Denis,
Vous écrivez « Rien dans mon réel ne justifie ça », mais serez-vous d’accord que le travail d’un gouvernement suppose de s’extraire de la seule portion de réalité connue par telle ou telle personne, et de considérer aussi la situation générale et où elle va ? Je pense que c’est non seulement le travail et la responsabilité d’un gouvernement, mais aussi quelque chose à quoi tout citoyen doit s’efforcer.
Voici un résumé des éléments de réalité concernant la covid-19, dont une partie a d’ailleurs été rappelée par Emmanuel Macron hier soir :
– Au printemps dernier, la France a perdu 30 000 personnes du fait de ce virus
– Suivant les dernières données de l’OMS – compilation de multiples recherches de par le monde – ce virus a une létalité d’environ 0,6%, c’est-à-dire que parmi les personnes qui en sont atteintes – dont la plupart ne le sauront jamais parce qu’ils étaient asymptomatiques – environ 0,6% mourront. Ce pourcentage moyen sera naturellement plus élevé chez les personnes âgées et plus faible chez les jeunes
– Il s’ensuit qu’environ 30 000 divisé par 0,6%, soit 5 millions de Français ont déjà eu le virus au printemps dernier
– Or l’immunité collective, qui serait le seul mécanisme bloquant le virus si on le laissait libre de se propager, se déclencherait si environ les 3 / 4 des Français étaient immunisés. A supposer donc qu’avoir eu la covid-19 mène à immunisation définitive – ce n’est pas encore parfaitement clair – il faudrait donc que 50 millions de Français aient le virus, soit dix fois plus que le nombre qui en a déjà été touché
– Si le virus était laissé libre de se propager, il faudrait donc en première approximation s’attendre à dix fois plus de pertes humaines en France, soit 300 000 morts
– Cette estimation doit cependant être corrigée parce qu’un virus libre de se propager mènerait à un rythme de contamination beaucoup trop rapide pour que les hôpitaux puissent faire face, notamment les services de réanimation qui seraient débordés comme une cabine de plage face à un tsunami. Il faudrait donc s’attendre à ce que le taux de mortalité augmente, en gros les personnes qui aujourd’hui sont au final sauvées après réanimation – et il y en a quand même beaucoup – ne le seraient plus. Le taux de sauvetage des patients entrés en réanimation a été mesuré entre 30% et 50% (1) Il y aurait donc non pas 300 000 morts, mais nettement plus, il faudrait diviser ce chiffre par 30% à 50%, d’où entre 600 000 et 1 million de morts
– Notons en passant que beaucoup de ces personnes ne seraient pas si âgées que cela. Emmanuel Macron l’indiquait hier soir, la moitié des personnes aujourd’hui en réanimation en France ont moins de 65 ans. Il faudrait s’attendre à ce que la moitié environ de ces 0,6 à 1 million de morts aient moins de 65 ans
– Ajoutons que beaucoup de personnes qui non seulement sont contaminées par le virus mais vivent la maladie en gardent des séquelles de long terme (pulmonaires, cardiaques…) dont il n’est pas encore clair si elles seront avec eux un an, dix ans – ou toute leur vie. Ces personnes sont beaucoup plus nombreuses que celles qui au final décèdent du covid. Dans le cas où on laisserait le virus se propager, il faudrait donc s’attendre à ce qu’au moins des centaines de milliers de personnes en France en conservent des séquelles de long terme – peut-être même plus d’un million
Voilà en quelques points la réalité du virus covid-19. Ce virus n’est en aucun cas une « grippe », qui tue une dizaine de milliers de personnes chaque année – souvent moins – dont la quasi-totalité sont âgées, et contre lequel on dispose d’un vaccin – pour peu qu’on consente à l’utiliser. Il s’agit d’un virus qui pourrait tuer 0,6 à 1 million de personnes en France, dont la moitié auraient moins de 65 ans, en handicaper des centaines de milliers d’autres, et contre lequel aucun vaccin n’existe pour l’instant.
Quant à la situation présente de l’épidémie en France, les contaminations sont mesurées aux alentours de 20 000 par jour tandis que 32% de la capacité de réanimation française est occupée par les malades covid. Emmanuel Macron indiquait hier qu’un rythme de contaminations de 3 000 à 5 000 par jour et 10 à maximum 15% de la capacité de réanimation consacrée aux malades covid serait tenable sur le long terme – c’est-à-dire compte tenu de tous les patients qui entrent en réanimation pour d’autres pathologies que la covid. Sur le long terme, comprendre « en attendant un vaccin ou un traitement efficace », et cela pourrait aisément être un an, voire deux, voire beaucoup plus qui sait.
Il s’agit donc de gagner environ un facteur 4 sur le rythme de contamination. Ce qui ne peut se faire que par un effort déterminé de l’ensemble des citoyens, certainement pas en continuant comme maintenant étant donné que notre mode de vie actuel permet au virus de se répandre de plus en plus vite – même si son augmentation est clairement plus lente qu’elle l’était en mars.
La question est de savoir si les mesures définies par le gouvernement y suffiront, ou si elles ne feront qu’aider à la marge sans vraiment casser la progression du virus. J’ai pour ma part des doutes sérieux – je pense aux collèges, lycées et universités, je pense aux transports en commun bondés, je pense aux bars et restaurants en journée – mais une chose est certaine : le meilleur moyen de le savoir c’est d’essayer.
(1) https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/07/20/covid-19-de-nouvelles-donnees-sur-la-mortalite-en-reanimation_6046747_1650684.html
« En Lombardie (Italie), un patient sur deux admis en soins intensifs est décédé ; aux Etats-Unis, la proportion est de 40 %, selon deux études. Le taux serait de 30 % en France, un chiffre qui reste à consolider »
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