Il y a actuellement de grandes discussions sur les effets secondaires concernant chaque vaccin, mais pas sur leur efficacité, notamment vis-à-vis des variants. Or celle-ci est importante pour savoir si la politique de vaccination permettra ou non d’arrêter la pandémie.
Il y a deux points de vue différents concernant l’efficacité d’un vaccin :
- celui du vacciné, qui souhaite être protégé au mieux contre le virus ;
- celui de la société, qui souhaite éviter une épidémie et la saturation du service hospitalier.
Rappelons tout d’abord que les vaccins n’empêchent pas l’infection ; leur objectif est d’éviter que la maladie soit grave, voire mortelle. Ainsi, aux États-Unis, où environ 77 millions d’adultes ont été vaccinés, près de 6.000 personnes ayant reçu les deux injections (cette estimation est sous-estimée) ont contracté le virus, 7 % ont dû être hospitalisés et 1,2 % en sont mortes. Les vaccins réduisent les risques, mais ne les suppriment pas entièrement.
Rappelons également que l’effet d’un vaccin n’est pas immédiat. Il simule l’attaque de l’organisme par le virus cible, et provoque une réaction du système immunitaire adaptatif, réaction qui n’est pas immédiate. Il faut environ 2 à 3 semaines après la première injection pour finaliser l’apprentissage du système immunitaire et que celui-ci produise des anticorps protecteurs, et avoir ainsi une première protection. La protection augmente avec la seconde injection, qui permet une augmentation des anticorps produits. Ce décalage ne semble pas être pris en compte dans les calculs du gouvernement qui, en présentant au jour le jour la courbe des vaccinés, considère implicitement qu’un vacciné au jour J est protégé dès ce jour J. Pour être plus proche de la réalité, il devrait présenter la courbe des vaccinés depuis plus de 3 (ou 4) semaines…
Les données ci-dessous concernent donc les personnes qui ont terminé le protocole vaccinal, et dont la production d’anticorps est à son maximum.
Mais qu’est-ce que l’efficacité d’un vaccin ?
La réponse n’est pas simple : normalement, le taux d’efficacité est calculé sur le fait de ne pas être symptomatique à la maladie (donc soit de ne pas être malade malgré un contact avec le virus, soit de l’être de manière asymptomatique). Mais certains fabricants de vaccins calculent le taux sur le fait de ne pas avoir une forme grave de la maladie (ce qui augmente donc la valeur). Pour AstraZeneca, l’efficacité dépend de la durée entre les deux injections : selon le fabricant, 54,6 % si la durée est inférieure à 6 semaines ; 82,4 % avec un intervalle supérieur ou égal à 12 semaines. Les durées étudiées par Pfizer et Moderna sont respectivement de 3 et 4 semaines entre les deux injections.
Cette efficacité est calculée en général par rapport à une cohorte d’adultes actifs de + de 16 ans (pour Pfizer) ou de + de 18 ans (pour les autres). Elle peut être supérieure pour les plus jeunes, ou inférieure pour les plus âgés. Cette cohorte, lors de l’essai en phase 3, a été divisée en deux groupes : celui des personnes réellement vaccinées, et un groupe témoin. Quelques semaines après, il y a, dans chaque groupe, décompte des personnes qui ont été malades et comparaison entre les deux groupes. Un vaccin efficace à 95 % signifie qu’il y a eu 95 % de symptomatiques en moins dans le groupe vacciné par rapport au groupe témoin.
Pour aller plus loin, voici un bon article du journal Le Monde sur la notion d’efficacité des vaccins.
Efficacité vis-à-vis de la souche initiale chinoise (D614G).
Les quatre vaccins actuellement proposés en Europe ont été réalisés en réponse au premier variant de la souche initiale apparue à Wuhan en Chine, car les autres variants ne sont apparus qu’après la fin des études de phase 3.
Taux d’efficacité de Pfizer : 95 %
Taux d’efficacité de Moderna : 94 %
Taux d’efficacité d’AstraZeneca : 60 % à 72 % sont les taux les plus couramment retenus.
Taux d’efficacité de Johnson & Johnson : 66 %, en excluant cependant les cas bénins …
Ce variant n’est quasiment plus en circulation en Europe (4,5 % en France).
Mais qu’est-ce qu’un variant ?
