La partition des partisans et opposants de ce film dessinent une géographie en termes de « prise sur la réalité ».
Voir par exemple le commentaire de Macko Dragan (accents manquants)
(le 13/11/2020 à 22:49) sur ce fil d’un blog de MP dans la critique par Claude Trautmann du « documentaire ».
Y sont listés comme personnalités du film, outre les embarqués involontaires (Pinçon-Charlot et sans doute « Double-Ecsatsy » alias Douste-Blazy), des personnalités qui ont tissé des rapports « distants » à la réalité, du fait notamment de leurs frictions avec les institutions (le Pr. Montagnier par exemple), de leur grenouillages aux limbes du système après des périodes fastes plus près de son centre, etc.
De l’autre côté, on a sans doute dans les media (« mainstream ») des gens qui vont faire le travail de « debunking » déjà fait sur la plupart des assertions fausses de ce film, mais qui ont aussi épousé très souvent les modèles d’un « monde technocratique » (dont une dérive est le « fascisme en col blanc »). Modèles dont, on le sait sur ce blog, la prise sur la réalité est elle aussi assez modeste, en économie notamment ou encore socialement via la surprise qu’a représenté « en haut » la réalité anthropologique des Gilets Jaunes (*), celle des minorités etc.
Les nouvelles technologies travaillent la société, c’est du déjà-vu lors de la Révolution Industrielle des débuts. Ma lecture récente de Karl Polanyi (La Grande Transformation, son classique de 1945) m’a fait tilter sur sa description du « Système de Speenhamland » : de 1795 à 1832, il y eut une sorte de « salaire minimal » pour les petits gens, à l’instigation des « squires », les notables de paroisses en Angleterre, grosso modo. La condition était que le travailleur se déclare dans la paroisse et dans un métier donné ; en échange on complétait son revenu pour assez de pain pour lui et les bouches qu’il devait nourrir à son foyer. Mais pas une once d’émancipation.
Ce système, pensé par ce qui était en gros une « droite conservatrice » (on se rappellera que Bismarck initia la sécu pour faire face aux troubles, avec un fond là-aussi paternaliste) devint une redoutable « trappe à pauvreté ». II assécha le marché du travail en local (l’entrepreneur pouvait baisser les salaires et faire venir des gens plus dans le besoin de juste à côté, d’Irlande, etc., et néanmoins les chômeurs de son bourg ne crèveraient pas de faim), et il n’empêcha pas le travail de fond de la révolution industrielle. Il put maintenir les « squires » dans leur vision étroite et paternaliste de « protecteur » (make my paroisse great again). Et il contribua à l’identification pauvreté-oisiveté-vice pour plus de cent ans. Il fut aboli sans grand encombre en peu d’année alors qu’on le prenait pour un pilier qui aurait du démultiplier la pauvreté à son abandon (rendu nécessaire par les tirages énormes sur le marché du travail). Une émancipation contrainte en quelque sorte, dans un « monde d’après » comparé à celui de 1795.
Cette « erreur de perspective » sur une chose « sociale » autour de 1820 (1795-1832 ou 1834 disions nous pour Speenhamland) peut nous amener à réfléchir en 2020.
Est-ce que la protection que le « mainstream » voudrait apporter aux « complotistes » qui font l’erreur d’aimer Hold-up n’est pas le résultat de la réduction préalable à une « trappe à savoir » ? Cette « trappe à savoir » (qui n’est pas issue d’un complot !) est-elle malencontreusement renforcée par la polarisation complotiste / non-complotiste ?
La question se pose aussi de comment cette situation dérive d’un manque de prise sur la réalité, s’agissant de la pseudo-prise des approches bureaucratiques. Ces dernières manifestent leurs faiblesses, de façon pas si surprenante, au moment de montée de deux « ondes » du soliton : (i) la complexité et ses mille-feuilles administratifs (**) et (ii) les crises éco-systémiques, dont la covid et la dérive climatique sont deux facettes (impacts anthropiques sur la biodiversité, pas que via les GES …).
Sans doute ces idées en recoupent-elles d’autres, émises sur les commentaires et billets du présent blog. La seule originalité serait sans doute cette idée d’une « trappe à savoir », qui appelle à éplucher les perspectives historiques qui ont permis de sortir « par le haut » de ces trappes… mais à coup d’énergie si l’on pense aux Trente Glorieuses ou déjà au New Deal (les barrages de la Tennessee Valley Authority, etc.).
Le savoir de la frugalité et de la résilience (pas du tout trivial, nécessitant une profonde intégration de la notion de système et de réseau) serait-il une façon de sortir par le haut du monde de trappes à bêtises dont le complotisme ambiant montre qu’il s’étend ?
Sortir du hold-up (je veux dire sortir des trappes à savoir dont le film manifesterait à sa façon la réalité), cela pourrait aussi se faire en changeant le lieu métaphorique du hold-up : ce qu’est … une banque, me dit-on dans mon oreillette : une banque de dépôt à usage capitalistique ou une banque de savoir.
Chiche.
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(*) lire Ceux qui restent de Benoit Coquard sur ce point, Ed. La Découverte
(**) mille-feuille et complexité dont je vois les coups et les contre-coups parcourir la recherche avec la version actuelle, misérable, de la LPR en discussion notamment, voir le coup de gueule de Patrick Lemaire sur sciences2 le blog de Sylvestre Huet ici.
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