Piqûre de rappel. Mon billet du 15 décembre 2008 : Affaire Madoff : la malhonnêteté ordinaire. Je ne vois pas ce que je pourrais y ajouter.
La version officielle de l’affaire Madoff, est que l’ancien patron du NASDAQ avoua à ses fils que son entreprise n’était qu’une gigantesque pyramide, une cavalerie où l’on verse aux clients plus anciens les fonds qu’apportent les plus récents, et que ceux-ci – probablement subjugués par l’indignation – allèrent vendre la mèche à la police.
Il y a de nombreuses raisons de remettre en cause cette version officielle. D’abord le fait que ce soient ses fils qui aient contacté la police. Vous feriez ça à votre père, homme d’affaires à la stature colossale, parce qu’il a été malhonnête ? Ensuite, les fils Madoff sont non seulement financiers eux-mêmes, mais travaillant aussi dans l’affaire du papa (même si ce n’est pas dans le même département) : pas des enfants de chœur non plus donc et peu susceptibles de tomber à la renverse en apprenant qu’une affaire rentable l’est essentiellement parce qu’elle est une pyramide. Le chiffre de 50 milliards de dollars manquant dans la caisse a éventuellement pu les surprendre.
Je lis les journaux et je vois que ce que l’on essaie de nous vendre, c’est de la consternation : « Comment est-ce Dieu possible ? » C’est possible parce que la pyramide est le meilleur business plan que l’on puisse imaginer : la formule par défaut qu’ignorent seulement les gagne-petit qui – par manque de relations – sont obligés de vraiment vendre quelque chose.
Passons alors aux vraies questions. La première : combien de hedge funds, de fonds d’investissement spéculatifs, fonctionnent-ils sur un autre schéma que la cavalerie, que la fuite en avant ? Étendons la question : combien d’établissements financiers (1) ? Deuxième question : combien de clients de Mr. Madoff ignoraient-ils que son fonds était une pyramide ?
Ma réponse, à vue de nez, pour chacune de ces deux questions, est qu’on peut les compter sur les doigts d’une seule main.
Les lecteurs de mon blog – et apparemment de blogs apparentés – succombent souvent à la théorie du complot pour expliquer ce qui se passe en finance et je leur répète inlassablement : « Vous ne comprenez pas : en finance, les complots ne sont pas nécessaires ! »
Bien sûr, ceux des clients grugés de Mr. Bernard Madoff, dont la participation à son fonds était passée par l’intermédiaire d’une banque, vont se tourner vers celle-ci et glapir pour réclamer l’argent qu’ils ont perdu. C’est de bonne guerre : malheur aux vaincus ! Mais ignoraient-ils vraiment ce qui se tramait ? Un fonds qui fonctionnait comme un mouvement d’horlogerie et rapporta pendant vingt ans 1 % par mois, qu’il pleuve ou qu’il vente ? Un fonds dont les journaux rapportaient depuis 1999 qu’il était une pyramide, après qu’un certain Mr. Markopoulos avait alerté sans effet la SEC (Securities & Exchange Commission), le régulateur des marchés financiers ? Non : pour participer au fonds, il fallait être parrainé, et ce que votre parrain devait vous glisser dans le tuyau de l’oreille, c’était ceci : « C’est l’ancien patron du NASDAQ, personne n’ira jamais voir ! Et s’ils devaient jamais aller regarder : il siège dans tous les comités de surveillance ! »
Alors, pourquoi les fils ont-ils vendu la mèche ? Un commentateur sur mon blog avance l’hypothèse suivante : « Quelqu’un a dû lui dire qu’il allait lui faire la peau et les fils ont pensé qu’il valait mieux pour leur père d’être sous les verrous ». C’est bien possible mais – comme vous le savez – la maison ici ne fait pas dans la supputation.
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(1) Franco Modigliani, Prix Nobel d’économie, écrivait en 1992 : « … une banque dans une position délicate ne doit pas automatiquement déposer son bilan tant qu’elle est à même de verser à ses épargnants intérêt et principal, faisant pour cela appel à ses réserves, ou liquidant certains de ses actifs, mais surtout, en utilisant la technique dite ‘de Ponzi’ [= « cavalerie » ou « pyramide »] : en attirant de nouveaux clients. » in Frank J. Fabozzi, Franco Modigliani, Mortgage and Mortgage-backed Securities Markets, Boston (Mass.) : Harvard Business School Press 1992, p. 100.
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