Un variant se distingue de la souche d’origine par le fait qu’il y a eu des mutations sur une partie de son code génétique. Ces mutations lui ont permis des améliorations dans son efficacité à lui… dont deux particulièrement problématiques :
– La mutation N501Y, qui se retrouve sur tous les variants référencés ci dessous. Elle permet au virus de s’accrocher et de pénétrer plus facilement dans la cellule cible.
– La mutation E484K, qui se retrouve sur le variant sud-africain et sur les variants brésiliens P.1 et P..2, ainsi que sur un nouveau variant du variant anglais. Elle permet d’échapper partiellement aux anticorps produits, soit par une immunisation liée à la souche initiale ou au variant anglais « classique », soit par ceux induits lors de la vaccination.
– Il existe également une particularité au variant sud-africain que ne posséderait pas le variant P.1 brésilien (les scientifiques n’ont pas encore désigné formellement la mutation concernée) qui permettrait au sud-africain d’échapper encore mieux aux anticorps qu’à son alter-ego outre atlantique.
Mais qu’est-ce que l’efficacité d’un vaccin sur un variant ?
La réponse est encore moins simple ! En effet, il n’y a pas eu (ou peu, et à petite échelle) de recherche type « essai de phase 3 » (voir ci-dessus) sur une zone géographique principalement infectée par un variant spécifique. Les scientifiques ont donc procédé différemment : ils ont mesuré in vitro la capacité des anticorps neutralisants générés par le vaccin lorsqu’ils sont mis en face d’un variant. Et ont comparé le résultat par rapport à la neutralisation des mêmes anticorps sur la souche chinoise d’origine.
Problème : on ne mesure là qu’une partie de l’efficacité d’un vaccin. En effet, le système immunitaire adaptatif (la partie qui apprend à lutter contre le virus) a deux composantes : l’immunité humorale (fabrication d’anticorps neutralisants) qui est chargée de détruire le virus lorsqu’il circule à l’extérieur des cellules ; et l’immunité cellulaire (fabrication de lymphocytes T cytotoxiques) qui est chargée de neutraliser les cellules infectées (soit en provoquant leur suicide appelé apoptose, soit en les empêchant de fonctionner et donc de reproduire à leur dépens le virus qui s’y est introduit).
« L’échappement immunitaire » créé par la mutation E484K n’est mesuré qu’à travers l’immunité humorale. Le processus d’apprentissage des deux composantes est similaire, mais rien ne prouve cependant qu’il y a aussi un échappement immunitaire avec la composante « immunité cellulaire ».
Le calcul de l’efficacité des vaccins vis-à-vis des variants n’est donc vraiment pas simple, et reste partiel puisque n’a été mesurée qu’une partie de la réponse immunitaire, à savoir l’humorale. De plus, celle-ci dépend aussi… de la quantité d’anticorps présents chez le vacciné (appelée « titre » dans la littérature scientifique), qui elle-même dépend de l’efficacité du système immunitaire, du délai entre la vaccination et l’infection, et… du bon suivi du protocole vaccinal indiqué par les fabricants (cf les résultats d’AstraZeneca selon les délais entre deux injections ; et la double vaccination) !
En résumé, l’efficacité du vaccin dépend : de l’efficacité des anticorps produits (est-ce qu’ils reconnaissent plus ou moins bien « l’ennemi »? [objet des études scientifiques] ) ; de la quantité d’anticorps disponibles lors de l’infection [information non disponible, car dépend de la personne vaccinée]; de la réponse immunitaire cellulaire [non disponible, sans doute difficile à mesurer in vitro].
Ci-dessous, je n’indiquerai donc plus le « taux d’efficacité du vaccin X », mais « le taux d’efficacité des anticorps du vaccin X ».
Voici une liste d’études scientifiques avec un code couleur indiquant l’efficacité d’un vaccin selon le variant, liste dont je me suis inspiré. Attention, il y a des erreurs, ne pas tout prendre au pied de la lettre.
Efficacité vis-à-vis du variant britannique (B.1.1.7).
Elle n’a pas été formellement calculée, mais il semblerait qu’il y ait qu’une légère baisse de l’efficacité des vaccins comparativement au variant chinois.
Ce variant est très dominant actuellement en Europe (83 % en France par exemple). « Ce variant est associé à une transmissibilité accrue (de 43 à 90%) et possiblement à une forme plus sévère de la maladie, à un plus haut risque d’hospitalisation et à une mortalité plus élevée. » dixit Santé Publique France.
