L’Allemagne, à la hauteur des espérances de Keynes, enfin
Il ne restait plus qu’à attendre que l’Allemagne endosse son habit de puissance hégémonique bienveillante. Un arrêt de sa Cour constitutionnelle le 5 mai lui en a offert l’occasion…
Remontons de huit ans dans le temps, et souvenons-nous du reproche que Jens Weidmann, déjà à la tête de la Bundesbank, adressait en juillet 2012 à Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne.
Que s’était-il passé ? Draghi avait affirmé que sous sa présidence, tout serait fait pour qu’aucun pays ne sorte de la zone euro, ce qui avait effectivement assuré le sauvetage de celle-ci aussitôt. Ce sur quoi, Weidmann lui avait vertement rappelé qu’il n’était pas le président élu de l’Europe, ni même son Trésorier en titre. Ce qui traduit, voulait dire que ce n’était pas à un banquier de définir des politiques économique et financière, que c’était là le rôle d’un gouvernement.
Dans son jugement du 5 mai, en lequel certains commentateurs affolés n’hésitèrent pas à lire pas moins que la condamnation à mort de l’euro, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ne faisait en réalité que traduire en langage juridique les observations de bon sens de Weidmann huit ans plus tôt.
Que disait en effet la cour dans ses attendus ?
« … l’étendue des compétences conférées à la BCE […] sont limitées à la politique monétaire. […] En vue de sauvegarder le principe démocratique et de maintenir les bases légales de l’Union européenne, il est impératif que le partage des compétences soit respecté ».
Et ayant ainsi rappelé que le domaine d’exercice de la BCE est le monétaire, et lui seul, Karlsruhe offrait alors quelques exemples de dérapages flagrants : des cas où des pratiques prétendument purement monétaires cessent de pouvoir être distinguées de politiques dont les objectifs sont manifestement financiers ou économiques.
Ainsi, affirmait Karlsruhe
« avec son Programme d’achat dans le secteur public (PASP), la BCE affecte le secteur des banques commerciales en transférant de larges quantités d’obligations gouvernementales à haut risque au bilan de l’Eurosystème, ce qui améliore significativement la situation économique des banques concernées et renforce leur notation. Les effets de politique économique du PASP incluent en sus leur impact sur pratiquement tous les citoyens, qui sont affectés au moins indirectement, entre autres en tant qu’actionnaires, locataires, propriétaires immobiliers, épargnants ou détenteurs de polices d’assurance. Par exemple, des pertes considérables sont essuyées par l’épargne. De plus, en faisant baisser les taux d’intérêt, le PASP permet à des sociétés sans avenir économique de se maintenir sur le marché ».
Ce que Weidmann avait affirmé de manière un peu allusive, la Cour constitutionnelle allemande l’avait donc couché sur le papier le 5 mai en termes sans ambiguïté : à La Banque centrale européenne de s’occuper de politique monétaire, selon son mandat, et aux gouvernements de prendre leurs responsabilités dans le domaine de leur propre compétence : les politiques financière et économique.
Karlsruhe ayant crevé l’abcès, la voie était désormais libre pour le politique.
On entendit des clameurs dans l’entourage de Macron et Merkel, initiateurs d’un plan de relance à 500 milliards le 12 mai, qu’il n’y avait pas eu coordination entre Karlsruhe et eux, ce qui confirmait que la coïncidence dans le temps des deux annonces pouvait être jugée troublante et que le jugement et l’initiative commune ressemblaient à s’y méprendre aux deux étapes successives d’un même plan.
Nous avons appris le mercredi 27, par la bouche d’Ursula von der Leyen que les dotations d’un montant de 500 milliards évoquées le 12 mai par Macron et Merkel seraient complétées de prêts d’un montant moitié moindre, pour un total de 750 milliards d’euros. À condition bien sûr que les 27 membres de l’Union européenne cautionnent le projet.
Le 1er décembre 1940, Keynes répondait aux questions du ministère britannique de l’Information par un mémorandum de quelques pages intitulé : « Propositions pour contrer le « Nouvel ordre’ allemand » ».
« … j’ai indiqué que sous de nouveaux auspices, l’Allemagne sera autorisée à renouer avec cette part de leadership économique en Europe centrale qui découle naturellement de ses qualifications et de sa position géographique. J’imagine mal comment le reste de l’Europe pourrait espérer une reconstruction économique effective si l’Allemagne en est exclue et demeure une masse purulente en son sein ; une Allemagne reconstruite renouera nécessairement avec son leadership. Une telle conclusion est inévitable, à moins que nous n’ayons l’intention de confier la tâche à la Russie ».
Il ne restait plus qu’à attendre que l’Allemagne endosse son habit de puissance hégémonique bienveillante. Un arrêt de sa Cour constitutionnelle le 5 mai lui en a offert l’occasion.
« Vladimir Poutine montre qu’il cherche à évoluer dans un cadre légaliste écrit normatif » Mais oui bien sûr ! Louis XIV…