Arnold Schwarzenegger fut d’abord un banal migrant autrichien. A force d’efforts il deviendra d’abord Mister Universe puis acteur hollywoodien. Mais comme Reagan en son temps, ce ne fut pas tout. Il surprendra par son désir de devenir politicien. Lorsque l’on connait l’ingratitude de la fonction, il fut désigné sans surprise facilement par ses pairs et ses fans, gouverneur de la Californie deux mandats durant. Considéré comme un républicain modéré, affirmant être conservateur sur les questions fiscales mais progressiste concernant les question sociales, Schwarzenegger est toujours actif sur les réseau sociaux, lui qui, s’il était né sur le sol américain, aurait certainement convolé vers une présidence des Etats-Unis, parfaisant cette image de « l’American Dream”. Arnold donc, a publié une video récemment sur Twitter qui a accumulé déjà plus de 38M de vues. Evoquant l’histoire de la Nuit de cristal (1938), il rapproche ce tragique évènement de l’insurrection menée le 6 janvier contre les représentants siégeants alors au Capitole, en rappelant qu’une identique abondante propagande mensongère fut le carburant de ces 2 expressions historiques différentes de violences populaires. Au delà de son indignation face à l’attitude des certains élus de son parti Républicain, Schwarzenegger reprend dans sa video une métaphore qui a le mérite de parler d’elle même. Il compare la démocratie à une épée que le ferronnier plongerait dans l’âtre brulante, martèlerait coup à coup puis tremperait dans l’eau glacée pour la rendre toujours plus robuste, tranchante, indestructible. Cet épisode marquant de l’histoire du début du XXI ème siècle des Etats-Unis auquel nous venons d’assister donnera-t-il raison à ce fervent défenseur de l’idéal américain ? En somme, la démocratie va-elle ressortir plus forte d’un tel épisode ? Je pense personnellement que oui, sur le moyen terme. Mais je pense aussi que cette violence est symptomatique de la transition difficile a opérer entre une phase néo-libérale finissante du capitalisme où la règle d’or était le recherche à tout prix du profit. Et une phase montante dite “responsabilisante” ou « consciente » encouragée par un duo inédit Biden / Harris.
Le bateau tangue et toute la planète entière s’accroche aux balustrades. Il va sans dire que le grand frère américain de la fratrie des nations Occidentales semble fiévreux depuis les attaques du 11 septembre 2001 et la crise de 2007-2008. Sa petite soeur rebelle la France et bien d’autres nations amies ou ennemies observent. Inévitablement ébranlés par ce qui nous indique une transformation de taille en cours dans notre famille d’appartenance, il me semble cependant que ces évènements sonnent l’oraison funèbre du fameux néo libéralisme américain qui devrait entamer sa phase de mutation.
Bref retour en arrière. Depuis 1945, l’avance industrielle outrancière et la prospérité des USA sur les autres Nations en pleine reconstruction post WW2 ont permis 75 ans d’extravagantes dépenses militaires, seule industrie importante aujourd’hui 100% localisée sur leur territoire national. Ce qui ne les empêche pas de privatiser des missions pourtant régaliennes, comme de confier à des entreprises privées (Blackwater now Academi) le soin de recruter des mercenaires pour commettre partie de leurs actes de guerre. La République Vénitienne faisait de même en son temps, elle qui en avait aussi les moyens, plusieurs siècles avant. Et les tableaux exposés au Palais des Doges sont les mémoires sanglantes de ces batailles navales bestiales. Dans cette marche en avant de l’idéologie capitaliste américaine confortée durant l’après guerre les années 80 marquèrent le début d’un nouveau courant de pensée, rendu possible grâce au dollar US devenu roi des transactions commerciales et financières (gold standard, 1973). 1980 où le début d’un cycle de 40 ans de croissance financière menée à grand train par Wall Street, sur fond de dérégulation des marchés. Un phénomène d’une importance capitale lorsque l’on regarde 40 ans plus tard l’état des institutions publiques aux US. Si les marchés eux se portent comme des charmes, protégés par l’archange Fed (Federal Reserve System), le fonctionnement démocratique semble lui bien grippé.
