Les autorités belges font un état des lieux de la situation épidémique sur leur territoire.
Je ne peux m’empêcher de penser que notre imaginaire actuel a mis progressivement et complètement sous le tapis la notion de fatalité, de destin fatal qui frappe au hasard, le sentiment de finitude, de la mort. On se refuse à concevoir que parfois (en fait toujours), rien ne se termine bien, que tout empire et que la souffrance individuelle et collective peut augmenter inexorablement à certaines époques, et que c’est la mort qui est bout du chemin pour beaucoup d’entre nous (pour tous en fait in fine).
Sans être spécialiste, je me demande si les Anciens de l’Antiquité et du Moyen-Âge n’étaient pas plus lucides que nous sur ces limites rédhibitoires à la condition humaine. Et donc plus heureux et plus déterminés à vivre que nous. Plus fatalistes aussi parfois.
Le scientifique belge évoque 3,5 millions de personnes en Belgique potentiellement vulnérables au virus, qui reste aussi dangereux aujourd’hui qu’au premier jour, par nature (même si le traitement s’améliore avec l’expérience).
Il évoque les effets indirects sur les patients non atteints du covid de l’engorgement des hôpitaux à éviter, en attente de soins, et les arbitrages inévitables dans la santé publique entre les pathologies.
Combien de temps les 7,5 millions d’autres personnes en Belgique vont-elles encore accepter de sacrifier des pans entiers de leur existence pour protéger un pourcentage minime mais significatif de ces 3,5 millions de personnes vulnérables ?
On reparle ici finalement de millions d’années de vie libre, en bonne santé et heureux au sein d’une population, et des arbitrages entre ces années (donc ces individus) que tout gouvernement implémente, consciemment ou non. Car la politique in fine, c’est aussi arbitrer la vie et la mort au sein de la communauté politique.
Le fatalisme le plus crasse équivaudrait à sacrifier complètement les plus faibles, il n’y en a pas de nécessité vitale aujourd’hui : nos sociétés riches ont des moyens gigantesques.
Mais nous avons été habitués à ne rien sacrifier ou presque, de nos « petits plaisirs »… On nous a promis la béatitude éternelle… On nous a donc menti ?
Et on a pris l’habitude de placer certaines « valeurs » au dessus des vraies valeurs : le profit au dessus de la vie humaine.
« L’optimalité de Pareto » des économistes classiques nous invite à nous méfier de la possibilité d’augmenter l’utilité d’autrui en réduisant la nôtre propre. Autrement dit : je veux bien que l’autre soit mieux mais seulement si je n’en souffre aucune conséquence. La philia ou la morale ordinaire par contre hiérarchise les biens, les valeurs : il lui paraît évident que la vie d’autrui vaut bien que je subisse quelques désagréments personnels pour la préserver.
La pandémie pourrait constituer, malgré l’horreur des drames vécus, une sorte de « préparation mentale » au siècle en cours, en nous exposant préventivement aux arbitrages éthiques et politiques liés à la condition humaine. Une piqûre de rappel peut-être faute d’être un vaccin définitif contre l’individualisme.
Avec l’ancien climat, on avait du mal à mesurer la solidarité intertemporelle entre humains, avec le covid-19 et le nouveau climat, on va mesurer leur degré de solidarité, de philia, strictement contemporaine.
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