Franz Boas (1858-1942)

Inédit. Le souci de combler un important trou dans mon enseignement « Grands courants en anthropologie » m’a conduit à mettre en ordre mes notes sur l’un des grands noms de l’anthropologie.

Franz Boas est né à Minden en Allemagne. Il se forma à la physique et à la géographie dans des universités allemandes. Il émigra aux États-Unis considérant que pour un Juif tel que lui, le pays lui offrirait de meilleures opportunités de carrière, en sus d’une vie plus paisible. À l’appui de cette opinion, les cicatrices qu’il portait au visage, conséquence de duels avec des condisciples antisémites au cours de ses études universitaires.

Boas est aujourd’hui considéré comme le fondateur de l’anthropologie américaine moderne. Deux de ses élèves, Robert Lowie (1883-1957) et Alfred Kroeber (1876-160) se sont employés à promouvoir cette image de leur maître. 

Le nom de Boas reste attaché aux populations amérindiennes de la zone côtière de la province canadienne de la Colombie britannique, les Kwakiutl en particulier, connus de tous pour leur art remarquable à la ressemblance frappante avec celui de la Chine archaïque, ainsi que pour leur institution du potlatch : le don et la destruction de biens fastueux, destinés à « pourrir la face » d’un rival.

Boas fut essentiellement un ethnographe : on ne trouve de sa plume aucune étude synthétique et, si l’on pense en particulier aux Kwakiutl à propos desquels il publia des milliers de pages décrivant leur langue, leurs mythes et leurs institutions, il ne leur consacra cependant jamais de monographie, jugeant son matériau incomplet. Dans les rares occasions où il s’aventura à formuler une hypothèse, on trouve sa réfutation quelques années plus tard dans ses écrits. Son disciple Lowie parle à son propos de « répugnance à l’exposé systématique » (Lowie [1937] : 1971 : 141). 

Les réexamens des travaux de Boas ne sont pas tendres à son égard. Ainsi, dans un ouvrage publié en 1969, Ronald Rohner note que « l’une des raisons pourquoi Boas eut tant de difficultés à comprendre certains aspects de l’organisation sociale des Kwakiutl […] est qu’il ne consacra que très peu de temps à les étudier in situ » (Rohner 1969 : xxix). Pendant une quarantaine d’années Boas s’appuya en effet essentiellement sur les informations que lui communiquait par courrier, George Hunt, un membre de la nation Kwakiutl. Plus inquiétant encore, Rohner rapporte qu’« alors que je menais un travail de terrain dans un village Kwakiutl de septembre 1962 à août 1963, je tentai d’utiliser certaines des études ethnographiques majeures de Boas comme support à une évaluation du changement culturel intervenu. Il fut très difficile d’utiliser ses données. Certains de mes informateurs les plus âgés dont j’aurais pu raisonnablement imaginer qu’ils en auraient conservé le souvenir ou connaitraient la réponse aux questions que je posais me dirent que Boas se trompait ; ils me dirent parfois que George Hunt l’avait berné » (Rohner 1969 : xi). Si cela devait être le cas, un voile de suspicion tomberait sur ces milliers de pages que le « père de l’anthropologie culturelle américaine » consacra aux Kwakiutl au fil des années.      

Quoi qu’il en soit, la réputation de Boas reste entachée du souvenir d’une supercherie ou d’une naïveté de sa part : avoir voulu convaincre une commission sur l’immigration du Sénat américain que les Juifs s’assimilaient mieux que d’autres populations immigrantes dans le « melting-pot » américain. Dans le rapport qu’il déposa en 1910 il chercha à convaincre que les traits physiques des Hébreux, pour reprendre le terme qu’il utilisait, se fondent rapidement dans ceux de la population globale. Or, les chiffres qu’il produisit dans ce sens ne sont pas significatifs. 