L’avènement de Trump président élevé totalement hors sol, sans expérience des arcanes institutionnelles est un premier symptôme de taille. Trump ou l’exemple parfait du néo libéral accompli, au culot sans limite, sans foi ni loi. L’anti héros tel Clint Eastwood en Dirty Harry, Henry Fonda dans « Il était une fois dans l’Ouest ». Une personnalité comme seule l’Amérique peut les aimer, excessive, vulgaire, inimaginable pour représenter une nation. Mais si. Donald Trump ou l’homme le plus ambitieux de la caste des nouveaux riches, vivant de la rente démultipliée de leurs capitaux personnels. Comment ? Grâce à la théorie néo libérale pardi ! Encouragement des profits à court terme obtenus par la réduction des coûts de la main d’œuvre, corvéable à merci et non syndiquée. Délocalisation des industries vers le Mexique et l’Amérique centrale d’abord puis la Chine et l’Asie ensuite. Compétition déloyale, augmentation significative des transports longues distances et de son impact environnemental, casse de la working class organisée en Unions, chômage… Cette histoire c’est celle de ces 40 dernières années. La société de consommation se mondialise, les échanges commerciaux et de personnes s’accélèrent dramatiquement au profit d’un certain cosmopolitisme et d’une production de richesse supplémentaire élevée oui mais…
Pourtant Reagan, merci Milton Friedman, nous l’avait promis : non le « trickle-down effect » n’aura pas lieu. Les Happy Few seront donc plus riches et d’autres en conséquence deviendront exagérément pauvres. Ce manque de redistribution des bénéfices d’un effort pourtant collectif se concrétisera par l’arrivée des fonds d’investissement, nouveaux acteurs majeurs sur les marchés financiers. Ces mathématiciens de la spéculation cherchent des rendements de plus en plus rapides et développent des stratégies sophistiquées aboutissant notamment au trading à haute fréquence. La mode est celle des avocats d’affaires qui savent faire adroitement échapper les corporations à la taxation grâce aux montages financiers usant de l’accueil discret et cinq étoiles des paradis fiscaux, qui bizarrement ne sont que rarement brocardés par les chefs d’état.
Les salaires de la « working class” stagnent, les infrastructures publiques locales et nationales se dégradent. Les pouvoirs de la classe des nantis sont accrus au point de rendre certain d’entre eux dangereusement décadents, rien ne résistant au pouvoir de l’argent. La vieille Europe a connu ce phénomène à la cour des rois souvenez-vous ! Oisifs en leur temps, certains nobles s’enivrèrent tellement au point de voir leur bon roi décapité… Addiction à l’ivresse des cinq sens, recherche d’un confort absolu, désir de luxe individualisé, tentation du repli sur soi. Le contrat de société néo libéral est radical : il autorise l’enrichissement extrêmement rapide d’un petit groupe d’individus et le développement de technologies nouvelles mais coupe les amarres avec les notions d’éthique, souvent empruntées au spirituel. Les entreprise sont prédatrices entre elles et n’assument guère leur part de responsabilité que sous la pression des consommateurs et du législateur, rejouant David contre Goliath. Les multinationales pratiquent l’exil fiscal, l’obsolescence programmée, la non participation au paiement des fameuses “externalités” économiques et utilise le lobbying politique pour maximiser leurs profits. Le contrat de société néo libéral implique l’utilisation de la propagande publicitaire pour fidéliser ses consommateurs. Et à se structurer verticalement grâce à un management des ressources humaines mesuré en terme de soumission, remplaçabilité, rentabilité. C’est dire combien les valeurs de solidarité ont été oubliées.