Efficacité vis-à-vis des variants brésiliens (P.1 et P.2)
Il existe au Brésil d’autres variants qui possèdent également la mutation E484K. Concernant le plus diffusé et étudié, à savoir P.1, « Plusieurs études montrent une transmissibilité plus importante par rapport aux souches autres que variantes. De plus, ce variant aurait la capacité d’échapper à la réponse immunitaire induite par un premier contact avec des souches d’origine, et pourrait par conséquent accroître le risque de réinfection. » dixit Santé Publique France. Plusieurs études estiment qu’il est entre 1,4 et 2,2 fois plus contagieux, voire même 2,6 fois plus que la souche chinoise. Son taux de létalité a triplé pour les 20-29 ans, et doublé pour les autres tranches adultes de la population.
Sur le variant P.1 :
Taux d’efficacité des anticorps de Pfizer : 100/6,7 = 14,9 %
Taux d’efficacité des anticorps de Moderna : 100/2,9 = 34,5 %
Sur le variant P.2 :
Taux d’efficacité des anticorps de Pfizer : 100/5,8 = 17,2 %
Taux d’efficacité des anticorps de Moderna : 100/4,5 = 22,2 %
(source : Réalités Biomédicales). Voir également le résultat affiché dans l’image ci-dessous)
AstraZeneca : je n’ai pas trouvé de données. Il faut se rapprocher des résultats avec le variant sud-africain, qui possède aussi la mutation E484K problématique.
Efficacité vis-à-vis du variant sud-africain (B.1.351)
« Des études préliminaires suggèrent que ce variant est associé à une transmissibilité plus élevée de 50% et un risque plus élevé d’échappement immunitaire et de réinfection. Certaines recherches indiquent un risque accru de décès à l’hôpital. » dixit Santé Publique France.
Pfizer et Moderna
(source : Etude américaine) Il manque l’échelle, que l’on peut supposer être entre 0 et 100 %
Note : B.1.1.298 est le variant danois, éteint. B.1.1.429 est le variant californien.
AstraZeneca : « Des chercheurs d’Afrique du Sud et du Royaume-Uni ont constaté que la neutralisation virale par les anticorps générés par le vaccin AstraZeneca contre le variant B.1.351 du coronavirus était considérablement réduite par rapport à la souche « originale » du coronavirus. »
(source : Etude sud-africaine)
Une autre étude montre une quasi inefficacité d’une double dose du vaccin AstraZeneca contre ce variant. « 15 jours après la seconde dose, 19 cas de covid-19 symptomatiques se sont produits dans le groupe vacciné [750 personnes] et 23 dans le groupe placebo [717 personnes]. Sur les 42 patients positifs, 39 l’étaient avec la souche 501Y.V2 dite variant « sud-africain » selon cet article.
À noter que le gouvernement sud-africain a retiré AstraZeneca de la liste des vaccins administrés début février 2021, son taux d’efficacité (du vaccin) étant estimé à 22 %.
Efficacité vis-à-vis des autres variants.
D’autres variants « d’intérêt » (VOI) sont en circulation, dont un grand nombre possèdent la mutation E484K.
Le variant californien (B.1.1.429) ne porte pas la mutation E484K, mais une autre mutation L452R qui permet aussi un échappement immunitaire.
Et le fameux variant indien (B.1.617), dit « double mutant », car il porte à la fois la mutation E484K et L452R…
Liste des variants sur Wikipedia.
Liste des variants sur Santé Publique France.
Conclusion.
On le voit, les variants possédant la mutation E484K font diminuer fortement l’efficacité des vaccins. Avec, semble-t-il, la conservation d’une efficacité relative des vaccins à ARNm (Moderna en tête devant Pfizer) versus les vaccins à adénovirus (AstraZeneca, mais aussi probablement le cas pour Johnson & Johnson et Spoutnik V).
La vaccination actuelle est donc nécessaire pour lutter contre le variant anglais, mais insuffisante pour lutter contre les autres variants. Les variants sud-africain et brésilien (P.1), déjà présents en Europe, auront donc un espace qui leur sera favorable dès que la population sera massivement vaccinée contre le variant anglais actuellement largement majoritaire. Dès l’été ou le début de l’automne…
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Cet article utilise notamment comme source la méta-analyse effectuée par Marc Gozlan, auteur du site Réalités Biomédicales que je remercie ici sincèrement pour l’ensemble de son travail de vulgarisation (et je conseille d’aller lire ce blog régulièrement).
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