À propos de Planification : le retour d’un Commissariat au Plan ? par Loïk Le Floch-Prigent, le 19 août 2020
Cet article de Loïk Le Floch-Prigent sur le retour du commissariat au plan me semble mériter plus de débats qu’il ne l’a fait parce que je crois qu’il porte sur un sujet vraiment important au moment où presque tout le monde s’accorde à reconnaitre les limites du capitalisme financier mondialisé actuel.
Sur la forme, je trouve amusant que celui qui, en qualité de directeur de cabinet de Pierre Dreyfus, alors Ministre de l’Industrie, fut l’une des chevilles ouvrières des nationalisations de 1981 conteste 40 ans plus tard le bien-fondé de la planification, mais je n’en suis pas surpris sur le fond : Loïk Le Floch-Prigent a eu depuis tout le temps d’apprendre in vivo que la conduite d’une entreprise ne peut être guidée que par la poursuite inlassable de la maximisation de ses intérêts propres, réduits en système capitaliste financier à ceux de ses actionnaires et de ses cadres dirigeants, et que toute considération qui s’oppose à l’épanouissement de ces intérêts doit être ignorée quand c’est possible, ou vigoureusement combattue quand ça ne l’est pas.
Cette conception très micro-économique et capital-centrique de l’économie s’est totalement imposée, au point que peu de gens raisonnables contestent aujourd’hui l’efficacité supérieure de l’économie de marché sur laquelle elle se fonde par rapport à l’économie administrée, et que rares sont ceux qui, même en Chine « communiste », souhaitent le retour à une planification centralisée et hiérarchique de type soviétique.
Ce triomphe incontesté de l’économie de marché, et de l’intérêt particulier pose néanmoins un problème de plus en plus difficile à gérer : c’est celui de la défense et de la promotion de l’intérêt général.
Le système actuel est en effet fondé sur 2 postulats contestables parce qu’ils ne prennent peu ou pas en compte l’intérêt général en affirmant que :
– la somme des maximas individuels coïncide avec l’optimum de l’intérêt général, ce qui était vrai en pratique dans un monde dont les ressources et les capacités d’élimination des pollutions pouvaient encore être considérées comme infinies, mais ne l’est plus dans un contexte où les ressources et les capacités de recyclage ne le sont de toute évidence plus,
– le « ruissellement » assure une distribution équitable de la richesse à l’ensemble de la population, dont les éventuels défauts peuvent être corrigés par une redistribution financée par l’impôt, ce qui a été vrai jusqu’à ce que la liberté absolue de circulation des capitaux permette d’échapper légalement à l’impôt grâce à l’optimisation fiscale, mais l’est de moins en moins depuis que la concurrence fiscale entre états pour attirer les entreprises, réduit la contribution fiscale des entreprises, et transfère la charge financière de cette réduction vers le citoyen/contribuable/consommateur/épargnant.
Seul le retour à une certaine forme de planification macro-économique pourrait permettre de mieux prendre en compte l’intérêt général, pour autant qu’elle soit vraiment la traduction exacte de cet intérêt général, et donc qu’elle soit pensée et conçue démocratiquement par arbitrages successifs « du bas vers le haut », rendus par des organismes vraiment représentatifs de tous les citoyens, mais aussi de tous les aspects de la vie économique (recherche/développement, entreprises, consommation, organismes non gouvernementaux …) au-delà des élus traditionnels et des fonctionnaires.
On peut contester cette « impérieuse » nécessité d’arbitrer les choix économiques individuels pour optimiser l’intérêt général, mais il est à peu près certain que le monde sera de plus en plus chaotique et imprévisible tant que cela ne sera pas fait. À près de 8 milliards d’humains, le mouvement brownien des individus motivés et animés par la seule optimisation de leurs intérêts personnels et portatifs a en effet beaucoup moins de chances de s’auto organiser spontanément en mouvement harmonieux, qu’en gigantesque piste d’autos tamponneuses !
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