, il reste aveugle à sa propre dissonance cognitive. Comme le père de famille dans Captain Fantastic pourtant très sympathique, Mélenchon reste englué dans son déni de cette réalité.
Sept, vous êtes le héros simple. Le Mr Smith au Sénat de Frank Capra (1939) ou le Gavroche de Victor Hugo. Ce révolutionnaire pistolet pointé vers le ciel sur le tableau “La liberté guidant le Peuple” d’Eugène Lacroix (1830). Ou encore le héros d’une génération, Luke Skywalker dans Star Wars de George Lucas (1977), une trilogie influencée par Joseph Campbell, grand spécialiste des mythes. Dans le film, pour accomplir sa formation le jeune apprenti doit se confronter à son manque d’affection, inconscient et innocent, d’une figure paternelle. Mais malheureusement voilà que son père a basculé du côté obscur de la Force. Je vous entends dire : – “Quoi, Jean-Luc Mélenchon serait Darth Vader ?! Mais il est sympa Jean-Luc, c’est un type bien !” Ok François, j’avoue j’ai même voté pour lui après l’expérience Hollande. Néanmoins, admettez qu’il occupe dans l’espace public une position à plein temps de “grand tribun dénonciateur », n’est-ce pas ? Il pointe du doigt, tel le directeur d’école, vers ses chouchous et ses têtes de turcs, et alterne depuis 10 ans entre coups de gueule médiatiques et tournées électorales sans pour autant trouver le chemin du 2ème tour, correct ? Le souci c’est que sa posture toujours très offensive et menaçante effraye un large pan de la classe moyenne bourgeoise dont la richesse s’est lentement dissoute mais qui reste attachée à une forme d’héritage. Se sentant menacée elle se replie sur elle-même et résiste au changement, alors qu’elle a pourtant l’âge d’en accepter l’urgente nécessité. Malheureusement pour lui, ce sont exactement ces mêmes électeurs concentrés en masse dans les villes qui font et défont les élections. Plus sensibles aux questions d’équité que les électeurs conservateurs ou nationalistes, ils ont même bouté à coup de bulletins de vote Donald Trump hors de la Maison Blanche !
Je vois deux scénarios possible pour l’instant : un, si Jean-Luc a le sens du sacrifice comme Darth Vader envers son fils dont l’âme est plus intègre, alors peut-être, l’espoir sera sauf. Deux, s’il s’obstine encore à jouer les Abraracourcix têtu comme dans La Zizanie de Goscinny & Uderzo, il risque bien de tomber une troisième fois de son bouclier, et nous avec …
En France, nous évoluons depuis 1958 dans un système où les citoyens sont considérés comme des enfants qui n’ont jamais été autorisés à grandir et dont le père est mort, il était général. De Gaulle aidé par Michel Debré écrit la 5e Constitution, se taille un costume républicain à sa mesure et prend le gouvernail d’une France dont la 4e République vacille sous les déferlantes des conflits coloniaux. Depuis cette époque impériale pourtant lointaine, nous sommes conviés à la table des adultes une fois seulement tous les 5 ans pour donner notre avis. Le véritable archétype d’une crise d’autorité parentale s’est installé depuis. En bas dans la rue, relégués au rang des éternels adolescents post soixante-huitard, les manifestants expriment leur sincère mécontentement. En haut à la fenêtre, engoncés dans leur modèle d’autorité, les technocrates contemplent de leur appartement à quel point les enfants sont turbulents. Trop de grabuge et papa s’énerve ! Il envoie la police. Armé de son martinet il tance le premier qui passe et en fait un exemple. Ou encore, s’il est d’une humeur plus clémente voire devine son autorité intacte, il viendra seulement nous admonester quelques leçons de vertu idéologique.
Qui donc avait raison ? Mais Antonio Gramsci encore lui, pardi ! L’arme redoutable dans la bouche des adultes en charge de nous donner la fessée nous les Français râleurs jamais contents c’est soit la leçon, soit le bâton ! Mais oser demander des référendums populaires ou des votations comme en Suisse alors là non, pas question. “File dans ta chambre avant que je me fâche tout rouge et cesse d’être insolent avec ton père ! Tu vas la prendre celle-ci sur ton derrière, et tu l’auras bien méritée !” Je vous le disais, un archétype, une fidélité à un certain modèle d’autorité.
