Jacques Printz à propos de ma sixième conférence dans le cycle L’après-Covid : 6. Le retour des utopies, à l’Université catholique de Lille.
Bonjour Paul, bonjour à tous.
Je viens d’écouter ta 6ème conférence que malheureusement je n’ai pas pu suivre en temps réel. Voici cependant qq. réflexions, à la volée, que me suggèrent tes propos par ailleurs fort intéressants, dont on pourra débattre, si vraiment il y a une fin, et donc un après.
Je partage ton analyse sur le poids des syndicats patronaux aux US et ailleurs [mon collègue du Cnam Alain Bauer que tu connais peut-être, dans une communication privée, nous avait expliqué qu’il y avait plus que probablement une composante mafieuse, pour ce qui concerne les autorisations de prêts, compte tenu de la structure du système bancaire aux US]. Ceci étant, le problème de tout pouvoir est le contre-pouvoir. Force est de constater que la démocratie ne sait pas, ou ne peut pas, ou ne sait plus, organiser ces contre-pouvoirs.
Un économiste français, Maurice Allais, par ailleurs prix Nobel d’économie, considérait que le crédit non régulé était un puissant facteur de déstabilisation de l’économie, car c’était un moyen de créer une richesse apparente qu’on ne pouvait pas compenser. Vu de ma fenêtre, une bonne partie de nos problèmes vient de là. On a d’ailleurs un contre-exemple intéressant qui est la façon dont les dirigeants d’ENRON, en « bons » financiers faisaient du trading de l’énergie comme si c’était des $. Bien évidemment, ça disjonctait systématiquement dès que la demande, ce qui avait été vendu, dépassait l’offre des centrales. Un problème typique de compensation où l’offre ne doit pas dépasser la demande.
Je suis d’accord avec toi quand tu proposes d’interdire la spéculation, ce qui est une perversion absolue du travail réel, celui que précisément on va pouvoir compenser. Par définition, pourrait-on dire, la spéculation ne peut-pas être compensée. C’est simplement du vol travesti en jeux, comme d’ailleurs les cryptomonnaies, ce que tu as fort bien expliqué.
Au moyen-âge, dans la chrétienté, le pouvoir religieux interdisait le prêt avec intérêt, on peut comprendre pourquoi ; la devise des moines cisterciens qui ont tant fait pour créer l’Europe dont nous avons hérité, était Ora et Labora, prie et travaille, aujourd’hui oubliée. A ce sujet j’ai une anecdote intéressante qu’a vécu mon collègue chinois avec lequel j’avais monté mon projet en Chine. Comme il était brillant mais d’une famille paysanne pauvre du Sichuan, son village s’était cotisé pour lui payer ses études, tout cela sans contrat, à la mode asiatique ; bien sûr, il est membre du PCC comme environ 50% des diplômés de niveau master. Dix ans plus tard, le temps de la restitution étant venu, suite à la bonne marche de ses affaires [Il est aujourd’hui directeur de l’antenne Cnam en Chine], il avait proposé au chef de son village natal, après avoir construit une maison pour ses parents, de restituer la somme prêtée, et même avec des intérêts, ce que le chef du village avait refusé s’estimant honoré par le succès de l’investissement du village sur sa personne. Il n’y a pas de droits sans devoirs. Une histoire inimaginable chez nous …
Je ne pense pas que l’on puisse vivre sans argent qui est quand même un moyen d’échange plus commode que le troc. Mais ça exige d’être responsable en matière de compensation. Quand la France a proposé à l’Allemagne de faire l’€, je croyais naïvement que ça allait rendre la classe politique et les « élites » responsables … grosse déception !!! Un théologien allemand que j’aime bien, Romano Guardini, disait dans son livre La fin des temps modernes, écrit en 1952, qu’il fallait « combattre le traitre qui est en chacun de nous » par une ascèse personnelle. Dans le dernier livre de M. Onfray, grand admirateur de Nietzsche, La résistance au nihilisme, il y a un peu de ça, sauf que ce qu’il propose me parait une parfaite utopie.
J’ai bien aimé la séquence sur les Guaranis, mais tu sais probablement qu’un peu avant, comme tu me l’as fait remarquer, il y a eu la controverse dite de Valladolid, d’où a été tiré un excellent film, car certains colons défendaient l’idée que les Amérindiens n’avaient pas d’âme, et donc que l’esclavage n’était plus un problème. Mais le concile réuni à cette occasion avait refusé de rentrer dans cette abomination. C’est un peu aussi ce qui s’était passé en Chine, à quasiment la même époque, avec les jésuites qui essayaient d’inculturer le christianisme dans le confucianisme, et réciproquement, car pour Matteo Ricci et ses collègues, ils trouvaient le confucianisme tout à fait acceptable. Le Dieu chrétien proposé aux chinois par M. Ricci dans son traité écrit directement en chinois, Le sens réel de « Seigneur du Ciel » [traduction/adaptation du mot Dieu en chinois, avec 2 idéogrammes 天主 (Tianzhu)] était plus proche du Christ Pantocrator que celui du Christ supplicié et martyr du Concile de Trente. Ce qui ne fut pas au goût des dominicains, d’où la querelle des rites, et la fin tragique de l’épisode chinois, comparable aux Guaranis tel que tu l’as relaté … Je ne crois pas que l’on puisse vivre sans transcendance, sans perspective, mais la transcendance ne suffit pas, il faut également un système immunitaire. Le Covid-19 montre certains aspects contre-intuitifs du système immunitaire, car si globalement il nous protège bien, et même très bien, parfois, il tue sans sommation …
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