Noël n’est évidemment pas une fête chinoise, même si l’on n’avait pas manqué de remarquer en Chine, depuis l’invention des premiers gnomons (deuxième millénaire av. notre ère) que les jours les plus courts de l’année se situaient à cette période précise et qu’il y avait là un moment-clef dans le mouvement permanent d’alternance du Yin et du Yang, donc de la marche sans début ni fin mais cadencée du Tao. Cette charnière dont les Romains faisaient la fête de « Sol invictus », appelant par le tapage de leurs Saturnales le soleil à reprendre sa course à la reconquête de la lumière du jour, les Chinois n’en ont pas ignoré l’existence, mais en ont en quelque sorte différé et « reporté » la célébration. Elaborant leur calendrier essentiellement à partir des cycles de la lune, ils ont « snobé » le solstice solaire pour une autre date, lunaire celle-là. C’est leur « Nouvel An », aussi (et plus traditionnellement) appelé « Fête du Printemps« . Sa date, inévitablement mobile, correspond au début de la deuxième nouvelle lune à compter du solstice d’hiver : elle se déplace donc sur la durée d’une lunaison entre mi-janvier et mi-février. Beaucoup plus en phase avec un calendrier paysan que notre Noël, ce marqueur fondateur de l’année se célèbre donc en accompagnant le vrai retour visible de la lumière du jour. C’est le « réveil du Yang« , le moment où l’on doit encourager par les rites adéquats et la liesse générale, sa puissante force toute jeune, vigoureuse et encore cachée à faire germer la graine et à enclencher le processus souterrain de la pousse. Le « Nouvel An » en 2021 sera un des plus tardifs qui puissent être puisque le Buffle n’entrera en scène que le 12 février.
Mais tout le monde sait bien que notre planète rétrécit et que les distances rapetissent ! Surtout quand c’est le commerce mondialisé qui sert d’arpenteur ! Que croyez-vous à propos du Père Noël ? On fait courir le bruit qu’il est citoyen de la Laponie, mais, à part des rennes pour son traîneau, imaginez-vous un seul instant que c’est là qu’il trouve de quoi emplir sa hotte ? Ne soyez pas naïf, comme tout le monde le Père Noël se fait livrer par Amazon. Et où se fournit Amazon pour les Noëls du monde entier ? En Chine. Du côté de Yiwu/Wenzhou ( au Zhejiang) où , qu’il pleuve ou qu’il vente, des centaines de milliers de petites mains s’activent sans chômer tout au long de l’année à la « Grande Magie de Noël » pour satisfaire tous les goûts et tous les continents ! Sapins synthétiques, boules, guirlandes, feux d’artifice, jouets, santons de la crèche, lutins mutins, angelots lumineux, serpentins, langues de belle-mère et Pères Noël tous formats, la Chine y est venue tardivement (une petite trentaine d’années) mais elle a raflé la totalité du business par une politique de prix (et de plus en plus aussi de qualité) imbattables ! Si 99% de la production parcourt les océans en containers, la petite partie qui reste en Chine alimente la demande d’une classe moyenne-aisée toujours croissante : il est branché d’imiter l’Occident, une fête est toujours bonne à prendre et surtout on ne crache jamais sur une occasion de faire chauffer la carte bleue pour dévaliser la caverne d’Ali Baba (celle de M. Jack Ma, nichée au Zhejiang, elle aussi).
Noël est certes très anecdotique en Chine au regard de l’énormité de la population, mais, même si son influence reste limitée aux grandes mégapoles et aux riches zones côtières, il a bien fallu trouver un mot pour le nommer et, dans ce genre de transfert (de plus en plus fréquent depuis l’ouverture du pays au grand large de la mondialisation), les linguistes cherchent ce qu’ils ont à disposition dans leurs tiroirs. En gros, dans ces cas de pose d’implants exogènes dans la langue chinoise, l’alternative est toujours la même : soit une transcription purement phonétique (son défaut est qu’elle n’offre pas souvent un sens cohérent), soit l’adaptation par développement périphrastique du sens contenu dans le mot étranger. C’est cette deuxième solution qui a été choisie pour « Noël », à savoir tabler sur l’idée de la « Nativité ».
C’est ce binôme « SHENG TAN » qui a donc reçu pour mission d’être « NOEL » pour les Chinois(es) de tous âges invité(e)s à se mettre au diapason du reste du monde en fête les 24 et 25 décembre. C’est le deuxième terme « TAN » qui porte l’idée de naissance et de jour anniversaire. C’est, dans cette acception, un mot fort peu usité. De graphie complexe, il ne sert guère dans la vie de tous les jours et ce d’autant moins que son autre sens est péjoratif : » se vanter, être hâbleur et présomptueux ». Dans le sens courant de « naissance », un autre mot lui dame très largement le pion : c’est « SHENG » (un autre « sheng » à graphie et ton différents). On peut imaginer qu’un binôme « SHENG SHENG » n’eût pas été très heureux phonétiquement et, s’apparentant à un jeu de mots, eût manqué de sérieux.