Huit, votre bon sens rassemble. Car dans ce contexte tendu cher François, nous nous sommes comme vous épuisés chaque jour un peu plus à taper du poing sur la table. Et même si l’exclamation “Indignez-vous !” proclamée par Stéphane Hessel ancien résistant, reçut un large écho (2010), jusqu’à maintenant, la classe moyenne bourgeoise continua de voter au centre. Contre un régime lepéniste d’abord mais aussi pour des promesses même douteuses de liberté d’entreprendre. Des Français qui choisirent la publicité mensongère du libéralisme économique plutôt que de prendre le risque d’une purge éventuelle d’un Mélenchon président. Car il faut le bien l’admettre, Jean-Luc ne démontre pas de sa capacité à maitriser ses propres emportements ni celle du consensus, voir même du compromis, malheureusement.
Si Ruffin est donc resté un électron libre dans la France Insoumise c’est parce qu’il est un homme indépendant. Son esprit critique lui a enseigné que de désigner le Monsieur ou la Dame avec le plus beau sourire sur l’affiche et de glisser son nom dans l’urne tous les 5 ans, c’était des histoires racontées aux enfants… Plus encore, François a même été élu “délégué de classe”. Il fait donc partie de cette ribambelle d’inoffensifs représentants, appelés à siéger à l’Assemblée à Paris pour se chamailler avec les “professeurs” membres du gouvernement. Mais tous les soirs il retourne dans sa chambre feutrée du 7e arrondissement, dépité, frustré par tant d’indifférence et refuse d’abandonner. Le tout sous les regards amusés des patrons de presse et d’industrie, sans oublier notre éternel proviseur de Lycée : le malicieux Jacques Attali ou “l’homme qui chuchotait à l’oreille des futurs présidents” depuis maintenant 40 ans !
Non franchement, nos voisins Suisses rigolent ! Ils sont indépendants des directives européennes et invités à donner leur avis chaque mois : des adultes autonomes, finalement. Nous sommes et resterons les enfants de la 5e République tant qu’il y aura assez d’entre nous pour croire encore que le président de notre pays agit comme “un papa imaginaire qui nous sauvera des méchants”. Le patriarcat à la française, la soumission à un maître tout puissant, une croyance infantile ancrée dans notre tradition catholique qui nous différencie de nos voisins protestants, bien plus indépendants. Mais nous Français sommes bien tous habitués aux mises à jour informatiques donc je ne vois aucun obstacles sérieux à celle de notre système démocratique dans l’opinion publique. La 6e république, enfin, elle est logique !
Neuf, vous ne rêvez pas d’être président. Alors oui François, comme tout passage à l’âge supérieur, il en coûtera un prix. Prendre le risque de devenir adulte et transgresser l’autorité de ses aînés c’est aussi devenir responsable de ses actes. D’accepter de prendre le volant et certainement, avoir des accidents. Si les tensions sociales sont si fortes et la répression si violente c’est un indicateur : des citoyens de tous bords sont forcément prêts à une “évolution” davantage qu’à une “révolution”.
En 75 ans nous avons tourné le dos à notre soif de conquêtes coloniales, aux prêtres qui nous sermonnaient à l’église, aux patriarches qui régimentaient la vie des femmes et par deux fois aux tentations sectaires du Front National. Reste à faire le deuil du président. Le général de Gaulle, François Mitterrand, Jacques Chirac sont morts, il étaient les dernières figures de cette autorité rassurante. La 5e République de 1958 est révolue, les regards sont tournés vers l’avant. C’est la grande mise à jour du système, le nettoyage du printemps.
François c’est l’Élu dans Matrix des Frères Wachowski (1999). L’homme disposant de toutes les qualités pour terrasser notre petit roitelet protégé des puissants qui rêva un jour d’enfiler le costume de président…
Dans le contexte où le côté obscur de la Force domine (individualisme, autoritarisme, cynisme) et la catastrophe écologique et sociale approchant, François Ruffin peut ouvrir une brèche, donner de l’espoir, délivrer la vie, accompagner un accouchement.
– Courage, poussez Marianne, elle va sortir, La France est prête ! – C’est une fille ! Une 6e ! Elle s’appellera République !
“Allons enfants…!”
Chaleureusement à toi, François. Bons films !
Thomas Saupique
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