Bien entendu, il y a chez les Américains cet encouragement de la créativité sous toutes ses formes. Une vision séduisante à bien des égards et qui a prouvé de son efficacité dans bon nombre d’industries. Mais la polarisation idéologique actuelle de la population nous donne un aperçu des injustices créées par cet écart grandissant entre les détenteurs du capital et les forces de travail. Les pro Trump aiment à croire que la fermeture des frontières les préserverait d’une compétition avec les nouveaux migrants et rendrait ses habitants plus riches. Certainement. Cependant, ils se trompent sur l’ennemi. La trahison de la working class a été faite dans les années 80 lorsque la classe managériale encouragée par les classes dirigeantes et possédantes (spéculateurs, rentiers) souhaitaient voir les marges de profitabilité augmenter. Il va sans dire que la gestion des ressources humaines est moins contraignante lorsque votre usine recrute des paysans parfois illettrés dans un pays sous développé pour occuper des postes d’ouvrier. Au lieu de rester à Detroit Michigan pour produire ses voitures, GM s’installe au Mexique. Le néo libéralisme est un rapport de force dans lequel les actionnaires gardent toujours la main. Et c’est ce qui rend la discussion si compliquée avec les Trumpistes qui sont persuadés que les migrants représentent la fin d’un certain vivre ensemble américain sans admettre que Trump lui même recrute à tour de bras ces mêmes migrants pour les faire travailler dans les hôtels, golf clubs et autres restaurants où la main d’oeuvre à bas coût est très recherchée. C’est tout le problème du néo libéralisme. L’injonction est paradoxale : “Je veux des employés dociles et peu chers mais je ne veux pas de leur enfants dans l’université de mon fils. Je veux bien qu’ils me servent à manger dans mon restaurant favori mais pas qu’ils mangent et parlent différemment à la table d’à côté. Je veux bien faire des affaires avec eux mais certainement pas risquer demain de les voir racheter mon business”. Le drame le plus cocasse est que nombreux sont les migrants qui cherchent à fuir leur pays pour rejoindre les USA car leur qualité de vie s’est drastiquement dégradée suite à l’ingérence américaine dans les propres affaires de leur nation (vente d’armes, opération de déstabilisation, corruption).
Ce qui se déroule sous nos yeux avec l’éviction quasi forcée de Donald Trump de son fauteuil de président signe selon moi le moment funeste du cycle haut de la croissance néo libérale. Trump, pur produit de cette époque est l’homme d’affaire qui ne résiste à aucun caprice, aucune lubie, qui repousse les limites de ce qui peut être obtenu grâce à la baguette magique du billet vert. Mais la fin de la récréation pourrait bien sonner. Les alternatives numériques au dollar US se multiplient et les Chinois comme les Russes, les Iraniens, les Vénézuéliens et autres nations particulièrement concernées par la politique de sanctions menée selon les intérêts unilatéraux des Américains, entendent bien retrouver leur liberté de commercer. La « fintech” avance plus vite que les institutions qui par nature sont plus lourdes et moins agiles que les opérateurs privés en pleine révolution numériques des transferts de devises. Trump comme Biden sont les derniers dinosaures d’un monde en mutation accélérée. Macron pourtant plus jeune assiste lui aussi démuni à cette perte du modèle d’autorité patriarcale traditionnelle. La nouvelle génération fonctionne en réseau, en équipe, connectée. La différence de taille entre Donald Trump et une autre icône américaine aka Schwarzenegger, c’est que le premier a hérité d’un empire immobilier colossal, constitué de toute pièce grâce à la détermination de sa grand-mère paternelle, veuve allemande déracinée, puis de son père Fred Trump. Tandis que le second lui a construit de zéro sa propre réussite et semble se distinguer pour avoir conservé un certain sens de la gratitude pour ce qu’il a reçu.
Mais comment l’impensable élection de Trump en 2016 face à Hillary Clinton est survenue ? Finalement assez logiquement : en appliquant les techniques propres au contrat néo libéral. Trump s’est appliqué à construire sa notoriété auprès de la “working class” en étalant généreusement sa vie privée et son argent dans les pages people et les émissions de télé réalité pendant les 15 ans précédant son élection. Pour le reste, il n’a eu qu’à surfer la vague de lassitude vis-à-vis des Démocrates dont les programmes révolutionnaires sont systématiquement perçus comme des postures électorales peu suivies de concrétisation (Clinton, Obama). La working class elle à l’arrivée se voit toujours prise en tenaille entre un immigrant et un manager, à savoir tiraillée par la peur de perdre son job. Trump avec son discours pourtant démagogique mais bien éloigné de celui très mesuré des figures politiques classiques, réalisa en 2016 le miracle de déposséder soudainement l’establishment démocrate et républicain de la fonction reine du pouvoir : la Maison Blanche. S’en suivent quatre ans d’une nation submergée de déclarations équivoques et de provocations diverses. Broutilles au regard des 40 ans de néo libéralisme.