Plus intéressant est le premier terme « SHENG« . Sa graphie a été simplifiée au XXe s. et celle que nous avons sous les yeux se borne à deux composantes tout à fait basiques : au dessus une figuration de « la main » et en dessous celle de « la terre ». Est qualifié de « SHENG » celui qui agit (bénéfiquement) sur la terre (ou sur Terre). Or, sous ce mot générique, la Chine range des ressortissants de toutes les Ecoles/religions dont elle s’est trouvée avoir connaissance. Le sens premier et originel est celui qui sert à désigner le « SAGE« . Celui qui, « comprenant la nature des choses, vit en harmonie avec elle et répand sa vertu merveilleuse et efficace au sein de l’univers » (définition textuelle du Dict. Ricci). Si cette définition colle parfaitement au « sage » taoïste qui a épousé si parfaitement le rythme du Tao que rien ne peut troubler sa quiétude et que sa « vertu » est en mesure de faire rayonner la Grande Harmonie, elle s’est tout naturellement répandue à d’autres figures du « Grand Homme » qu’on peut aussi appeler « SAINT« . Cet état de Vertu surnaturelle efficiente fut, dit-on, l’apanage des premiers souverains fondateurs mythiques, d’où son usage flatteur, à partir des Tang, pour désigner les empereurs, non mythiques ceux-là, qui se sont succédé sur le trône de Chine (et qui n’étaient sûrement pas tous des « saints » !).
Si nous parcourons l’article du Dictionnaire, il saute aux yeux que « SHENG » est, en matière de vocabulaire, tout ce qu’on peut rêver de plus œcuménique. Mot « multicartes », il a en effet, successivement mais surtout concomitamment, servi à désigner Confucius (son Ecole s’appelle « SHENG JIAO »), l’Eveillé du Bouddhisme (« SHENG JIAO » est un des noms du Bouddhisme chinois) et le Christ (« SHENG JIAO » est une désignation courante du christianisme). N’excluant personne pouvant faire état d’un pedigree de sagesse, peu de mots sont aussi révélateurs du syncrétisme spontané des Chinois. Comment « Dieu y reconnaît-il les siens » ? Eh bien, précisément la question ne se pose pas dans la mesure où la Chine a toujours fait l’économie d’un Dieu créateur et omnipotent et qu’elle n’a point eu de Révélation. Tous les « SHENG » sont les bienvenus et le Bien qu’ils apportent au monde ne peut être que cumulatif ! Les choses n’ont « coincé » qu’avec l’incompréhensible obstination des prêcheurs chrétiens à exiger mordicus de détenir la seule et unique « Bonne Nouvelle » et de prétendre mettre au rebut toutes les autres !
Notons toutefois une petite victoire de nos Missions : sans être véritablement une chasse gardée, le mot « SHENG » s’est trouvé préposé à répondre à leurs besoins en fourbissant pour elles toute la panoplie sémantique chrétienne : on le trouve en effet en composition dans une grande quantité de termes qui relèvent du christianisme (Bible, Saint-Esprit, Vierge Marie…etc.). Sans exclure bien sûr les désignations plus anciennes (on « cumule » toujours en Chine), ce qui fait que « NOEL » en traduction chinoise peut être recyclé en « Naissance d’un Sage/Saint » où chacun donnera au « Sage/Saint » en question les contours de son goût ! Avec, soulignons-le, en fond de tableau commun à tous, un genre de subliminal « Harmonie et paix sur terre aux hommes de bonne volonté sous la conduite des Sages » (contenu de fait dans le mot « SHENG » à sa source).
Pour illustrer, avant mon point final, l’autre option de transcription des mots étrangers en chinois, celle qui, phonétique, calque les sons, je signale qu’une transcription de ce type existe pour « JESUS« . C’est aussi un binôme puisqu’il transcrit deux syllabes : « YE SU« . Le premier terme « YE« , qui se trouve faire carrière dans les transcriptions justement, n’offre pas de sens véritable en chinois. Simple roue de secours en somme. Pour le terme « SU » les linguistes ont fait mieux. Beaucoup mieux même ! Parmi la trentaine de phonèmes de prononciation identique, ils nous ont dégoté le « SU » qui signifie « ressusciter, revenir à la vie« . Bravo les artistes !
En ces temps de confinement et réclusion, il nous reste le voyage entre les langues… Merci à vous de m’y accompagner !
A tous et toutes je souhaite d’ores et déjà un chaleureux « SHENG TAN KUAI LE » ! Pas besoin de traduction ?
L’inscription ici est la même : SHENG TAN KUAI LE (Joyeux Noël !) mais écrite verticalement et en caractères non simplifiés
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