Tout d’abord je me questionne sur la légitimité de ma réponse. Je ne suis que sympathisante, électrice de gauche sans appartenance partisane définie dans le long terme, et je préfère militer à travers le monde associatif…
Ma réponse à cette question est intrinsèquement liée au contexte le plus récent. Elle aurait sans doute été différente sous un autre contexte.
À mes yeux, deux événements ont fortement marqué l’actualité et j’ai beaucoup de mal à m’en remettre : la tribune des militaires appelant ouvertement à l’insurrection, publiée dans Valeurs Actuelles ; et la participation des principaux responsables de gauche – à l’exception de la France Insoumise – à la manifestation des policiers devant l’Assemblée Nationale, le 19 mai dernier.
En tant qu’électrice de gauche, sympathisante de la LFI, mais aussi de Ruffin, je subis la troisième candidature de Mélenchon comme un plébiscite imposé, que je ne comprends et ne cautionne pas.
Depuis quelques semaines, la tribune des militaires me glace le sang car elle vient me rappeler qu’il existe bien un fascisme rampant qui nous attend au tournant, quelle que soit l’issue électorale (défaite ou victoire de la gauche). Elle a été signée -je le rappelle- par 2000 militaires encore en fonction, sortant allègrement de leur droit de réserve, ce qui visiblement semble devenir une mode au sein d’une fraction de nos forces armées ou de l’ordre.
Quant à la manifestation des policiers, je me permets de citer un paragraphe de l’article intitulé « Fury Room » de F. Lordon, paru récemment sur le blog du Monde Diplomatique :
« On reste tout de même sidéré qu’il se trouve encore des bienheureux pour appeler à l’« union de toutes les gauches ». Mais que faut-il avoir dans les yeux (j’ai une hypothèse) pour ne pas voir que Jadot, Hidalgo, Faure, et jusqu’à Roussel (qui fait de Biden un membre d’honneur du PCF) sont des personnages de droite, et qu’il n’était pas nécessaire pour le savoir d’attendre qu’ils se couvrent de honte (et de leur vérité) en rampant à la manifestation-intimidation fascisante de la police – défi à la logique : chercher avec des gens de droite une union de gauche. Plaît ou plaît pas, il reste un candidat à gauche : Mélenchon ».
En d’autres termes, la participation de tous les responsables de gauche à cette manifestation est venue marquer un fossé entre eux et les électeurs de gauche, ainsi que les potentiels votes « d’abstentionnistes repentis ».
Au lieu d’une union des gauches, il ne reste désormais qu’une seule gauche présidentiable, la LFI, qui a pris le courageux pari de rester digne. Cela a même suscité une surprise positive parmi la gauche radicale, souvent abstentionniste, rejetant le système électoral de média masse. Voici ce qu’on peut lire sur Nantes Révoltée (auteur inconnu) le jour même de la manifestation policière :
« Les responsables de gauche qui manifestent avec l’extrême droite aujourd’hui étaient les premiers à diffamer et à salir le mouvement populaire des Gilets Jaunes, en le qualifiant de « populiste », de « poujadiste », voire d’extrême droite. De telles brosses à chiottes, incapables de reconnaître un authentique soulèvement social, finissent à présent au fond de la cuvette du fascisme policier. D’une certaine manière, les grognements de la police sont l’exacte antithèse des Gilets Jaunes : les premiers sont soutenus par l’intégralité de la classe politique et médiatique, du PCF au RN, sans avoir aucune assise ni soutien populaire. Les seconds, ont été calomniés, réprimés, abandonnés par tous, mais ont tenu bon car il s’agissait d’une colère profonde, soutenue, partagée par une grande partie de la population. (…) Le ralliement de la gauche à cette opération est une collaboration criminelle. Une exception notable : la France Insoumise, qui tient bon dans la tempête ».
Malgré la personnalité écrasante de Mélenchon et le plébiscite « forcé » de sa candidature, une frontière vient d’être franchie au sein de la gauche la plus radicale : la FI n’est plus rattachée à l’unique personne de Mélenchon, mais est considérée comme une entité dans son ensemble, le seul parti de gauche n’ayant pas défilé aux côtés d’Alliance, du RN et de Zemmour, refusant la banalisation des revendications d’extrême droite. Ce jour-là, la France Insoumise est devenue dans les faits, à la fois le seul rempart contre le RN et le seul parti digne de représenter la gauche, en se rangeant du côté des revendications des Gilets Jaunes et des divers collectifs dénonçant la répression dans les banlieues, qui partagent le malheureux point commun de compter parmi eux (ou des personnes qu’ils représentent) des victimes de la police, y compris des morts. Un point commun qu’ils partagent notamment avec une partie de la gauche radicale, celle que l’on retrouve dans les ZAD par exemple, comme Notre Dame des Landes ou le Testet, où ils ont été fortement réprimés … Trois communautés principalement abstentionnistes…
Le refus de la France Insoumise de participer à cette manifestation vient de leur ouvrir une potentielle opportunité (impossible à mesurer) : récupérer les votes des abstentionnistes de ces trois différentes communautés ayant l’intention d’aller voter en 2022.
Quoi qu’il en soit, l’espoir pour l’électrice de gauche que je suis est à l’agonie.
Le fascisme, qu’il soit nationaliste ou néolibéral, nous guette. Nous baignons déjà dans la banalisation médiatique de sa violence.
Une énième scission de la gauche finirait par définitivement nous enterrer, avec la sinistre responsabilité de céder le pays au RN.
Comme vous pouvez le lire, je n’ai pas souhaité m’exprimer sur les qualités et les défauts de François Ruffin en tant que candidat aux présidentielles. Je pense que vous êtes suffisamment nombreux à avoir répondu en ce sens.
J’aimerais simplement exprimer ici mon sentiment de désespoir quant à l’état de la gauche aujourd’hui et j’ai la conviction de ne pas être seule à le vivre.
Une candidature de Ruffin oui, à condition qu’il n’y ait qu’une seule candidature, sous le drapeau de la France Insoumise, un mouvement ayant rassemblé plus de 7 millions de voix aux dernières élections. Si Ruffin il y a, il faudrait un désistement de Mélenchon.
Il n’y a pas de place pour les deux dans ce triste paysage politique. Un doublon de candidatures risquerait définitivement d’enterrer tout espoir d’échapper aux fascismes, avant même le 1er tour.
Si les responsables de gauche dans leur ensemble ont sans doute déjà perdu le pari de gagner les élections présidentielles de 2022, ils ont encore la possibilité de ne pas définitivement éradiquer notre espoir, seul outil de survie qu’il nous restera face à la victoire de l’un de ces néo-fascismes en herbe du XXIème siècle.
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