Qui veut (vraiment) la survie du genre humain ?
Klaus Schwab, patron du sommet de Davos depuis qu’il l’a inventé en 1987, a donné pour mot d’ordre à l’édition 2021 : « The Great Reset », soit ré-initialiser, ou remettre les compteurs à zéro. Bien qu’un peu vague dans ses termes, son annonce rappelle cependant son attachement personnel à l’économie des parties prenantes. Toutes : direction, personnel, clients, fournisseurs et sous-traitants, voire la communauté tout entière, en sus bien sûr des actionnaires que Milton Friedman avait couronnés rois.
L’intention est claire : profiter du chamboulement présent en termes de récession, voire de dépression, pour changer de cap. Quoi de plus tentant en effet que de tirer parti du fait que la production, la distribution et la consommation sont au plus bas, pour tenter de les repenser : redéfinir les objectifs dans une perspective cette fois, de renouvelabilité, de durabilité, de verdissement de l’économie, et tenter de juguler l’inexorable réchauffement climatique et la montée du niveau des océans.
Il existe toutefois un autre objectif, plus classique en cas de crise : la relance de l’économie, et rassembler dans ce but l’ensemble des moyens financiers mobilisables pour prémunir de la faillite les entreprises ayant souffert de la crise, ou en souffrant toujours. Or cet autre but, il faut le reconnaître, s’oppose au premier sous bien des aspects.
Certaines entreprises étaient sans doute déjà condamnées avant la crise et celle-ci n’aura fait que leur porter le coup de grâce ; tenter de les sauver à tout prix ne serait que leur accorder un sursis. Mais aider les autres dans le but louable de leur permettre de prendre un nouveau départ équivaut non pas à changer de cap en fonction de nouveaux objectifs mais, banalement, à reconstituer le système à l’identique.
Faut-il par exemple sauver les compagnies aériennes, et leurs milliers d’emplois ? Ou profiter de l’instant présent pour intégrer le fait que la pollution, la production de CO2 qu’elles causent, les quantités faramineuses de kérosène qu’elles consomment, appartiennent à une économie dépassée et menaçant désormais la survie même du genre humain et la biodiversité ? Admettons-le : le choix n’existe pas car il est impératif de relancer la machine. « L’indispensable changement de cap ? Eh bien, on y reviendra plus tard ! »
Mais alors quand ? La proposition de Klaus Schwab est séduisante : mettre à profit la crise pour réorienter. Mais les contraintes présentes conduisent elles à la facilité : reconstruire ce que l’on avait avant, car cela au moins, on sait ce que c’est. Sait-on d’ailleurs vraiment ce que l’on entend mettre à la place ?
Certains objectifs sont simples à formuler. Ainsi, en revenir à un monde durable : que nous puissions continuer de vivre à la surface de notre planète. Un monde renouvelable : que nous n’épuisions pas des ressources dont la destruction est irréversible. Un monde où baisse l’émission des gaz à effet de serre : pour que la température cesse de grimper et le niveau des océans de monter. Oui, mais comment faire alors ?
Alphonse Allais connaissait la réponse : « Mettre les villes à la campagne ». Il s’agissait d’une boutade bien entendu, la tâche étant irréalisable : mettre les villes à la campagne, c’est transformer les campagnes en villes, et donc reproduire le problème initial un peu plus loin en imaginant l’avoir résolu.
Or, bon nombre de suggestions faites dans certains courants du camp écologiste – et tout particulièrement dans sa variété collapsologue – s’assimilent en réalité à la boutade d’Allais, dans un contexte qui la rend en plus parfaitement irréaliste : il n’y a plus en France que 20% de la population qui vive en milieu rural, tandis qu’en Belgique le chiffre est tombé à 2%, et continue inexorablement de baisser d’année en année dans chacun des deux pays.
Ainsi, quand Yves Cochet, ancien ministre français de l’Environnement, propose que chacun prenne exemple sur sa fille et lui, et se retire dans un domaine de 7 ha, il semble ignorer que la surface des terres arables de la Terre, divisée par le nombre de ses habitants, cela donne 0,8 ha par personne, et que sa solution ne vaut du coup que pour quelques privilégiés disposant des moyens financiers nécessaires. Si l’on voulait effectivement que la formule de Cochet soit d’application générale, collective, et non réservée à quelques « débrouillards », et que chacun dispose de 3,5 ha, un calcul inversé montrerait que nous devrions être un peu moins de 900 millions, soit la population humaine qui existait à la fin du XVIIIe siècle.
C’est bien cela que trahissent les idéaux de remise en état du monde coupés de toute réalité : la place manque pour les mettre en pratique ou, dit autrement, nous sommes trop nombreux pour espérer atteindre les objectifs.
Et c’est ce qui fait qu’un non-dit transparaît dans le discours écologique de type collapsologue : que ses idéaux ne seraient réalisables qu’au sortir d’un grand effondrement, assorti d’un grand dépeuplement, comme l’étape nécessaire par laquelle il faudrait nécessairement passer.
D’où les tonalités « communalistes/survivalistes » des propos de ce courant, et l’explication cachée pourquoi il se montre systématiquement sceptique, voire même cynique, devant les propositions concrètes et réalistes d’éviter l’effondrement. Par exemple, grâce au retour à une planification indicative et partiellement contraignante, complétée le cas échéant par des nationalisations.
La question doit être posée si, vue d’une certaine altitude : du point de vue de l’espèce dans son ensemble, la justification de la politique dite « du colibri » : « J’accomplis ma minuscule part », ne relèverait pas simplement du principe biologique de l’apoptose : le suicide programmé de cellules dans le cadre d’un organe ayant conclu qu’il était condamné.
À quoi sommes-nous confrontés ? Au caractère indispensable d’un reset, d’une remise des compteurs à zéro. Ainsi qu’à la nécessité d’une relance de l’économie qui sera, provisoirement en tout cas, « à l’identique ». Et à l’impératif incontournable d’une « mise des villes à la campagne ».
Davos 2021 aura sans aucun doute du pain sur la planche !
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