L’historien de l’anthropologie, George Stocking a publié la correspondance de Boas avec un certain Prof. J. W. Jenks, membre de la U. S. Immigration Commission, où la mauvaise foi dont il fait preuve est souvent criante. L’une des manifestations en est la promotion de l’immigration juive aux dépens de celle en provenance d’Italie : « Nous avons donc trouvé que les Hébreux de New York, même lorsque l’environnement est défavorable, manifestent un développement plus favorable qu’en Europe, tandis que les Siciliens, d’un type petit quant à la taille et les proportions, perdent de leur vigueur à New York. […] Nous pouvons maintenant affirmer avec la plus grande certitude que les Siciliens devraient éviter New York, car les influences hygiéniques leur sont défavorables » (lettre du 31 décembre 1909 ; Stocking 1974 : 212) 

Melville Herskovits, un élève de Boas affirmerait cependant dans un livre publié en 1953 que ses conclusions étaient avérées et que « l’ « instabilité » de la forme humaine » constituait « la découverte la plus significative de cette étude »qui avait confirmé que « l’hérédité et l’environnement [ne sont pas] des opposés irréconciliables, mais des forces complémentaires dans la formation de l’organisme » (Herskovits 1953 : 42). 

L’anthropologue Paul Rivet a rapporté la mort de Franz Boas dont il a été le témoin. Claude Lévi-Strauss, qui utilisa de manière extensive comme sources, les mythes recueillis par Boas, était au nombre de la « dizaine d’amis » mentionnés ici par Rivet : « Nous étions réunis, une dizaine d’amis conviés par Franz Boas pour un déjeuner fraternel au Faculty Club de la Columbia University. Boas et moi, nous étions tout à la joie de nous revoir, après cinq ans de séparation. Nous avions évoqué les souvenirs émouvants de notre dernière rencontre à Paris. Il venait de me dire avec sa belle conviction : “Il ne faut pas se lasser de répéter que le racisme est une monstrueuse erreur ou un impudent mensonge” et avec un éclair de malice orgueilleuse dans le regard il venait d’ajouter : “Les nazis eux-mêmes ont dû récemment reconnaître l’exactitude des faits que j’ai constatés sur les émigrants européens d’Amérique”. Sans un cri, sans une plainte, nous le vîmes se renverser en arrière ; quelques râles, un grand cerveau avait cessé de penser » (in Laurière 2008). 

À l’instant même de sa mort, Boas demeurait fier de son rapport de 1910 sur la contribution plus ou moins positive selon lui de différents peuples, dont le sien propre, au « melting-pot » nord-américain. 

Références :

Herskovits, Melville J., Franz Boas. The Science of Man in the Making, New York : Charles Scribner’s Sons 1953 

Laurière, Christine, « L’anthropologie et le politique, les prémisses. Les relations entre Franz Boas et Paul Rivet (1919-1942) », L’Homme, 187-188 2008 : 69-92

Lowie, Robert H., Histoire de l’ethnologie classique des origines à la 2e guerre mondiale, Paris : Payot 1971

Rohner, Ronald P., The Ethnography of Franz Boas. Letters ans Diaries of Franz Boas Written on the NorthWest Coast from 1886 to 1931, Chicago : Chicago University Press 1969

Stocking, George W., The Shaping of American Anthropology 1893-1911. A Franz Boas Reader, New York : Basic Books 1974

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2 réponses à “Franz Boas (1858-1942)

  1. Avatar de Johan Leestemaker
    Johan Leestemaker

    Medellín, le 23 mars 2021

    Cher Paul,

    ¨Men is nooit te oud om te leren¨, on n’est jamais trop vieux pour apprendre est le dicton bien connu en néerlandais.

    Je suis tres heureux que finalement Boas apparait dans votre série de portraits. Ce grand co-fondateur de l’anthropologie des sociétés industrielles.

    Et je suis d’autant plus heureux que vous ne répétez pas l’étrange mensonge pompeux de ou au nom de Claude LS comme si Boas était mort dans ses bras.

    B.a.v. jl

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