Le mécanisme délicat que révèle la pandémie
Nous mesurons la richesse d’une nation par son Produit Intérieur Brut (PIB), à savoir la somme des « valeurs ajoutées » : la différence entre le prix auquel une chose a été vendue et ce qu’elle a coûté, ce que nous appelons d’habitude les bénéfices ou le profit. Tout cela, additionné, constitue le PIB. La condition pour que se constitue la « richesse nationale » est donc qu’existe à tout moment un nombre considérable de personnes prêtes à payer pour une chose davantage que ce qu’elle a coûté, et à alimenter ainsi la richesse nationale. On ne s’étonne pas suffisamment que dans les conditions ordinaires cette condition, à savoir la génération de profits considérables, soit si facilement remplie.
On ne s’étonne pas non plus du fait qu’il faut pour cela que les profits réalisés antérieurement aient été redistribués au moins partiellement entre une multitude de personnes, leur permettant à nouveau d’acheter marchandises et services à un prix plus élevé que ce qu’ils avaient coûté. Cette capacité de relance répartie dans la population sans être seulement réservée à ceux ayant directement généré le profit (les industriels ayant produit les biens ou les marchands les ayant vendus), c’est ce qu’on appelle bien entendu le « pouvoir d’achat ». L’un des mécanismes faisant que le profit se retrouve redistribué entre les mains de la multitude ayant acquis les biens, c’est le salariat : la rémunération du travail accompli. Un autre, c’est la protection sociale. Sans eux, il serait impossible de revendre plus cher que le prix coûtant. Une condition sine qua non pourtant souvent perdue de vue.
Il faut une crise comme celle que nous traversons et que la machine se grippe en divers endroits pour que son mécanisme apparaisse dans sa complexité, faisant apparaître en surface ses zones de fragilité, et il faut bien le dire, son caractère un peu incongru. Plus le salariat est en péril, comme dans une pandémie réduisant la capacité à travailler, plus la protection sociale devra être mise à contribution dans un rôle de maintien du pouvoir d’achat.
Les gouvernements sont aujourd’hui jugés à leur capacité à jongler avec ces divers facteurs : assurer la protection sanitaire de la population, protéger la production de valeur ajoutée, favoriser la redistribution du profit pour maintenir le pouvoir d’achat, et compenser par la protection sociale les déséquilibres causés par la pandémie.
L’effectivité des gouvernements à assurer les deux peut être mesurée à partir de deux chiffres : celui de la croissance, c’est-à-dire la bonne santé du PIB, et celui des décès causés par la pandémie (morts par million d’habitants).
Dans le tableau, quelques nations ont été rangées à titre d’exemples par ordre de la croissance au second trimestre.
Pays |
1er trimestre |
2d trimestre |
1er semestre |
Impact Covid-19 |
Chine |
-10,0 % |
11,5 % |
3,2 % |
3 |
Japon |
-0,6 % |
-7,9 % |
-9,9 % |
12 |
Allemagne |
-2,0 % |
-9,7 % |
-11,3 % |
113 |
Belgique |
-3,5 % |
-12,1 % |
-14,4 % |
858 |
France |
-5,9 % |
-13,8 % |
-18,9 % |
482 |
Royaume-Uni |
-2,8 % |
-20,4 % |
-21,7 % |
616 |
États-Unis |
-5,0 % |
-31,7 % |
-9,1 % |
623 |
Le contraste est tout particulièrement frappant entre la Chine et les États-Unis : croissance en hausse de 11,5% au second trimestre pour la première, baisse du PIB de 31,7% pour la seconde, 3 morts dues à la Covid-19 par million d’habitants en Chine, contre 623 aux États-Unis.
Du rapprochement des chiffres émerge une conclusion incontournable : les gouvernements ayant mis l’accent sur le sauvetage de l’économie d’abord et celui de la vie de leurs concitoyens ensuite, n’ont su sauver ni la première ni la seconde. Seule la stratégie d’éradication du virus s’est avérée payante, protégeant d’abord les citoyens en ignorant l’économie, faisant repartir ensuite une économie qui a su être préservée en ayant maintenu les citoyens en vie.
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