Sans doute les personnes d’un certain âge se souviennent-elles de parcours scolaires – le leur ou celui d’un camarade – effectué pour ainsi dire sans les parents ? C’est ce que j’ai vécu moi-même comme écolier dont les ascendants ne savaient ni lire ni écrire. Pour autant, ils se sont montrés extrêmement concernés par le parcours scolaire de leurs rejetons, ne manquant jamais l’occasion de nous rappeler de nous comporter à l’école comme il est attendu de nous ! C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai tendance à la ramener quelquefois devant ce que je considère comme un excès de proximité entre l’école et les parents.
Pourtant, il parait que Jules Ferry, ce bienfaiteur de l’humanité devant l’éternel, avait voulu d’une école qui éduque les enfants à l’abri, voire à l’encontre de leurs parents. Mais il est vrai que les parents en questions étaient d’affreux Communards de 1871 que Jules Ferry et sa clique de Versaillais plutôt monarchistes ont fait hacher menu quelques temps auparavant !
Depuis ce temps, notre éducation nationale a fait bien du chemin au point d’encourager au travers des associations de parents d’élèves, une coopération en bonne intelligence dirait-on, entre l’institution et les parents, sans oublier de prévoir pour les enfants, un programme de nourrissage conférant aux ascendants un rôle d’auxiliaires actifs et tant pis pour ceux qui ne parviendraient pas à concocter, à la place de leurs rejetons, de beaux exposés richement illustrés sur les résistants de la guerre de 39-45.
On comprend bien que la chose a été souhaitée et insidieusement installée notamment par cette parentèle comprenant bien son intérêt : celui de la reproduction sociale. C’est d’abord la bourgeoisie qui ne s’est plus contentée d’offrir un supplément de capital culturel à la maison et qui a voulu des écoles « ouvertes vers l’extérieur » pour paradoxalement favoriser l’entre-soi. Elle est suivie de près par la classe intellectuelle puis largement aujourd’hui par la classe moyenne, tout ce beau monde qui aimerait que le plus de temps possible de sa descendance puisse être consacré à la consolidation de ce qu’il a pu mettre de côté par-delà sa foi inébranlable aux vertus de la collectivité. Et vas-y alors que je te la nique cette p… de carte scolaire pour inscrire mes enfants aux meilleurs endroits dans le public, sinon je change de crémerie !
Ce que l’on a peut-être oublié, c’est que l’immixtion des parents dans les affaires de l’école est une porte ouverte sur bien plus de choses que celles qu’on espérait. Et pendant que les uns contrôlent que l’école n’insiste pas trop sur l’égalité, d’autres veillent à la préservation de l’héritage qu’eux aussi tiennent à transmette à leurs rejetons, c’est-à-dire leurs croyances qui, d’après leur expérience, les protègent d’un monde qu’ils ne comprennent peut-être pas et qui les domine assurément. Pourquoi dites-vous donc à mes chers enfants sur qui je compte pour vivre ce que n’ai pu vivre moi-même que la terre est ronde ? Et comment osez-vous leur enseigner autre chose que « Dieu a créé le monde en 7 jours » ?
Au bout du compte, chaque parent devenu client particulier (gloire au marketing) de l’Education Nationale se croit fondé de rechercher la responsabilité individuelle d’un enseignant pour tout motif d’insatisfaction. Dès lors qu’un parent d’élève peut se plaindre du tatouage d’un enseignant alors même que l’institution n’y voit, à juste titre, aucun inconvénient, n’avons-nous pas déjà basculé en zone trouble ? Sans doute cela fait-il les affaires de l’Education Nationale (donc les nôtres collectivement) de se défausser sur ses fantassins ? Dans une société qui met le modèle de l’entreprise privée à toutes les sauces a-t-on jamais vu client mécontent demander la démission de l’employé qui lui a vendu le produit jugé avarié à la livraison ? Existe-t-il encore quelque chose que l’on puisse appeler Education Nationale dès lors qu’en cas de difficulté les parents s’en prennent directement à l’enseignant ? Ce processus d’hyper-rapprochement (d’intégration) ayant pour résultat un certain effacement de l’institution derrière des éléments isolés (les enseignants) ne favorise-t-il pas les comportements d’intimidation et le passage à l’acte de la parentèle ?
Si voulons faire de notre système scolaire un sanctuaire où nos enfants pourront être exposés à des vérités négociées et donc pouvant s’écarter des dogmes qu’ils subissent à la maison, ne devrions-nous pas nous doter d’une Education Nationale capable de lutter efficacement contre la reproduction sociale et ne serait-il alors pas logique de bouter les parents – tous les parents – hors de l’école ?
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