M’autorisez vous à partager avec quelques amis Chausiais le texte sur votre “Séjour sur l’île de Houat”? J’y retrouve beaucoup de points communs avec ce que j’ai vécu (et vit encore) aux îles Chausey. Une différence cependant : l’archipel des îles Chausey est pour une grande partie propriété privée !
Une petite fraction de la grande île avait été expropriée par l’État en 1850, pour y construire un phare et un fort (qui n’a jamais servi, si ce n’est de prison pour les indésirables allemands en 14/18). Le reste de l’île (et de l’archipel) appartenait à la fin du 19ème à deux vieilles filles (les demoiselles Hédouin) qui voyant leur fin prochaine, ont souhaité la transmettre à une personne qui saurait conserver à l’île son caractère !
La personne qu’elles avaient “choisi” était M. Jules Durand, un propriétaire terrien de Fougerolles du Plessis, qui fréquentait l’île depuis un certain temps avec sa famille. Jules avais découvert l’île très jeune lors d’une escapade depuis Granville, sans l’autorisation parentale qu’avait demandée le pêcheur qui l’emmena pour la journée. La punition qui en avait résulté n’avait fait qu’augmenter l’attrait de Chausey pour Jules. Ne souhaitant pas mener l’opération seul, il s’entoura de deux autres personnes qui devinrent les fondateurs de la SCI des Iles Chausey en 1920.
Après quelques péripéties au démarrage, la SCI réunissait en 1923 les familles de Jules Durand, Georges Crosnier et Louis Renault (oui, l’industriel bien connu. En 1923/24, à la suggestion de Marin-Marie *, le fils de Jules, il releva les ruines d’un château féodal présent sur la grande île).
Après la seconde guerre mondiale, une vingtaine de maison ont été construites sur la partie publique, en majorité par des Granvillais, mais aussi par quelques Parisiens, dans des fonds de carrière loués à l’état (baux emphytéotiques).
Il y a au total une cinquantaine de maisons sur l’île réparties moitié-moitié entre la partie État et la partie SCI, et plus rien ne peut se construire depuis un bon moment maintenant. Dans sa grande dimension, l’île fait à peu près 1,5 km.
La grande majorité des maisons sur la partie privée de l’île appartiennent à la SCI (sauf aujourd’hui celles occupées par les “porteurs de parts”) qui a su maintenir dans l’île les familles de pêcheurs, même si ceux-ci ne sont plus pour la plupart en activité officielle. Sur la partie de l’État, les casemates du fort accueillent encore une dizaine de familles de pêcheurs.
La SCI survit aujourd’hui, avec aux commandes la quatrième génération des représentants de ces familles (les arrière-petits-enfants de Jules et Georges). En 1971, Madame Renault a cédé sa participation dans la SCI à la famille de Pierre Henriet.
L’équilibre entre ces trois familles – 1/3 chacune – a été maintenu. Et je crois qu’on peut dire que la gestion prudente des descendants des fondateurs a permit de conserver tant bien que mal l’île dans un état convenable. Bien sûr, l’été, la pression des touristes qui débarquent pour la journée est de plus en plus importante, et il faudra bien un jour trouver une solution pour la maitriser. La ferme (et les vaches en liberté dans l’archipel) a cessé son activité en 1991, et est remplacée aujourd’hui par un gîte qui amène sur l’île quelques têtes nouvelles, mais globalement, la population des habitués est très stable.
Jusqu’en 1970, il y avait une école à Chausey (publique, classe unique), tenue jusqu’en 1965 par l’abbé Delaby, curé de Chausey ! C’est la pêche au bulot qui a signé l’arrêt de cette école. Jusque-là, la pêche principale de l’île était (et est encore) celle des homards (et bouquet en saison). Les Chausiais pouvaient garder leurs captures dans des viviers dans le sud de l’île, et n’allaient les vendre à Granville qu’une fois par semaine. Leurs familles pouvaient rester sur l’île. Avec le bulot, il fallait livrer la pêche chaque jour à la criée de Granville, et du coup, les pêcheurs (ou du moins ceux qui s’étaient lancés dans le bulot) ont quitté l’île avec leurs familles, et les enfants n’étant plus assez nombreux, l’école a fermé. Aujourd’hui, avec la disparition des gardiens du phare (automatisé) et des fermiers, il ne reste plus pendant l’hiver qu’une poignée d’obstinés/amoureux !
Ma maman est la belle soeur de Marin-Marie, et mes parents sont venus camper sur l’île en 1954 et les années suivantes (un grand marabout surplus de l’armée américaine !), et ont eu la chance qu’on leur propose la location d’une maison en 1967. Nous continuons cette location en gérant tant bien que mal la pression démographique. Ma maman, a eu 100 ans le 17 septembre dernier, 8 enfants, et compte aujourd’hui une centaine de descendants (conjoints compris) qui veulent tous revenir dans ce paradis ! J’y ai passé de longues vacances dans les années 60, et y ai souvent fait le matelot pour Victor Lepaysant dont un mois à démarrer la saison des casiers à crevettes, dont je garde des souvenirs comparables (à une moindre échelle) aux vôtres.
Merci encore pour vos écrits, et tous mes voeux pour la nouvelle année.
Henri Gouraud
* Marin-Marie, peintre et navigateur. Il traverse l’Atlantique en solitaire deux fois dans les années 30, à la voile d’Est en Ouest en inventant le principe du gouvernail automatique, et une deuxième fois d’Ouest en Est, au moteur, pour convaincre ses amis pêcheurs de Chausey que ce mode de propulsion avait atteint un niveau de fiabilité suffisant.
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