L’intérêt de cette question est de regarder autrement le jeu politique. Ne la regardons pas avec les lunettes habituelles.
1/ La 5e République a réduit la compétition politique à un jeu de personnes. Le candidat a besoin d’un « mouvement du président » plutôt qu’un arrangement entre partis. Il doit paraître « émancipé » plutôt que « otage ». Cette réduction voulue par De Gaulle est devenue désastreuse pour la vie politique et le respect des citoyens. Aucun président n’a été élu sur un programme précis qu’il réaliserait : « la France Tranquille », « la fracture sociale », « le Karsher », un ou deux bons mots parlent mieux et font impression, sans dire plus d’une politique. En ce sens, Mélenchon entretient un « personnage » et un « mouvement » tout à fait adapté à la 5e République. Mais le risque est que les trois derniers présidents de la République soient parvenus à user la corde sans retrouver plus aucune « superbe » et qu’elle se brise, notamment par l’abstention. La candidate alternative contre Macron apparaîtra comme le choix de cette lassitude : passons à l’aventure d’extrême-droite.
2/ Il faut convenir que la gauche est morte avant de se mettre sur les rangs. Elle est atomisée et aucun candidat (LFI, Verts, PCF) ne cédera sa place dans ce contexte. Et les membres PS se retrouveront perdus pour la bataille, ou en situation de bataille perdue comme en 2017. Que donc Ruffin irait-il faire dans cette galère ? Si on lui pose cette question aujourd’hui, il dirait : non. C’est évident. Il y aurait tout à perdre, et rien à gagner…
3/ L’itinéraire et le positionnement de Ruffin est tout à fait atypique. Dans la suite de « Fakir » et de « Merci Patron » et de la circonscription d’Amiens, il se positionne à hauteur des gens « en première ligne » (expression récente, heureuse pour évoquer les travailleurs manuels, les gilets jaunes, etc., les gens du bas de l’échelle). Et il se cantonne à cette problématique, sans se prendre les pieds dans les controverses de la politique spectacle. Il n’a parlé ni de parti, ni de mouvement, ni de programme. Il est un député qui fait le job. (C’est sans doute une vue superficielle de ma part). Il ne déclare pas une ambition particulière. Se porter candidat détruirait cette image, ce positionnement.
4/ Je vois donc la question se posant autrement : est-ce que des citoyens pourraient se mettre en mouvement pour « balayer la table » (de la gauche) et leur imposer une candidature rouge-verte avec Ruffin pour champion ? Est-ce que une série d’associations politiques, non affiliées au pouvoir ou aux partis, qui structurent la société (Greenpeace, Amnesty, les syndicats, les organismes d’action d’aide sociale, etc.) pourraient faire émaner de leur sein (sans pouvoir elles-mêmes s’engager) « par nécessité et urgence de la situation » un mouvement porteur ? On songera sans doute à l’opération « Piketty candidat » que l’intéressé a assez vite déclinée (lui aussi ayant plus à perdre et rien à gagner). On songera sans doute à l’expérience de « Place Publique ». Mais on a vu que le PS y avait agi sans doute en « sous-marin ». Et que les personnalités porteuses n’ont pas fait le poids, malgré elles, même pour susciter un mouvement hors d’un niveau social assez restreint. Il faut donc partir d’un mouvement social différent, non pas à coup de « personnalités », et se fondant sur des objectifs pratiques, « concrets pour les gens ». Et mouvement assez fort pour imposer comme « nécessité de la situation » de : 1/ obtenir le consensus et le retrait et le soutien des trois ou quatre forces de la gauche et de leurs champions, 2/ aller chercher François Ruffin derrière sa charrue et et le mettre devant nos bœufs. Ce mouvement demande une intense préparation.
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