Donald Trump est la créature née de la théorie économique de Milton Friedman qui méprisait le Keynésianisme et qui fut le démiurge du retrait de l’Etat des affaires. Trump n’en n’est pas l’inventeur. Héritier d’une fortune, devenu adulte durant cette phase néo libérale débridée, il incarne admirablement le goût du luxe de cette période : ce que l’on appellera chez nous le « bling bling ». Cependant, cette fin de cycle révèle au grand jour un autre type de leaders. Plus réfléchis et partageant avec Schwarzenegger l’obstination unique des self made men, il s’agit des gourous multi-milliardaires (Bezos, Musk, Gates, Zuckerberg, Branson…). Promoteurs des nouvelles technologies, ils se sont enrichis sans limite durant cette même séquence historique néo libérale. En retirant les “frictions” dans la vie des consommateurs que nous sommes, ils rendent les choses plus simples et confortables grâce à des outils numériques. Ces quadra, quinqua ou sexagénaires qui ont grandi dans ce contexte favorable à la liberté d’entreprendre mais extrêmement compétitif (prédation) et sont devenus les visionnaires d’un monde en pleine mutation. Architectes aux commandes de la machine de production numérique, de l’imaginaire, de l’information et des relations virtuelles, ils sont désormais à la tête des programmes spatiaux les plus complexes et orientent les grandes évolutions concernant l’organisation du travail, l’apprentissage, la vie privée, l’éthique, l’impact des énergies et des politiques environnementales de demain… Cette crise marque donc aussi l’avènement de ces nouveaux gourous de la Silicon Valley dont le moindre tweet est suivi d’une réaction immédiate de millions de followers. A l’avant garde des industries les plus innovantes, ils décident de manière univoque où, comment, combien, pourquoi investir dans telle ou telle direction. Une influence de ces gourous qui souligne en creux la perte d’autorité des leaders actuels de l’establishment américains, dont la fonction a été finalement reléguée à celle d’administrateur plus que d’acteur de premier plan dans les processus de décision. Là encore, le résultat de 40 ans à museler l’intervention du politique pour laisser la bride sur le cou aux entrepreneurs chers à Milton Friedman. Cependant, la génération de ces septuagénaires voir octogénaires associée à ce cycle (Pelosi, Biden, Trump, Sanders, McConnell…) étant par nature vouée à disparaitre prochainement de l’échiquier politique, la nouvelle génération de leaders composée de voix plus féminines (Harris, AOC, Cori Bush, Ilhan Omar…) se fait déjà entendre. Elle aura fort à faire pour inspirer cette transition de leurs concitoyens et du milieu des affaires vers de nouvelles règles du jeu et un retour des politiques publiques, le sang de l’idéal commun de toute nation démocratique (Egalité, Fraternité). Ainsi comme Angela Merkel en Allemagne, il semblerait bien que Kamala Harris soit en position idéale pour incarner une énergie féminine du pouvoir durant les années à venir et dans le cas de Kamala, une vision multiculturelle de la société. Sortie à inventer de ce cycle durant lequel la notion de profitabilité fut le sceau implacable du néo libéralisme.
Qui a dit qu’être adulte c’était avant tout savoir prendre ses responsabilités ? L’expérience de la pandémie va-t-elle nous faire grandir et nous permettre d’affronter les challenges planétaires environnementaux de demain ? L’Occident va-t-il s’ouvrir à collaborer davantage avec l’Orient (Inde, Chine) en matière de gestion d’infiniment plus large groupes d’individus ? Quant à la démocratie, sera-t-elle assez solide pour résister, comme le glaive trempé dans le plus solide des aciers ? Tout dépend de nous parait-il ! Bonne chance à tous donc.
My message to my fellow Americans and friends around the world following this week’s attack on the Capitol. pic.twitter.com/blOy35LWJ5
— Arnold (@Schwarzenegger) January 10, 2021
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