Les médias français font le bilan du respect de la promesse du Président Macron de donner une suite politique à l’essentiel des mesures proposées par la Convention citoyenne pour le Climat française.
De nombreuses déclarations allongent la liste des mesures qui n’auront aucune suite politique, malgré la promesse présidentielle. Ne s’agit-il pas d’une indication forte qu’une convention citoyenne doit être dotée de pouvoirs constitutionnels pour avoir le moindre poids sur les politiques menées. Une définition « en négatif » du pouvoir (il y en a d’autres) est la suivante : le pouvoir est celui de nuire à la trajectoire d’autrui, de lui retirer une adhésion dont il a besoin pour ses propres projets. C’est la théorie du château de carte : avoir du pouvoir c’est pouvoir enlever des cartes et menacer le château d’autrui, plus on peut enlever de cartes plus on a du pouvoir. Le corollaire est que pouvoir apporter ou conserver des (nouvelles) cartes au château d’autrui est aussi une forme de pouvoir (en mode constructif ou conservateur ici).
La conclusion serait-elle alors que les citoyens doivent disposer d’un pouvoir « de nuisance » légal via une assemblée dotée de pouvoirs constitutionnels ? Et en corollaire être vus par certains élus au moins comme des alliés objectifs qui apportent une contribution indispensable à la décision ? Ce pouvoir serait-il de pouvoir interrompre et/ou enrichir le processus décisionnel de l’Exécutif ou du Législatif, comme le droit de vote l’est déjà (il peut interrompre la trajectoire d’un élu et permettre l’accession d’un meilleur candidat), comme la grève (elle peut interrompre la production d’un patron et mener à des négociations), comme le procès en Justice (il peut donner lieu à une injonction de la Justice sur l’Administration, l’Exécutif ou le Législatif et rétablir l’équité), etc. ?
On verra dans 12-24-36 mois ce qu’il reste de la Convention française. Si les seules mesures adoptées sont les plus inoffensives (il serait habile pour tout Exécutif d’en adopter une quantité totale sérieuse néanmoins), on comprendra qu’une des meilleures expériences d’assemblée citoyenne de ces dernières années aura échoué à infléchir la trajectoire insoutenable, sous ce format « facultatif et sans pouvoir contraignant ».
L’expérience aura été néanmoins salvatrice car elle aura révélé de façon foudroyante l’écart potentiellement abyssal entre « ce que veulent les gens », après avoir été informés par les experts et après délibération sur un temps long, et « ce que décident les élus ». Elle invite à inscrire dès que possible l’assemblée citoyenne dans la Constitution du pays (quitte à remplacer le Sénat devenu impotent comme en Belgique).
L’étape de l’assemblée facultative étant un prototype à incorporer dans le système, malgré tout concevoir une « période d’essai » légale dans la Constitution ou une loi spéciale peut sembler hasardeux. Car pour mesurer son effet, l’assemblée citoyenne doit fonctionner plusieurs décennies de suite. La Nation est souveraine, elle pourra défaire ce qu’elle a fait si elle le regrette.
Dès lors il ne faudrait pas abandonner au niveau belge la lutte pour une expérience équivalente à celle de la France (en guise d’étape vers la constitutionnalisation), voire prendre un raccourci et demander directement une inscription dans une loi spéciale, et obtenir un statut légal comme en Communauté germanophone.
In fine, aucune assemblée citoyenne ne sauvera le monde bien sûr. Elle sera composée d’humains trop humains. Mais on n’a pas assez essayé ce système dans l’histoire des institutions que pour conclure à son échec. Et on a par contre validé sur le principe la plus grande ambition collective de telles assemblées (même si scientifiquement insuffisante sur bien des points), pourtant tirées au sort et représentatives (a priori autant de citoyens de gauche, de droite, conservateurs ou progressistes que dans une assemblée d’élus représentative). Par contre, la démocratie parlementaire n’a pas réussi à ce jour à impulser seule la transition écologique et solidaire. Les assemblées citoyennes interrogent donc la qualité et l’effectivité du lien de « représentation » dans les démocraties parlementaires modernes. Elles interrogent aussi la dynamique des partis. Ces institutions biaisent-elles la « volonté générale » ? Ou faut-il acter à ce jour une absence de « volonté générale » pour la transition écologique et solidaire ? Il y aurait lieu de compléter le Contrat social de Rousseau peut-être… Et se demander, en cas d’absence de majorité pour la transition effective, si le droit à une existence heureuse de la minorité prête à la transition doit s’imposer à une majorité qui veut conserver une trajectoire insoutenable, et si oui, par quelle institution ? (cf. le procès Urgenda aux Pays-Bas).
On déplore souvent que « la démocratie est bloquée », inerte, incapable de se hisser à la hauteur des urgences systémiques. L’assemblée citoyenne ne remplacera peut-être pas la démocratie « moins pire des systèmes politiques », mais elle pourrait devenir, si on lui donne sa chance, un rouage institutionnel fondamental d’un processus de transition rapide, avant 2030-2050, vers un fonctionnement réellement soutenable des Etats. Et permettre de mettre enfin en pratique, via le tirage au sort, l’antique volonté d’Aristote : un citoyen est un humain capable d’être gouverné… et de gouverner !
Pourquoi ne pas essayer ? Le temps presse…
Belle journée,
Cédric Chevalier
Coauteur de Déclarons l’Etat d’Urgence écologique (Luc Pire)
Laisser un commentaire