J’ai toujours l’impression de prendre l’histoire en cours de route : c’est le cas dans l’Histoire avec un grand « H » (syndrome du tard venu) mais aussi avec les histoires qui se racontent à son propos. Peut-être est-ce un effet du numérique également : je n’ose pas trop prendre la parole au milieu de ce débat très riche.
J’ai l’impression d’avoir des lacunes en histoire de Chine (à en croire le livre de Badiou Petrograd, Shanghai, 2 révolutions du XXè siècle c’est normal). Je viens de découvrir une émission du 11 septembre 2017 de « affaires sensibles » sur France inter. J’essaie de me remettre à jour sur cette histoire car hier alors que je traitais d’un sujet de philosophie (« que peut la pensée contre la violence ? ») m’est revenu en mémoire de manière un peu décalée le souvenir de l’homme qui arrête une colonne de chars en ce mettant devant elle sur la place Tien An Men. Cet évènement a donné l’occasion d’une photo choc, historique, mais cette personne inconnue l’a sans doute payé de sa vie (il n’avait rien d’un Jackass qui veut faire le buzz, ce n’était pas là son intention. Il s’est fait l’instrument d’un moment de l’histoire où son intérêt personnel s’est effacé devant la nécessité historique. Ce petit homme anonyme est un grand homme. Un héros qui témoigne de l’existence d’un héroïsme ordinaire et tragique).
Dans cette émission, la Sinologue Marie Holzman fait un rapprochement que je m’en veux de ne pas avoir fait et que ceux qui sont moins négligents que moi en histoire chinoise connaissent (je veux dire ceux qui ne se sont pas contentés comme moi ni de la version éduc nat de l’histoire ni de sa fausse alternative portée par les bons sentiments humanitaires et cosmopolites) : Erich Honecker aurait renoncé à tirer sur la foule (9 novembre 1989) justement à cause de l’émotion produite par les évènements de la place Tien An Men (2 juin 1989).
Peut-être qu’au lieu de seulement s’enorgueillir de la capacité française à faire valoir l’universel des droits de l’homme en accueillant certains réfugiés politiques (dont l’ayatollah Khomeini qui a commémoré la révolution française 10 ans en avance à sa manière ; mais heureusement, il y a Snowden… ah non c’est vrai, il est en Russie…), on pourrait aussi voir ce que l’Europe doit en retour à l’expérience qui a pu avoir lieu en Chine et qui aurait selon cette hypothèse soutenu la réunification de l’Europe.
J’ai l’impression qu’on reste en général trop attaché à des représentations fausses sur l’histoire en particulier et sur l’homme en général ; que l’on pense trop qu’en continuant à répéter comme un mantra qu’on peut changer les choses en déclarant à la volée ce qui doit être, on fait sa part de colibri, qu’on rend possible le possible (du genre : « je vous ai averti que le monde allait mal, mais vous n’avez rien fait »). Soyons sérieux : l’être humain est un être relationnel. Croire qu’on pourrait se sortir de la vase en se tirant par les cheveux, c’est-à-dire sans prendre en compte l’ingénierie sociale qui permet à nos sociétés d’accueillir autant de personnes, c’est comme imaginer que les commentaires que l’on fait en regardant la télé pendant le repas du soir vont changer le monde.
Est-ce que la Chine enferme ses opposants ? Certainement. Est-ce que nous sommes l’alternative démocratique à cette Chine dont on ne retient que cet aspect ? Certainement pas. Nous faisons comme si on pouvait mettre sur le même plan le gouvernement de cette zone gigantesque de l’Asie hyperpeuplée et celle de notre confetti hexagonal.
D’où nous vient cette représentation de cette population comme une armée de fourmis rouges qui obéissent d’un seul homme ? d’une idéologie certainement. Je me demande à la suite de Pierre-Yves Dambrine dans cette discussion s’il ne serait pas pertinent d’interroger le rapport au temps de cette culture et de la comparer à la nôtre. Qu’est-ce qu’appartenir à un empire qui dure depuis plus de 2 500 ans ? est-ce qu’on peut imaginer ce que cela signifie par extrapolation d’avec notre expérience ? Ma conclusion provisoire : non, mieux vaut partir de l’historique de nos relations qui rendent possibles une compréhension mutuelle.
Dire que certaines expériences qui ont eu lieu avant notre naissance nous apparaissent comme étrangères me semble juste. Juste aussi l’idée que cela n’implique pas nécessairement qu’on ne puisse pas l’adopter comme « notre » expérience, en élargissement de notre point de vue. Mais les pathologies de l’enfermement dans l’hyper présence médiatique et la réécriture quotidienne du passé, me semblent en propre un problème de note culture amnésique qui transforme l’histoire en contes nationaux, ou dissout l’intérêt pour le passé en curiosité pour l’anecdotique, et les récits humanitaires édifiants.
Je me dis qu’au lieu de partir du principe que nous avons un savoir que les pauvres Chinois arriérés désireraient avoir si seulement ils pouvaient le soupçonner, on gagnerait à faire le postulat inverse : notre histoire n’est pas suffisante pour comprendre les enjeux de ce qui se joue là-bas aujourd’hui, et qu’on gagnerait à vraiment écouter ceux qui peuvent en témoigner.
On est à une époque où le présent est le lieu d’un télescopage entre des temporalités de plus en plus vastes (historique, paléoanthropologique, biologique, géologique voire physique). Cette ouverture d’esprit nécessaire à penser de telles échelles temporelles à partir de notre petite expérience individuelle est-elle seulement possible ? Il me semble que notre dénégation quant à cette difficulté face à ces questions d’échelle ne fait pas de nous les bons candidats pour relever le gant.
Voilà les quelques réflexions que m’inspire cette émission sur France Inter, dans « affaires sensibles » du 11 septembre 2017.
PS : je pense que je vais écouter l’émission qui suit, du 12 septembre. Elle parle de l’épidémie du Sida. Le serpent de mer de la pandémie ressurgissant en rendant actuel ce qu’on croyait en partie derrière nous, je vais aussi l’écouter pour essayer de deviner ce qui revient de ce traumatisme dans notre période actuelle.
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