Résumé de ma communication intitulée « L’esprit d’Asilomar 1975 résistera-t-il à la conquête des étoiles ? »
En 1975, lors d’un colloque à Asilomar en Californie, une résolution fut adoptée visant à l’interdiction de toute altération de la lignée germinale humaine.
L’esprit d’Asilomar a tenu bon jusqu’ici. Il a ainsi permis que la révélation en 2018 d’une manipulation génétique affectant la lignée germinale de plusieurs foetus soulève un tollé ; un médecin chinois, le Dr. He Jiankui, l’avait effectuée pour empêcher qu’un père séropositif ne transmette le virus du VIH à sa progéniture.
L’exploration d’autres planètes en cours aujourd’hui peut être confiée entièrement à des machines de plus en plus intelligentes, mais si celle-ci a effectivement lieu, elle n’écarte pas pour autant les tentatives de colonisation humaine. Ainsi dans le cas de Mars, la mise au point d’une exploration robotique de plus en plus poussée ne semble pas décourager les projets parallèles de colonisation.
Tout se passe comme si le genre humain, disposé à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, travaillait activement à mettre au point le plan B d’une colonisation de l’espace et pourquoi pas, des étoiles, au cas où notre planète d’origine cesserait de tolérer plus longtemps nos excès.
Ne serait-ce qu’une colonisation de Mars exige cependant que soient déjà résolues certaines questions cruciales. Ainsi la protection du génome contre les mutations dues aux astroparticules (« rayons cosmiques »), problème qui se pose déjà aujourd’hui pour le personnel navigant des vols long-courrier. Ainsi aussi de la lutte contre les effets irréversibles en termes de pertes osseuses des longs séjours en apesanteur.
Un scepticisme de bon aloi accueille dans le grand public les projets d’inverser le processus de vieillissement et d’assurer aux individus une semi-immortalité ou en tout cas une vie dix fois plus longue qu’aujourd’hui. S’il est vrai qu’un succès dans ce domaine pourrait provoquer rapidement un engorgement démographique, ce ne serait pas le cas dans le cadre d’une conquête des étoiles où des progrès de ce type permettraient que soient envoyées dans l’espace les individus surnuméraires, adaptés à de telles expéditions qui durent plusieurs centaines, voire des milliers d’années, en ayant exclu toute hypothèse d’un éventuel retour.
Les manipulations de divers types : les prothèses invasives, l’enhaussement individuel (l’anglais « enhancement » vient de cet ancien mot français aujourd’hui perdu mais ressuscitable), appartiennent toujours à cette zone de confort marginale provoquant le dégoût de certains mais aussi bien l’enthousiasme de certains autres. Pensons au tatouage, passé en une seule génération de la culture des seuls bagnards et autres repris de justice à celle des mères de famille. Rien ne nous a jamais retenu d’appliquer à nos animaux domestiques des techniques innovantes que nous réprouvons par ailleurs quand il s’agit de nous. Or, sur le plan biologique, la barrière est mince qui sépare ces animaux de nous-mêmes. Dans les premières années du XIXe siècle, Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840), inventeur du mot « ethnologie », notait les parallèles existant entre le processus de domestication et celui de civilisation quand il s’agit de l’humain. Rien, si ce n’est l’éthique, ne nous retient de nous appliquer les enhaussements que nous opérons sur nos animaux domestiques (ou de nous en faire bénéficier ?). Or nous avons vu, sous nos propres yeux, s’évanouir la réprobation associée au statut social des tatoués d’autrefois.
Nous nous intéressons en laboratoire aux animaux comme le rat-taupe glabre qui ne vieillit pas (« à la sénescence négligeable ») et ne développe pas de tumeurs grâce à un mécanisme de fermeture de la cellule, et serait donc capable de résister aux effets qui seraient sinon dévastateurs des astroparticules, ou bien survivent à des séjours prolongés dans le vide spatial et à des températures extrêmes, comme le tardigrade capable de synthétiser son propre antigel (il survit dans le créneau −272° à 150°C). Nous nous intéresserons bientôt à comment moins dépendre de la présence d’oxygène dans l’air que nous respirons (toujours le rat-taupe glabre capable de ne pas respirer pendant 18 minutes grâce à son métabolisme spécifique du fructose), ou à celle d’eau potable ou d’aliments jugés assimilables.
Or aucun des efforts visant à réduire ces dépendances ne pourra se faire sans modifications de la lignée germinale humaine. On imagine mal que le moment venu les chercheurs et autorités en charge ne se tournent pas vers le grand public pour dire « Que voulez-vous : impossible de faire autrement ! », à moins que, et l’hypothèse semble hélas plus que probable, la transition n’ait déjà eu lieu, passée comme lettre à la poste, les statues honorant l’héroïque Dr. He Jiankui, martyr d’un antique obscurantisme, ornant désormais le coin des rues, l’esprit d’Asilomar 1975 ayant été rangé depuis longtemps déjà au magasin des accessoires.
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