C’est un prof comme j’en ai connu de nombreux, un prof qui sait que dans sa classe il n’y a de réussite que si tous réussissent. Qui sait que la société républicaine attend de lui qu’il donne le meilleur de lui-même pour que chacun se libère des servitudes et mette en question systématiquement toutes les connaissances qu’il reçoit. D’abord, et surtout peut-être, celles qui sourdent des familles depuis des siècles et sont agglomérées comme des caillots de sang, propres à boucher les artères.
Ce sont des enfants de treize ou quatorze ans à qui l’on a raconté la vie et donné des principes simples à utiliser, pour qui l’on a construit une morale commode. Des enfants que la société préfère en consommateurs et en utilisateurs de réseaux sociaux, qui ont accès à des images dérangeantes que les générations précédentes n’imaginaient même pas. Des images qui génèrent des pensées que l’on ne comprend pas. Il voudrait se risquer à faire une expérience. Alors un matin, Samuel, le prof, arrive dans sa classe avec dans son sac à dos, une bouteille de nitroglycérine. Il sait que c’est dangereux, au point que la classe entière peut exploser. Il cherche comment concilier ses buts pédagogiques – sublimes – et la fragilité des mômes. Il décide de proposer à ceux qui ne se sentiraient pas bien à l’idée de regarder des images taboues selon leurs parents et leur entourage de sortir de la classe. Mais les images sont toujours là, bien présentes ; l’idée des images n’a pas disparu. Elles seront toujours dans les mémoires de celles et ceux qui les auront vues et qui en parleront encore pendant des mois. Qui pour ne pas avoir d’ennuis avec leurs parents les recouvriront d’un voile décent peut-être en contradiction avec leurs véritables et nouvelles aspirations. Car l’éducation fait son œuvre. Mais de toutes façons, elles joueront un rôle destructeur. La nitroglycérine devait exploser car elle avait été apportée dans la narration. Et son rôle c’est bien de se déchaîner.
Si l’on remonte aux caricatures destinées à faire rire, il faut se demander si l’on peut rire de tout. Si l’on peut rire de tout avec n’importe qui et à quelles conditions ? Sans doute ne peut-on rire de tout qu’avec quiconque partage nos connivences, nos valeurs, notre culture, nos efforts pour éduquer dans la tolérance, notre volonté de regarder dans la même direction.
Sans doute faut-il aussi s’interroger sur la force des uns et la faiblesse des autres. Force de ceux que l’instruction fondée sur la curiosité et l’esprit critique ont confortés et qui peuvent rire de tout et de tous y compris d’eux mêmes ; et faiblesse de ceux qu’une éducation intégralement transmise depuis des générations a laissé chétifs et sans défenses face à qui les invite à rire de tout et de tous.
La société française est-elle prête ? N’a-t-elle pas laissé Samuel, le prof admirable mais seul avec un viatique d’idées généreuses dont le malheureux n’a su quoi faire ?
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