On ne se rend pas toujours compte à quel point les politiciens sont préoccupés par des questions personnelles très éloignées des enjeux de fond, et pourtant paradoxalement ces questions personnelles et ces enjeux de fonds sont, in fine, totalement liés.
A quoi peuvent et doivent penser nos dirigeants pendant que la planète brûle ? Souvent à sauver leur peau politique, à augmenter leur pouvoir, à se défendre contre les attaques, à neutraliser la concurrence. On pourrait le leur reprocher mais in fine, ils sont esclaves des nécessités du pouvoir et du système…
Ainsi le politicien doit faire de la politique petit « p », de la politique politicienne, y compris et peut-être surtout au sein de son propre parti, dont il doit garder, si pas la maîtrise, au moins le soutien. Pourquoi ? Tout simplement pour « accéder et se maintenir au pouvoir ». Le plus grand concurrent d’un politicien par rapport à un poste de pouvoir qu’il convoite n’est pas toujours quelqu’un issu du parti le plus éloigné. Souvent il s’agit d’abord du collègue du même parti qui convoite le même poste. Ensuite il s’agit de celui du parti le plus proche (en poids électoral ou en positionnement idéologique) qui convoite le même poste. Pour accéder et se maintenir au pouvoir intermédiaire, on doit recueillir le soutien de sa base, de la base du parti et l’adoubement du top du parti. Pour accéder et se maintenir au sommet du parti (ou de l’exécutif), il faut aussi le soutien de sa base, de la base du parti et … faire le vide autour de soi, constamment.
Cela n’est pas propre qu’à la politique mais universel à toute organisation (entreprise, administration, association, université), l’homo sapiens est aussi homo politicus et fait face aux mêmes jeux de luttes intestines et externes partout où le pouvoir se condense dans une institution. Parfois, on n’a le choix qu’entre « tuer son concurrent ou périr », car le pouvoir suprême s’accommode mal de la menace de la concurrence. Ainsi, les médiocres ont plus d’avenir face à un monstre politique qu’ils ne menacent pas, qu’un jeune premier ambitieux, qu’on préférera envoyer gouverner une marche de l’empire (le jeu entre César, Pompée, Crassus, Antoine, Octave…), voire qu’on neutralisera (au besoin par l’élimination directe au temps de Rome, aujourd’hui, un scandale peut suffire). Les médiocres, car ils ne sont pas assez menaçants pour les échelons supérieurs (concept relatif en fonction de la hauteur où on analyse la pyramide), s’ils sont loyaux, pourront être utilement utilisés par les prédateurs du haut de la pyramide, on pourra même les couvrir de récompenses pour garantir leur loyauté et leur fidélité. Etc.
Mais on attend aussi du politicien qu’il fasse de la politique grand « P », qu’il se hisse à la hauteur de femme ou homme d’Etat, surtout lorsque les circonstances l’exigent. Malheureusement, les petits jeux de pouvoir, s’ils consistent à « vendre son âme au diable », sont souvent orthogonaux aux nécessités vitales de la Politique (le top devient l’esclave de sa base et ne peut plus bouger le petit doigt).
Les deux (le jeu du pouvoir et la mise en oeuvre de la Politique) sont liés car la personnalité du top ou du politicien à n’importe quel échelon change du blanc au noir la Politique de fond qu’il peut mener. C’est pourquoi des profils comme Franklin D. Roosevelt furent précieux : le politicien et le Politicien dans la même personne, c’est assez rare, qui peuvent dominer pendant de longues années et l’arène politicienne et la Cité au niveau Politique.
Une option plus accessible est de combiner des politiciens (qui obtiennent le poste de pouvoir) et des « Politiciens », c’est-à-dire des conseillers qui ont des idées et de la vertu Politique, qui ne recherchent pas pour eux-mêmes la gloire externe du pouvoir, et qui peuvent « utiliser » le véhicule du « politicien » pour faire bouger la Cité. Le problème est qu’à un moment donné, le vrai chef, c’est le politicien, pas le conseiller (Prince vs Philosophe, Tsipras vs Varoufakis, etc.). Quand le vrai chef joue sa survie, la Politique n’a plus aucune importance, seule compte la politique politicienne, les coups bas, les décapitations de concurrents, etc. Le conseiller comprend vite qu’il n’est qu’un second couteau dans le système du pouvoir.
Il faut donc aimer la lutte interpersonnelle pour être politicien et pouvoir accéder à la Politique… On ne peut pas aller en permanence contre sa nature.
On ne peut donc laisser les politiciens à eux-mêmes sinon ils sont seuls face aux nécessités de la seule survie politique, qui impliquent en général un conservatisme Politique. On a besoin d’une pression politique sur les gouvernants émanant par exemple d’un mouvement, d’intellectuels, de syndicats, de groupes citoyens, de scientifiques, pour provoquer un alignement entre « survie politique » du politicien et « nécessité de la Politique ». Concrètement, le politicien doit sentir que s’il ne fait pas de la Politique, il risque de perdre son poste au niveau politicien.
On ne peut concevoir ainsi Lyndon B. Johnson sans Martin Luther King. Les plus grands personnages d’Etat le furent autant par leur caractère que par l’existence d’un opposant public numéro 1, et d’un mouvement les mettant sous pression, afin qu’ils sentent que faire de la Politique était leur seule option pour se maintenir au pouvoir politicien. C’est alors qu’on connaît des périodes de grande Politique.
Pour le climat, c’est exactement ce dont nous avons besoin : des Greta Thunberg à toutes les échelles géographiques et institutionnelles, qui catalysent une énorme pression citoyenne et populaire sur les gouvernants.
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