La gestion calamiteuse de la pandémie de la Covid-19 aux États-Unis résulte de l’éparpillement des pouvoirs, autorisant les villes à avoir une politique en contradiction avec celle de l’état, lequel peut s’opposer aux directives de l’État fédéral ou les suivre. En l’occurrence, dans une perspective ultralibérale, Trump négligea le pouvoir fédéral pour laisser l’initiative entièrement au privé, avec pour conséquence une cacophonie mettant en lumière les limitations de la « main invisible » dans le cas d’un fléau faisant fi des frontières administratives et se montrant cruel envers les divergences entre les hommes.
Le monde change, rapidement
Le monde est en train de changer. Et il change à vive allure. On avait affaire durant la crise des subprimes en 2008 à un système financier désormais entièrement mondialisé, s’effondrant littéralement sous nos yeux, chaque région du monde subissant à sa manière les conséquences de l’effondrement global.
Quand Lehman Brothers tomba aux États-Unis en septembre 2008, les conséquences en furent immédiates pour tous, nous en Europe y compris. Nous suivions cela en direct dans un monde désormais globalisé, la manière dont les uns ou les autres y réagissaient n’ayant pas énormément d’importance : Dexia s’écroulait au même moment que Lehman Brothers ou Merrill Lynch, et d’autres encore. Tout cela se passait dans un monde désormais entièrement connecté par l’Internet et fonctionnant donc avec l’instantanéité du courant électrique. L’écroulement pouvait être observé en direct. Le temps qui s’écoule entre le moment où un nouveau prix de marché est affiché à New York et celui où j’ai la possibilité moi de le voir, est celui d’un clignement d’oeil.
Ce qu’on peut observer dans la crise en cours est différent, parce que l’impréparation de chacun des pays devant une catastrophe aussi inédite que celle-ci, lui est véritablement propre. Et au sein d’une nation comme les États-Unis, où le président assène en permanence des coups de butoir au système fédéral, il s’agit désormais de chaque état pour lui seul, même si s’établissent parfois des solidarités entre les gouverneurs de deux d’entre eux qui seraient du même bord politique. La coordination se limite à cela : quelques coups de fil passés, et l’on essaye de se débrouiller localement avec les moyens du bord.
Trump a déclaré hier lors d’une conférence de presse : « Je veux que le monde se presse, que les foules se bousculent dans les églises pour Pâques ». Pâques, cela signifie dans 24 jours. Il imagine que, malgré l’état où se trouve son pays en cet instant, que les paroissiens pourraient tout de même se presser à l’église ou au temple dans 3 semaines à partir de maintenant.
Le raisonnement de Trump est élémentaire : les dollars importent davantage que les êtres humains. Ce qu’il nous expliquait dans sa conférence de presse, c’est que si on obligeait les gens à rester chez eux sans pouvoir travailler, leur envie instinctive d’accumuler de l’argent ferait que le nombre de suicides dépasserait bientôt celui des victimes du coronavirus.
New York est sans doute, au monde, l’endroit où la crise est en ce moment la plus aiguë, la situation, la plus dramatique, l’accélération de la crise y est là la plus élevée. Que font les New-Yorkais ? Ils font ce qu’ont fait les Parisiens il y a une semaine ou dix jours : ils prennent leur voiture, ils montent dans le train, pour fuir la maladie. Et partout où ils se rendent, ils emportent le virus avec eux : ils le disséminent dans la nation tout entière.
Dans la situation de polarisation qui est celle des États-Unis en ce moment, vous avez d’un côté le Parti démocrate qui, à mon sens, prend conscience de l’ampleur de la crise et, de l’autre côté, des représentants du Parti républicain qui, par loyauté envers leur président, un authentique négationniste de la crise telle qu’elle est, nient qu’elle existe même.
On pourrait dire : « Il en résultera une sorte d’auto-sélection : au bout d’un moment les Républicains auront complètement disparu et il n’y aura plus que des Démocrates, qui éliront quelqu’un d’autre pour remplacer Donald Trump ».
Ce n’est pas cela qui se passera bien entendu puisque des citoyens des deux bords se côtoient à l’intérieur même de chacun des états, dont les frontières ne sont par ailleurs pas étanches.
La carte fera rapidement apparaître une mosaïque d’états, où chez l’un règne la politique laxiste préconisée par son gouverneur négationniste, alors que le confinement est la règle chez son voisin dont le gouverneur a compris lui l’ampleur de la crise. Ainsi l’Alabama confine de marnière drastique, tandis que pas très loin, dans l’état du Missouri, le gouverneur affirme : « Ne craignez rien : tout cet affolement repose sur un canular soigneusement orchestré ! ». Les choses vont parfois plus loin encore, la très forte polarisation au sein de la population faisant qu’en fonction des majorités locales aux différents niveaux, des maires de grandes villes s’opposent à la politique affichée par le gouverneur de l’état, lui-même en opposition avec la politique gouvernementale, ou plutôt, dans ce cas-ci, l’absence d’une politique gouvernementale digne de ce nom.
Une situation cauchemardesque où ceux qui persistent à nier la réalité de la crise entretiennent par leur négligence des foyers d’infection alimentant la contamination de leurs voisins plus prudents.
Trump continue de surfer sur son ignorance crasse, poursuivant la politique qui est la sienne depuis le début de son mandat de mener une campagne électorale constante, s’adressant uniquement à sa base sectaire et répétant inlassablement : « Les choses finiront par devenir telles que j’affirme qu’elles seront ! »
Et chacun l’a bien entendu encouragé dans cette voie, les uns en étant les partisans enthousiastes d’un démagogue, les autres en n’offrant qu’une résistance molle au putsch permanent de mise en place d’un pouvoir tyrannique par un autocrate. La passivité de fait de ses adversaires se répétant « Il est déraisonnable d’imaginer que cela puisse être aussi grave que ça semble l’être ! » lui a permis de plier la réalité à ses vœux et de se convaincre : « Même si ce n’est pas déjà vrai, cela le deviendra bientôt parce qu’en tant que président je pourrai faire en sorte que cela le devienne effectivement ! ».
La seule chose qu’il n’aperçoive pas, ce sont les bornes que met à une telle ambition un coronavirus qui ne l’écoute pas, qui ignore entièrement tout ce qu’il peut souhaiter ou exiger. Un coronavirus indifférent à ses rodomontades tout comme aux décrets autorisés par ses prérogatives présidentielles.
Comment réagit-il à cela ? En prétendant d’abord que le virus n’existe pas, qu’il s’agit d’une affabulation. Ensuite, confronté à son inébranlable réalité, que le remède miracle existe, qu’il s’appelle hydroxychloroquine, et qu’il faut en prendre avant qu’on soit malade, après et pendant. Si bien que le lendemain de la recommandation présidentielle, un bonhomme ayant découvert que le produit pour nettoyer son aquarium en contenait, en a avalé et en est mort. Sa femme, ayant fait pareil, a cependant eu suffisamment de force encore pour appeler « 911 », le SAMU local, et en a réchappé. À ma connaissance, elle vit toujours, mais ce n’est pas grâce au Président.
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